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Full text of "Les œuvres de Guillaume Coquillart"

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I 



Vît. p.-. lil B, lt,35 



LES OEUVRES 



DE 



GUILLÂIME COQUILLART. 



^^g^ 



Cette édition est tirée à 376 exemplaires, dont 
326 sur carré vergé, 6 sur papier jonquille, 
6 sur papier bleu , 40 sur jésus vergé. 



Imp. de GÉRARD, Litb., rue Cérès, 8, à Reims. 



LES OEUVRES 



DB 



GdILLAllE COQdILLART. 



TOME PREMIER. 



tS49. 



RBUIS. 

Chez Brissard-Binel, Li- 
braire, rue. du Cadran- 
St-Pierre. 



PARIS. 

Chez Tcchener, Libraire i 
place du Louyre. 




'^ - 1 MAY 1963 ^' 

CFOX'^CRD 




NOTICE 



Shf la Yie et les Œivres de fi. Coqiillart. 



Au commencement du XV* siècle, la colère de Dieu 
s'était appesantie sur la France. La démence de Charles 
Yl livrait à une reine sans cœur , à des princes ambitieux 
et parjures le& destinées du pays. £n i420, Isabeau de 
Bavière, le duc de Bourgogne et le roi d'Angleterre Henri 
y, proclamaient leur entente cordiale et concluaient à 
Troyes un infâme traité : on déclarait le dauphin indigne 
de succéder à son malheureux père, et le trône de St-Louis 
était assuré sans pudeur à la postéritédu monarque anglais. 
Les Bourguignons, maîtres de la Champagne, l'avaient ou- 
verte aux étrangers. Les Rémois, qui, soixante ans aupa- 
ravant, avaient vu fuir devant leur valeur l'armée du roi 
Edouard, avaient re^ u garnison anglaise. Les factieux éga- 
raient le peuple, corrompaient les âmes vénales, et com- 
primaient par la terreur l'indignation du patriotisme. Au 
milieu (^ ces humiliations et de ces désastres, vers 1421, 
dans une famille sans nom comme sans fortune, naissait 
à Reims un enfant dont le cœur était noble et l'esprit 
riche d'intelligence : c*était Guillaume Goquillart. Pauvre 
il fut au berceau, et soixante ans plus tard, après avoir 
rempli d'importantes fonctions, il pouvait, entouré de 
ses concitoyens, à la face de la cour de France, se procla« 



VI 

mer pauvre encore et faire respecter ses cheveux blancs. 
C'est qu'alors les écus ne faisaient pas le citoyen; alors 
la probité, l'amour du travail , le dévôûment au pays 
donnaient les droits de cité et les privilèges politiques; 
aux mieux méritants revenaient les honneurs. A Reims, 
quiconque était sans tache, quiconque gagnait son pain 
à la sueur de son front, appartenait au corps social. 
Aux jours du danger, ridies et pauvres couraient aux 
armes; ensemble ils combattaient l'ennemi sur le champ 
de bataille, et leur sang se mêlait sur le rempart de la 
vieille cité. Aux jours d'élection , pauvres et riches se 
retroQvaieiftt au foruj», et tous ensemble ils choisissaient 
les chefs de la commune. Le christianisme, les traditions 
rémoises le voulaient ainsi. Préjugés ridicules, fils de la 
barbarie ! vous n'avez pas duré moins de quatorze cents 
ans. Tant ce qui est faux en principe, injuste au fond, 
et contraire à la raison et au droit de nature, contient en 
soi de forces vitales. Bénis soient mille fois le siècle des 
progrès, le règne des lumières, l'époque des constitutions 
immortelles, qui ont remis chacun à sa place et prouvé 
que l'or seul donne le patriotisme et la vertu. Quoi qu'il 
en soit, Guillaume Goquillart devait se consoler des 
abus du temps, puisqu'ils facilitèrent sa marche dans 
le monde. 

Enfant, il vit tous les malheurs de la patrie, et dans 
sa jeune âme se gravèrent en caractères ineffaçables le mé- 
pris de la trahison et la haine de l'étranger. Il ne devait 
rien oublier, et douze lustres après, mêlé à tous nos preux, 
debout devant l'arrière-petit-fils de l'iofortuné Charles VI, 
le poèhd retrouvait dans son cœur, que soixante hivers 
n'avaient pas refroidi, tout l'enthousiasme de ses premières 
années. Avec quelle joie superbe il chantait les défaites de 
ces Anglais, si souvent en France et toujours chassés. Heu- 
reuse la brebis qui n'a rien laissé de sa toison aux buissons 
de la route! honneur à l'homme qui , dans ses vieux jours, 
à conservé les affections et les croyances du jeune âge : 
car celles-là sont pures et bonnes. 

Cependant, Jeanne^d'Arc avait conduit Charles VU ft 
Reims. Des temps meilleurs étaient venus : l'industrie et 
rétude avaient repris le cours de leurs travaux. Coquillart 
était doué d'un esprit droit, actif, intelligent : il voulut 
s'instruire. Alors régnait à Paris une Université célèbre , 
mais égoïste et vaniteuse. Son joug pesait sur toutes les 
provinces voisines, et Reims devait encore le subirj plus 
d'un siècle. Coquillart se rendit dans la grande ville : là 
venaient les gens d'affaires, les hommes politiques, les beaux 
esprits > les savants de tous pays^ les étrangers de distinc- 



• • 



VIJ 

tîon. Paris était la capitale des plaisirs et des galanteries : 
dans son sein le scepticisme politique avait ébranlé la foi 
religieuse; les mœurs s'étaient relâchéea. Un luxe sans 
frein avait achevé de les corrompre. La conscience des 
hommes, la vertu des femmes s'y vendaient à beaux deniers 
comptant. Tel était le pays où Goquillart allait passer 
ses plus belles années. Comme étudiant il vécut sous la 
férule de l'Université et la vit sacrifier à ses intérêts ma- 
tériels et pécuniaires la dignité de son nom» l'instruction 
et le bienétre des écoliers. 11 vitdes pédagogues lutter contre 
la haute magistrature, conduire l'émeute dans les rues, 
vouloir régenter l'Église et la société, braver la monarchie 
et les lois de l'état. Sur ce théâtre pour lui tout était 
nouveau ; spectateur attentif, il s'indignait des lâchetés 
des acteurs et riait de leurs travers. Critique naïf et cen- 
seur de bonne foi , il songeait à la réforme des abus. Jeune 
et joyeux, il s'amusait des manies de l'espèce humaine, 
de son culte pour la mode, des misères de sa vanité. Sur 
les feuilles blanches de sa docile mémoire, mille notes 
s'inscrivaient; le temps devait les respecter : plus tard 
elles se firent jour et éclatèrent en vers moqueurs, en 
sarcasmes sanglants. 

Coquillart travaillait avec ardeur : il étudiait sérieuse- 
ment les langues anciennes, le droit, la théologie, et finit 
par prendre ses grades. C'était un préliminaire indispen- 
sable pour arriver au barreau : telle était la vocation du 
jeune rémois. De retour à Beims, il se fit praticien, c'est- 
à-dire qu'il se lança dans les affaires litigieuses. En ce 
temps-là, les gens assez malheureux pour être obligés de 
plaider, n'avaient besoin que d'un mandataire; il suivait 
l'affaire en la forme et la plaidait au fond : c'était plus 
simple et moins coûteux. Mais , comme il y avait abus 
au préjudice des gens de loi , on y mit bon ordre dès le 
siècle suivant, et il fallut avoir un procureur et un 
avocat. Coquillart , dès les premiers pas dans la carrière, 
se fit remarquer : sa position se dessina rapidement. A 
vingt-cinq ans on le citait comme homme de savoir et 
de bon conseil, et de hauts fonctionnaires interrogeaient 
déjà son expérience. En 1446, des difficultés graves 
s'élevèrent à Reims sur la police des marchés : le bailli 
de Vermandois, saisi de l'affaire, la renvoya devant le 
garde-du*scel du bailliage à Reims. Celui-ci consulta le 
nouveau praticien. On conserve encore parmi les archives 
de la ville le rapport qu'il composa, il est signé de sa 
main. Alors on le nommait Coquillart le jeune. Sans doute 
il avait le bonheur d'embrasser encore de vieux parents, 
et d'éclairer le soir de leur vie des premiers rayons de sa 



■ • « 

VllJ 

riante aurore. Pendant treize années (i), la vie deCoquillart 
échappe à nos investigations, mais dans ses poésies on 
peut trouver ce que les chroniqueurs ne racontent pas. 
En 1446 (il avait vingt-six ans), c'était Guillaume Goquil- 
lart le jeune : son cœur alors battait avec confiance, le 
monde ne Tavait pas froissé. Son imagination voguait 
avec délices sur la mer des idées; elle n'avait pas encore 
appris à voir dans la vie deux parts : au début le som- 
meil et ses songes, au milieu le réveil et la réalité. 
Beaux jours de la jeunesse, jours de bonheur, d'espoir et 
de confiance, salut! Pour vous, pour vous seuls le matin 
se lève au milieu des roses, le ciel étend son voile d'azur et 
la nuit sa robe semée de perles blanches. Pour vous seuls 
au bois chante le rossignol, au pré fleurit la marjolaine, 
au buisson l'aubépine au doux parfum. Pour vous les rêves 
d'amour, pour vous les rêves de gloire. Main blanche et 
mignonne, main nerveuse et brûlante unies ensemble; 
en plaine l'épée sanglante et les chants de victoire; au 
retour moustaches brunes posées sur bouche de corail; 
applaudissements de la foule et tendres sourires; des hon- 
neurs et des baisers : à vingt-cinq ans voilà la vie. — Amie 
tu m'aimeras toujours, et les échos de répondre tou- 
jours. Roi, tu ne m'oublieras jamais, et les échos de ré- 
pondre jamais. Feux follets, courez, volez encore: jeunesse 
vous suit; elle s'attache à vos pas vagabonds; elle va vous 
atteindre, elle le croit. Halte ! a crié le Temps; l'écho se 
tait; le voile se déchire; on voit au pré le serpent per- 
fide, au buisson la ronce desséchée, au bois le corbeau 
sinistre et le loup dévorant, un abîme au bout de la 
route. Fuyez gracieux lutins : le charme est tombé; re- 
tournez sur vos pas, d'autres jeunes cœurs vous attendent. 
Les voilà qui se mêlent à vos rondes. Enfants, dansez et 
défiez l'avenir, c'est votre tour. Telle était alors l'histoire de 
tous : telle elle est peut-être encore. Telle fut l'histoire de 
Coquillart. Il aima ; pauvre et sans nom, il fut trahi et dé- 
daigné : cela devait être. — Au matin la rose brille fraîche et 
parfumée ;*au soir le soleil l'a brûlée, le vers rongeura flétri 
son sein, l'ouragan a dispersé ses pétales : la rose n'est 
plus : les épines restent; elles ne savent que piquer et 



(1) Nous trouvons, en 1436 et 1447, un conseiller de ville 
nommé Guillaume Coquillart : il fut chargé à ces deux dates 
d^acbeter la protection d'un sieur de Flavy , capitaine , dont les 
hommes d'armes venaient piller les environs de Reims. Ce fait 
peut concerner notre poète en 1447, mais en 1436 il n'avait que 
15 ans s peut-être la mission dont il s'agit fut- elle confiée à son 
père. 



IX 

déchirer. Lorsque le poète eut vu tomber une à une les 
fleurs dont sa foi naïve avait semé l'avenir , quand il eut 
▼u s'éteindre au milieu de cendres glacées les dernières 
étincelles de ce feu longtemps brûlant, longtemps encore 
couvert, il laissa s'exhaler le secret de son âme, et dans 
plus d'un vers il a maudit la cupidité qui salit l'amour, 
les trahisons qui le dégradent. On va le voir le fouet à la 
main punir cruellement les caprices dont il fut victime. 
Hais il est facile de voir que sa colère est du dépit, et sa 
haine du désespoir. U avait été malheureux, il fut im- 
pitoyable. Gomme un païen à demi converti, il brise 
l'idole qu'il a longtemps aimée; puis à genoux devant 
l'autel qu'il a renversé, il implore le pardon de sa vio- 
lence. Ses imprécations n'ont rien de commun avec 
les froids sarcasmes de Nicolas Boileau. Leur source est 
au cœur; et en le voyant à la fois humble et sardonique, 
cruel et repentant, on peut dire l'amour a passé par-là. 

Goquillart eut aussi ses rêves de gloire : il suivit la cour. 
D'autres déceptions l'attendaient ; la mer où il naviguait 
était semée d'écueils: son. inexpérience ne les avait pas 
prévus. Etranger dans Paris, parti d'une chaumière, fils 
d'un père sans écusson, il rencontra partout froideur et mé- 
pris : ses services furent méconnus. Et puis, en ce temps 
comme dans d'autres, il faut le dire, au pays des faveurs le 
roseau croissait mieux que le chêne. Goquillart tenait peu 
du roseau : droit et ferme, il ignorait le grand art de plier 
à l'occasion ; il savait bien comment tournaient les gi- 
rouettes, mais il ne lui était pas possible de les imiter. 
Tel il fut jeune, tel nous le retrouvons dans ses vieux 
jours. Nous le verrons à la face des ministres, de ces 
grands dignitaires, qui préfèrent aux hommes les valets, 
accuser avec une mordante ironie l'injustice et la partia- 
lité des grands, raconter en termes moqueurs ses espé- 
rances trompées, rire du système de Teau bénite et du 
bec dans Teau, puis écraser avec une exclamation de 
mépris cette cour où tout est lâcheté, mensonge et perfi- 
die, cette halle fangeuse, où qui n'a rien à vendre n'a 
rien à attendre, où qui veut rester net ne doit pas mettre 
les pieds, il avait cru que le dévoûment au pays était 
un titre à la protection, le travail une garantie d'avenir, 
la droite voie le plus court chemin pour' arriver au port. 
Brave enfant de la Gbampagne ! pardonnons A son inno- 
cence : c'était alors Guillaume Goquillart le jeune. 

Enfin désabusé, il quitta ce Paris qu'il avait trop aimé 
cette ville dont le nom se retrouve dans toutes ses poésies, 
cette terreoù ilavaitvu s'évanouir ses plus chères illusions, 
ses plus nobles espérances. U partit le cœur serré comme 



X 

le guerrier qui laisse étendus s«r le champ de bataille ses 
amis les plus chers, et plus d'une fois il dut retourner les 
yeux vers cet horizon qui cachait la tombe où dormaient 
pour toujours ses rêves d'amour et ses rêves d'ambition. 
Il revint où reviennent tous ceux que le monde a trom- 
pés. Ce fut au sol natal qu'il alla demander asile après la 
tourmente. Il avait compris qu'on peut partout servir son 
pays y et que le travail et l'honneur donnent seuls à 
l'homme une position indépendante et convenable. Las 
de poursuivre des fantômes trompeurs, il ne songea plus 
qu'à conquérir l'estime publique. Cette fois il devait at« 
teindre son but, et bientôt les luttes du barreau et les 
lettres fermèrent les plaies de son âme. En li60, nous 
le trouvons assis devant un manuscrit latin. Il traduit 
l'Histoire des Juifs de Flavius Joseph.' Pendant trois ans, 
ce travail absorba ses moments de loisir et sa pensée 
redevenue libre. Les vers qu'il écrivit en terminant, res- 
pirent la piété pure et confiante : la Religion avait consolé 
le poète. (V. au Glossaire : trad. de F, Joseph). 

Au milieu de nos malheurs, la loi du Christ avait perdu 
de sa puissance; plus d'un ecclésiastique avait erré dans la 
voie qu'il devait suivre comme prêtre et comme citoyen. Les 
mœurs du clergé s'étaient corrompues. Le luxe^la paresse, 
la débauche avaient forcé la porte des couvents; quelques 
prélats avaient affligé l'Église par le désordre de leur con- 
duite. Le scandale était public, il fallut y remédier : la 
tâche était rude , un archevêque de Reims l'entreprit. Jean 
Juvénal des Ursins s'était assis sur le siège de Saint-Remy 
en 1449. Pendant cinq ans , il avait employé vainement 
les avis, les remontrances, les menaces et les peines dis- 
ciplinaires. Fatigué de soutenir une lutte ingrate, il con- 
voqua, en i454, un concile à Soissbns:là les blessures de 
l'Eglise furent mises à nu, et l'auguste assemblée prit 
des mesures énergiques pour y remédier. Des circonstan- 
ces déplorables allaient rendre tous ses nobles efforts 
inutiles et anéantir pour longtemps l'autorité des prélats 
et le respect dû à leurs ordres. 

En 1461 , Louis XI succédait à son père; il commen- 
çait un règne qui fut une longue suite de mystifications 
toujours perfides^ souvent cruelles. Les rémois furent les 
premières victimes de cette politique, habile peut-être, 
mais infâme. Quant le monarque vint se faire sacrer à 
Reims, il promit la suppression de la gabelle; un mois 
après, cet impôt était exigé avec plus de rigueur que 
jamais» : le peuple s'insurgeal Les hommes d'armes de sa 
sa majesté s'emparent de la ville : la potence se dresse, 
le sang coule par flots, et Reims apprend que parole de 



XI 

roi nouveau n*est pas parole d'Évangile. D'autres humi- 
liations , d'autres actes de tyrannie attendaient encore la 
vieille cité. 

Le monarque^ pour se concilier l'appui de la cour de 
Rome, avait sacrifié les libertés de l'église gallicanne et 
révoqué la pragmatique sanction, rédigée en 1438 par 
une assemblée de prélats français fidèles à Charles YII; 
elle avait renfermé dans de justes limites le pouvoir 
de la cour de Rome , et mis des bornes à ses exactions. 
Les chapitres avaient reconquis le droit d'élire les évo- 
ques, les moines choisissaient leurs supérieurs, les pré- 
lats et les chanoines donnaient les prébendes et les cures; 
tout tendait à rentrer dans Tordre, lorsque Louis XI ren- 
versa l'œuvre de l'épiscopat français, et rendit au Vatican 
ses anciennes exigences. 11 n'avait pas entendu livrer au 
pape seul les dignités, les bénéfices, les revenus ecclé- 
siastiques du royaume. Homme d'expérience, il savait 
ce qu'on peut demander à l'espèce humaine de dévoû- 
ment, d'obéissance passive, et au besoin de turpitudes, en 
offrant un peu d'or. Sa majesté profita de l'occasion pour 
partager avec le souverain pontife les dépouilles du clergé 
militant et régulier. Tantôt le roi recommandait au pape 
ses créatures, tantôt il lui signifiait, ainsi qu'aux chapitres 
et aux moines , ses choix directs et absolus : il disposait 
des dîmes et des rentes de l'Ëglise, et les divisait en 
pensions pour en gratifier ses favoris et acheter ces servi- 
ces honteux qui ne se donnent pas. Le clergé de France 
ne plia jamais en principe sous le joug qui le dégradait; 
chaque illégalité commise par les cours de Rome et de 
France était suivie d'une protestation. A Reims, la lutte 
fut énergique; mais le combat ne s'engageait pas à armes 
égales, et le clergé rémois fut écrasé par les vainqueurs. 
Le savoir, la vertu, la considération publique n'étaient 
plus des titres à l'avancement; les promesses, les mena- 
ces des évèques n'étaient plus que des mots : leur in-^ 
fluence était tuée; le prêtre n'avait plus rien à espérer 
de l'affection de ses frères, de l'estime de ses supérieurs ; 
le moine n'avait plus rien à attendre de son ordre. La cour 
donnait tout, ou plutôt elle vendait tout; elle joignait les 
rigueurs de l'intimidation aux amorces du système corrup- 
teur: avec elle on faisait son chemin; sans elle on restait 
perdu dansla foule, enseveli dans l'obscurité. Les pension- 
naires du pape 'et du roi dévoraient Ta venir; on leur al- 
louait les places avant leur vacance. Bientôt le nombre 
des grâces expectatives dépassa celui des prébendes et des 
dignités; les abbés de St-Remy et de St-Nicaise viennent à 
mourir (1465-1475); les bénédictins choisissent dans 



leur sein des chefs recommandables par leur conduite et 
leur savoir; le pape et Louis XI leur donnent pour abbés 
des hommes étrangers à leur ordre, à la Champagne, à 
la France. Des intrus envahissent le chapitre de IS^-D®. 

Coquillart connaissait la cour et savait ce dent elle 
était capable; il devinait sans peine ses honteux marchés, 
et voyait les droits du clergé méconnu , les garanties don- 
nées aux fidèles par la constitution de Tétat foulées aux 
pieds. Autour de lui tout s'indignait : son âme avait pu 
soutenir le choc du malheur; elle ne put s'accoutumer à 
la corruption. Le citoyen s'irrita : le poète allait bientôt 
courir aux armes. 

L'homme de cœur devait subir encore d'autres décep- 
tions. La politique de Louis XI avait blessé les populations; 
des princes intrigants et ambitieux profitèrent du mécon- 
tentement général pour allumer le flambeau de la guerre 
civile au nom du bien public (1465). Les communes qui 
demandaient à grands cris la convocation des Etats géné- 
raux , crurent pouvoir les arracher au mauvais vouloir 
royal (i) : la bataille de Montlhéry mit fin à la guerre. 
En 1466, le traité de Gonflans satisfit personnellement 
les princes; une commission fut chargée de faire droit aux 
réclamations du tiers état et du clergé; le roi acheta les 
commissaires, et ils trouvèrent qu'entre les mains pater- 
nelle de S. H. la France était heureuse et que les gens diffi- 
ciles à vivre pouvaient seuls se plaindre. La nation était 
mystifiée; elle se plaignit hautement. Louis, pour éviier 
l'orage qui le menaçait, convoqua les Et^ts généraux à 
Tours; les séances ouvrirent le premier avril, jour de 
moqueur augure; les députés furent comblés de faveurs 
individuelles p aussi se déclarèrent- ils satisfaits, et au bout 
de douze séances ils se séparèrent sans avoir porté remède 
aux abus réels dont souffrait le pays. La même comédie 
fut représentée en 1470; elle eut le même succès. Sa ma- 
jesté, qui pouvait s'en dire l'auteur, fut, à la fin de la pièce, 

saluée par les acclamations unanimes des acteurs : 

ensemble ils partagèrent la recette. Le public avait payé, 
mais les spectateurs qui sifflèrent furent traités commegens 
turbulents, querelleurs, mauvais citoyens, ennemis du 
repos public : ils furent destitués, incarcérés, au besoin 
pendus comme vilains, ou décapités comme gentilshom- 
mes. Les romains de ce parterre monarchique reçurent 
croix et colliers, pensions et places, bénéfices et titres. 



(1) Voir au Glossaire les mots Trois Estais. 



XUJ 

et le roi put leur dire : amis, tirons le rideau, la farce est 

jouée. 

Au milieu de ces débauches politiques , les hommes 
graves gémissaient et attendaient des jours meilleurs. 
Jean Ju vénal des Ursins, à la tête de son clergé, luttait 
contre le torrent de la coiTuption et cherchait à s'entourer 
de gens probes et sérieux; il avait vite apprécié le mérite 
de Goquillart et l'avait nommé son fondé de pouvoirs ; 
pour parler lé langage du temps, il en avait fait son pro* 
cureur. A ce titre honorable s'attachaient de véritables 
fonctions; le procureur de l'archevêque de Reims était le 
second de ses ofticiers temporels. Le premier rang appar- 
tenait au bailli : c'était celui-ci qui rendait la justice au 
nom de l'archevêque. A Goquillart était réservé le rôle 
du ministère public : c'était encore lui qui représentait 
le prélat au conseil de ville (1470). Reims avait su 
défendre sous les deux premières races ses privilèges 
municipaux. Quand Clovis entra dans Reims^, Saint- 
Remi avait exigé de lui la promesse de les respecter; 
le prince avait tenu parole; ses succeseurs suivirent son 
exemple. Au milieu des troubles qui précipitèrent du 
trône les Garlovingîens, Reims devint le fief de ses ar- 
chevêques, et les libertés de la commune furent de temps 
à autre menacées. Elle les défendit, et plus d'une fois 
le peuple s'écria : reddatis libertates quas nobis pater 
Remigius sHpulavit. L'échevinage fut ébranlé mais il 
tint bon et eut foi dans l'avenir. Lorsqu'on 1358 l'An- 
glais menaça la France et marcha sur Reims, en pré- 
sence de l'ennemi commun, seigneurs et vassaux -se 
mirent d'accord : la cité se donna des chefs, le roi les 
reconnut et le conseil de ville fut institué. Le nombre de 
ses meinbres fut illimité d'abord, et le peuple en nommait 
autant que bon lui semblait. Les affaires se discutaient 
publiquement, et tous les assistants avaient droit de voter. 
En 1443, on arrêta que les conseillers de la ville neseraient 
plus que 25 : on y admit l'archevêque ou son procureur^ 
les deux sénéchaux du chapitre, les abbés de Saint-Denys 
de Reims, de Saint- Rémi et de Saint-Nicaise, deux éche- 
vins, quatre nobles, quatre marchands, quatre bourgeois 
et quatre praticiens . Le capitaine de la ville pour le roi , 
ou son lieutenant présidait l'assemblée (1). Cette réforme 
utile n'avait pas porté d'atteinte aux droits du peuple : 
tous les citoyens sans distinction continuèrent à nommer 



(1) Ce ne Ait qu^en 1483 qu'un lieutenant , chef de la com- 
mune , fut nommé par les habitants. 



XlV 

leur mandataires. Sans doute il n*y avait pas là de ces fie* 
lions ingénieuses qui plaisent aux nations éclairées : mais 
dans ces temps encore primitifs, on croyait avoir le droit 
de donner soi-même sa procuration; on se figurait qu'un 
mandat n'obligeait que celui qui l'avait accordé: erreur de 
droit, dont le XiX* siècle a fait enfin justice. La position de 
Coquillart était délicate, car il recevait aussi parfois la 
même mission de la confiance de ses concitoyens, et on 
rhonorait d'une des places réservées aux praticiens. 
Souvent les intérêts de la commune et ceux du haut 
clergé ne s'accordaient pas ^ mais le poète avait l'estime 
de tous. Habile et conciliant, il savait rapprocher les 
pouvoirs antipathiques, et il obtenait de chacun des 
concessions qui facilitaient et perpétuaient le bon accord. 
C'est ainsi qu'en 1470 la ville de Reims, écrasée d'impôts 
par la taille, les aides et la gabelle, voulut obliger les gens 
d'église à porter une partie de ces charges : ils refusèrent 
dabord, mais Coquillart fut chargé par la ville de traiter 
cette affaire, et elle se termina de manière à satisfaire les 
prétentions de chacun. En 1473, Reims perdait un digne 
prélat, la France un bon citoyen, l'histoire un sage écri- 
vain, Coquillart un noble protecteur, un sincère ami : 
Jean Juvénal des Ursins mourut le 14 Juillet. Ce fut à 
l'homme qu'il avait choisi comme son représentant devant 
la commune et aux pieds de la justice, qu'il voulut lais* 
ser encore le soin de faire exécuter ses dernières volontés. 
Les marques d'estimes données par un mourant, sont sé- 
rieuses et sincères. L'archevêque duc et pair de Reims , 
Juvénal des Ursins , allié à toutes les grandes familles de 
France, avait choisi comme exécuteur testamentaire 
l'humble praticien. C'était un honneur pour Coquillart. 
Le 15 Juillet il se présenta devant le chapitre réuni dans 
^ salle capitulaire, lui donna lecture du testament de 
l'illustre défunt, et requit l'assemblée d'octroyer à l'ar- 
chevêque la faveur d'être inhumé dans la cathédrale de 
Reims, devant le grand autel, ainsi qu'il l'avait demandé. 
Ce pieux désir fut satisfait. 

Les chanoines s'étaient réunis pour procédera l'élection 
d'un nouvel archevêque; déjà leur choix était fait, quand 
Louis XI leur signifia qu'il daignait leur donner pour chef 
Pierre de Laval : il les menaçait du poids de sa colère, s'ils 
ne s'inclinaient devant son bon plaisir. Le chapitre se sou- 
mit, mais après une énergique protestation : il allait 
bientôt porter la peine de son indépendance. En 1474, les 
Anglais menacent d'envahir la France: partout on relève 
les vieux remparts; de tous côtés on court aux armes, le 
roi nomme capitaine de Reims Raoul Cochinart, sieur de la 



XV 

Brosse, son maître d'hôtel et son échanson. A celle époque, 
Coquillart était dans la force de l'âge : Pierre de Laval lui 
avait confirmé les pouvoirs qu'il avait déjà reçusdeJu vénal 
des Ursins. La considération dont il jouissait» allait toujours 
croissant : au conseil de ville il siégeait toujours et comme 
élu par ses concitoyens, et comme mandataire du prélat. 
L'opinion publique le signalait comme un homme capable 
et bon patriote. Cochinart fut obligé de le nommer Tun 
des commissaires chargés de veiller aux fortifications de la 
ville. £n 1475, l'armée d'Edouard IV remit le pied sur le 
sol de la France; le péril devenait imminent; les travaux 
marchaient avec un redoublement d'activité. Cochinart, 
alors à Lyon, envoyait aux commissaires des ordres rigou- 
reux et terribles. Bientôt il arrive à Reims; il avait reçu de 
Louis XI des pouvoirs illimités et il en abusa sans scrupule. 
Il oblige tous les citoyens à prendre la pioche : il met 
la hotte sur le dos des moines, il attéle femmes , vieillards, 
enfants à la brouette ; pour se procurer des pierres et des 
matériaux il détruit les bâtiments inutiles qui se trouvaient 
à Reims et aux environs: tout était pour le mieux, et jus- 
que-là rigueur n'était que du zèle. Mais Cochinart et ses 
commis comprirent bientôt le parti qu'ils pouvaient tirer 
de leur mission. Us se mirent à exiger à Reims et dans les 
villages voisins des sommes considérables, destinées, di- 
saient-ils, à payer les ouvriers: ils se les partagèrent; ils 
rançonnèrent le clergé séculier et régulier, et vendirent aii 
poids de l'or l'exemption de la corvée. Les mécontents ne 
furent pas épargnés : leurs dépouilles enrichissaient le 
capitaine de Reims et ses complices. On s'en prit bientôt 
aux propriétés des archevêques; Coquillart et tous les 
ofiiders de Pierre de Laval les défendirent et résistèrent 
aux dém^isseurs. Cependant le prélat s'était ému , et le 
14 Juin 1477 il parvint à se faire donner le gouvernement 
de la ville; déjà il réparait le mal fait par Cochinart; ses 
commis allaient être condamnés comme concussionnai- 
res quand il réussit à faire disgracier M. de Reims. Le 
20 Juillet suivant, Regnault Doulcet, lieutenant du 
bailli de Vermandois, se transporte à l'abbaye de Saint- 
Denis, où se trouvaient réunis les officiers de l'arche- 
vêque : là, au nom du roi, il est défendu à Pierre de 
Laval de se dire lieutenant du roi à Reims. Le prélat 
était absent, et ce fut à Guillaume Coquillart que fut faite 
cette brutale notification : il fallut obéir, et Reims trembla 
de nouveau. Cochinart s'était fait donner des pouvoirs 
plus absolus que les précédents. Il revint à Reims à la tête 
d'hommes d'armes qui lui sont dévoués : ses adversaires 
sont violentés et rançonnés; on arrache à Coquillart son 



XVI 

linge de luxe et cinquante écus d'or ; on le précipite dans 
de noirs cachots. Les exactions du voleur officiel n'ont 
plus de bornes : il fait partir de Reims plusieurs chariots 
pleins de meubles avec d'autres bons citoyens, et se fait 
donner plus de 100,000 écus; onze mille à peine sont 
employés au service du roi. Il oblige le chapitre à nom- 
mer son fils curé de St-Jacques. Ses complices Hugues 
Olivier, Pierre Tiret, Robinet et J. Parinet pillent les 
habitants pour leur propre compte^ et à la face de la po- 
pulation consternée, ils dépensent en honteuses débauches 
le produit de leurs rapines et de leurs violences. Gocbinart 
ne put jouer longtemps ce rôle tyrannique, le peuple s'in- 
digna et ses murmures obligèrent le capitaine à remettre 
les prisonniers en liberté. Tant que Louis XI vécut, il 
protégea son mandataire contre les plaintes de Pierre de 
Laval et des Rémois; ce ne fut que sous Charles VIII que 
la réaction eut lieu et que justice fut faite. 

Coquillart ne pouvait plus garder le silence : pillé , 
maltraité, traîné en prison comme un malfaiteur, il avait 
une revanche à prendre : il la prit. Sous la force brutale 
son corps avait plié, mais son âme était restée debout , et 
l'homme de lettré allait punir l'injure faite au citoyen. 
Son œuvre devait survivre aux circonstances qui l'inspi- 
rèrent et traverser les âges : de siècle en siècle les gens 
de cœur répétèrent avec le poète : Mépris aux ministres 
des rois qui spéculent sur leur pouvoirs, vendent leurs 
faveurs et s'enrichissent des deniers du pauvre, honte 
aux gouvernements qui savent toutes ces infamies et ne 
les répriment pas. 

C'est en 1478 que Coquillart ouvrit la campagne : il ne 
devait la terminer qu'à la mort de Louis XI. Il écrivit 
d'abord le plaidoyer d'entre la Simple et la Rusée et l'en- 
quête qui suivait le procès. La date de 1478 se trouve 
dans la seconde de ces pièces. Deux jeunes femmes sont 
épiises du même galant : on l'appelle le Mignon. L'une 
d'elles, la Simple est son nom, l'aima la première. Mais la 
Rusée, parisienne, aimable et entreprenante, lui a dérobé 
le cœur de son bel ami et l'a troublée dans sa paisible pos- 
session. Le procès s'engage et l'on plaide au posseisoire. 
Le poète attaque directement les abus de la procédure 
suivie de son temps, la vénalité des avocats, qui, pour de 
l'argent, plaident toutes les causes; la cupidité des magis- 
trats qui, pour avoir de belles et nombreuses épices, sa 
prêtent à tous les incidents, inventés par la chicane. Il 
peint à grands traits les mœurs relâchées de son siècle et 
couvre de ridicule les scandaleux procès soutenus par 
gens d'église, qui se disputaient les bénéfices donnés aux 



XVlj 

uns par rautorité régulière, aax autres par la cour de 
Rome ou celle de France. Cesdébats étaient fréquents alors, 
et le poète parodie les moyens qu'on plaidait de part et 
d'autres. Le tribunal déclare les parties contraires en fait et 
ordonne l'enquête. Ici l'épigramme prend un caractère plus 
net : sa voix est plus accentuée; ses traits vont droit au bi)t 
et frappent à coup sûr. L'auteur continue d'abord à rire 
des procès entamés au sujet des bénéfices, et des combats 
que se livraient le possessoire et le pétitoire. Il s'amuse 
à mettre aux prises, suivant l'usage du temps, le droit 
romain et le droit canon. Goquillart, après avoir raillé les 
magistrats qui ont rendu le jugement, traite aussi mal 
ceux qui ont entendu les témoins : par exemple il place 
parmi eux maistre Regnault Prendtout: c'est ainsi qu'il 
désigne peut-être ce Regnault Doulcet, qui remit Gochi- 
nart en fonctions. £nfin , on lit l'enquête : parmi les 
surnoms dérisoires et les qualifications ironiques dont le 
poète écrase les témoins, la satyre sérieuse a pris place : elle 
fait comparaître tour à tour le soldat voleur et vagabond, la 
femme galante, la religieuse débauchée, le prêtre sans 
mœurs, l'agent du fisc avide et concussionnaire, et l'offi- 
cier ministériel incapable et indigne de son rang. Le haut 
clergé n'est pas épargné : les agents de Cochinart et ceux 
qui les imitaient sont signalés par des sobriquets inju- 
rieux. Les détails de mœurs abondent dans cette pièce : 
les allusions railleuses s'y enchaînent. Au milieu de cette 
pluie de sarcasmes l'intention du poète se devine sans 
peine : parfois la prudence la voile : souvent elle apparaît 
nue comme la vérité. 

Goquillart critiquait les abus pour en provoquer la ré- 
forme; il flagellait les mœurs pour les rendre meilleures. 
Afin d'atteindre son but, il ne suffisait pas qu'ileût raison : 
il fallait qu'il fût populaire. C'était à l'homme de lettres 
à faire écouter le sage : aussi dut-il avant tout consulter 
le goût du public. Comme il le dit luî>même, il cherchait 
les mots nouveaux, c'est-à-dire les expressions à la mode; 
qu'est-il arrivé de là? c'est que son style est parfois en 
avance sur celui de son époque, parfois il est inintelligible. 
Le temps ne ratifie pas toujours les caprices d'une matinée; 
une locution a du succès, parce qu'elle contient une allusion 
maligne. Elle fut une plaisanterie de bon aloi ; mais le fait 
qu'elle concernait s'oublie, et elle devient sans valeur. Tel 
fut le sort de quelques-uns des mots nouveaux adoptés par 
le poète. Mais aussi que d'expressions heureuses choisies 
par lui sont restées dans la langue populaire ! Les unes 
sont devenues proverbes , les autres servent encore d'armes 
légères à là plaisanterie. Les termes qui font image et ren- 

2 



• • • 

;viij 

dent une idée avec originalité^ grâee ou chaleur, sont 
toujours les meilleurs; la foule les saisit, le peuple les in- 
scrit dans son dictionnaire. Dans les poésies de Coquillart, 
ils sont sans nombre. ^Le public alors aimait les jeux de 
mots; s'ils le faisaient rire, il leur pardonnait leur licence 
et leur audace» On ne rougissait pas d'entendre donner à 
chaque chose son nom, si la brutalité du style amenait une 
image plaisante, une allusion comique. Notre poète dutsa- 
crifier aux travers de son temps le bon goût et la décence : 
sansdoute il eût pu suivre l'exemple de Martial d'Auvergne, 
son contemporain et son confrère, cet auteur à l'âme si 
tendre à l'esprit si délicat, liais Goquillart n'écrivait pas 
pour les gens de cour qu'il méprisait et qu'il livrait à la 
risée publique. Il travaillait pour la nation, il futcontraint 
de s'incliner devant elle. Si c'est un tort aux yeux des 
muses, il faut convenir qu'il n'est pas inexcusable. Heu- 
reux qui peut préparer des réformes politiques avec des 
calembourgs, et corriger les mœurs à coups d'équivo- 
ques : séduire la foule en la faisant rire ne sera jamais 
un crime. Au surplus, le poète pouvait invoquer pQur 
sa défense des exemples notables. L'abus des jeux de 
mots était poussé si loin, qu'on en trouvait même dans 
les actes sérieux, dans les ordonnances royales : les 
termes grossiers, les locutions graveleuses qu'on n'aime 
pas à voir dans Goquillart, et qu'on y rencontre trop 
souvent, se lisent dans les lettres de la chancellerie, 
dans les arrêts des parlements, dans les règlements de 
police. Poètes et prosateurs en usent sans scrupule; 
l'éloquence de la chaire s'en empare, et les sermons 
de Michel Menot et d'Olivier Maillard, ces deux hardis 
prédicateurs, laissent à cet égard bien loin derrière eux 
le railleur champenois. Il fallait que le style eût alors 
des allures bien franches, pour que devant toute la cour 
de Charles YIII Goquillart fit des plaisanteries qui bles- 
seraient aujourd'hui tes auditeurs les moins sévères. Avec 
plus de sagesse et de pureté, Goquillart aurait laissé une 
mémoire plus classique : l'académie française aurait 
peut^ire daigné feuilleter ses œuvres. Mais il eût été moins 
populaire, on ne l'aurait ni compris ni même écouté: 
chez lui le fond aurait péri sous la forme. La verte licence 
de son langage donne à son style une tournure dégagée et 
sans façon qui plait à l'esprit. Ghez lui pas de périphrases 
hypocrites, pas de circonlocutions rampantes et endor- 
mies ; tout est clair , ou tout devait l'être. Mais oserait-on 
aujourd'hui reprocher à l'auteur quelques obscurités que 
ses œuvres présentent. On ne peut consulter ses manus- 
crits : ils n^existent plus. Les premières éditions de ses 



poésies caustiques sont pleines de fautes roatérièlles. La 
prudence de Téditeur n Vt-ella maintes fois mis un Toile 
sur la lumière trop vive» et émoussé le trait trop aigu? Au- 
cun contemporain n'a commenté les œuvres de Coquillart* 
La génération qui suivit la sienne les comprenait et ne 
chercha pas à les éclaircir. Elles n'opt pas eu le bonheur , 
comme celles de Villon, de trouver un éditeur dans Jean 
Maroty ni comme celles de Rabelais d'ère étudiées et illus* 
trées de siècle en siècle. C'est un malheur, et nous pou* 
vous le reprocher à la littérature des XYl* et XVIl^ siècles. 
Un travail fait en temps utile nous eût révélé mille 
détails de mœurs, mille allusions politiques aujourd'hui 
inintelligibles. Il eût doublé l'intérêt du Plaidoyer et de 
l' Enquête f et la valeur historique de la satyre des Droite 
Nouveaux qui les suivit de près. 

Louis XI s'était fait vieux; il devenait de plus en plus 
jaloux de son pouvoir et écoutait les projets de réforme qui 
devaient le consolider, t Depuis longtemps, dit Ph. de 
Commines, il avait à contre-cœur plusieurs choses dont il 
haïssait son parlement de Paris* » Ce corps célèbre avait 
pris une position indépendante, s'érigeait parfois en assem- 
blée nationale, rendait des édits et contrôlait les actes du 
gouvernement. Pour mettre un terme à cet état de choses, le 
roi voulut soumettre à la même organisation les tribunaux 
de toute la France, faire rendre la justice en son nom et Im- 
poser à toutes lesprovinces un seul et même codeémanéde 
sa toute puissance. L'entreprise était grande, Charles Yll 
en avait eu l'idée, et de temps à autre les états généraux 
Féclamaieni sa mise à exécution. £n 1479, pour y parve- 
nir, le roî décida que d'abord on constaterait l'état de la 
législation sur tous les points du royaume. En f 481 il or- 
donna que les coutumes, usages, stiles et communes ob- 
servances de chaque baillage seraient rédigés par écrit. 
Le 17 août, le bailli de Vermandois reçut l'ordre de nom- 
merles commissaires à qui serait confiée cette importante 
besongoe. Le 10 octobre suivant, Coquillart faisait partie 
des quatre jurisconsultes que l'on chargea de cette intéres- 
sante collaboration. Le praticien se mit à l'œuvre : bientôt 
ce long travail fut adressé au bailli de Vermandois et envoyé 
par lui au grand conseil de sa majesté. Révisé en 1507 , il 
i^sta manuscrit jusqu'en 1555, et fut imprimé peu de temps 
avant d'être retouché pour la seconde fois. 

La rédaction des coutumes de France conduisait non 
seulement à l'unité de la législation, mais elle avait pour 
résultat immédiat la substitution d'un texte de lois précises 
à rafbitrairedesjuges, aux capricesde leur mémoire, àl'in- 
ceniti/KJe de$ preuves par témoins. Elle permettait de fixer 



XX 

un grand nombre de points douteux, de réformer lesabaf 
delà procédure, et de remplacer perdes principes puisés 
dans les lois anciennes et approuvés par la paison et l'ex- 
périence, les traditions singulières et barbares, consacrées 
par la routine. Le roi, dans son intérêt, rendait à ses 
sujets un service réel. Cette réforme avait ému toutes les 
classes; elle en faisait espérer d'autres : le nouveau code 
était un sujet de conversation à Tordre du jour. GoqulUart 
saisit avec ardeur cette occasion de livrer aux vices et 
aux scandales publics un nouvel assaut. Vous voulez saioir 
ce que sont les Droits nouveaux y s'écria-t-il un jour! je 
vais vous les lire, vous les expliquer. 11 monte en chaire, 
liais avant d'aller plus loin, il est temps d'apprendre au 
lecteur ce que l'auteur était devenu. En 1474 , CoqutUart 
prenait le titre de licencié en droit; procureur de l'arche- 
vêque, il plaidait aussi comme avocat devant les autres 
tribunaux de la ville; il était ce qu'on appelait praticien en 
court laye. Plus tard il avait pris un nouveau grade :'on 
l'avait reçu docteur en décret; il avait fait des éludes en 
théologie et il avait fini par entrer dans les ordres. Quels 
motifs l'arrachèrent au monde pour se jeter dans la carrière 
ecclésiastique? nous l'ignorons; mais voici ce qui advint. 
Le chapitre de Reims était seigneur d'une partie de la ville; 
il donnait à ses membres des hôtels et d'honorables re- 
venus. Dans le monde il élait célèbre par son érudition, et 
le grand nombre de cardinaux et de prélats sortis de son 
sein. Pour être nommé archevêque de lieims, il fallait 
avoir fait partie du chapitre : aussi les grandes familles de 
France avaient-elles de tout temps recherché pour leur fils 
les prébendes de Notre-Dame. Plus d'un prince du sang 
avait obtenu cet honneur. On ne se laissait pas toujours 
éblouir par l'éclat des écussons, et si le chapitre accueil- 
lait parfois l'aristocratie de naissance, il y appelait souvent 
aussi celle du mérite et du savoir; c'est ainsi qu'il savait dé- 
fendre son indépendance et augmenter la considération 
dont il jouissait. £n 1482, la 57** prébende vint à vaquer; 
Pierre de Laval et son chapitre la donnèrent à Coquillart; 
mais, nous l'avons dit, les collations régulières n'avaient 
plus de valeur. Le poète devait être aussi victime des abus 
de son siècle, et se trouver réduit à lutter contre les pro- 
tégés de la cour de Rome. Un nommé Jaques Quentinet fait 
signifier à Coquillart qu'il ait à renoncer au titre que lui 
donnait le collateur ordinaire; à l'appui de ce comman- 
dement il exhibe les bulles de grâce expectative qui lui 
confèrent préventivement le canon Icat vacant. La lutte s'en- 
gage au possessoire comme au pétitoire. Quentinet s'aperçut 
des difiicultés qu'il aurait ai vaincre : repoussé par le clergé» 



XXI 

mal vu de la population, il se lira d'affaire en homme d'es- 
prit et de bon goût, et se laissa passer de vie à trépas 
naturellement et sans effort. Cet à propos lui valut sans 
doute quelques regrets. 

Le 21 Avril 1483 donc, messire Guillaume Coquillart 
s'assit dans sa sialle de chanoine, et dès lors il recul et goûta 
paisiblement les fruits de sa prébende : c'était alors Coquil- 
lart le vieux (senior). D'autres hommes de son nom, des fils 
peut-être, ou des neveux entraient dans le monde. Le vieil- 
lard se retirait pour leur faire place. Il avait vécu en hom- 
me d'honneur, aussi s'en allait-il pauvre : et si, dans ses 
derniers jours, il avait trouvé l'aisance et une noble retraite, 
il les (levait à l'estime du clergé rémois, à l'affection de ses 
^concitoyens. L'archevêque lui laissa le titre et les fonctions 
de son procureur, et les Rémois continuèrentà l'appeler au 
conseil de la ville. 11 était chanoine quand 11 écrivit les Droits 
Nouveaux : aussi dès le début fait-il connaître sa nouvelle 
dignité: il annonce qu'il va mettre sa toque de docteur et 
sa chape d'honneur. Les dignités ne l'avaient pas changé, 
et sous les soieries et les dentelles de l'homme d'église com- 
me sous la bure du praticien , nous trouvons toujours le 
frondeur. Hais s'il revêt le costume du prêtre, il a grand 
soin de ne pas profaner par des plaisanteries indécentes le 
style ecclésiastique. C'est toujours au langage du barreau 
qu'il fait ses emprunts, ses allusions. 11 ne prêche pas, il 
fait un cours de législation. Ce n'est pas le chanoine qui mé- 
dit de son prochain : c'est l'avocat qui flagelle la société. Le 
cadre éea Droits Nouveaux est large : il y a place pour tous : 
Roi, pape, grands dignitaires de l'état et de l'église, moines 
et gens d'armes, députésol femmes galantes vonts'y trouver 
' peints. Parfois l'artiste est prudent : sur quelques coups de 
pinceaux trop audacieux il jette un nuage prolecteur. 
Amour et coquetterie, luxe et débauches sont ses adver- 
saires avoués : il les attaque franchement. Bourgeoises et 
fillettes, damoiseiles et femmes du peuple subissent le feu 
de plus de deux mille vers. Galanterie, vanité, amourette 
de cœur, luxure brutale leur sont reprochées sans pitié. 
11 fait aussi la. guerre à la frivolité, des jeunes gens de son 
temps, à leur toilette ruineuse et surtout à leur lougue che- 
velure. Le poète revient cent fois à la charge, cent fois il 
change la forme de ses traits, mais ils vont au même but. 
Puis quand le combat est engagé, il profite du trouble de la 
mêlée pour commencer son assaut politique. Toutes les co- 
lères de Coquillart se font jour. Le volcan éclate, et cette 
société qui brille^ règne et domine, expie sous le fouet de 
la satyre ses faiblesses et ses infamies. L'auteur frappe à 



XXIJ 

coups redoublés sur le veau d*or, cette idole si vieille et tou- 
jours jeune^ toujours debout, toujours encensée. Il ditcom- 
ment cette puissance infernale saisit, garrotte et précipite 
dans le gouffre du deshonneur probité de négociant, vertu 
civique, bonnesmœursde la famille, respect des lois, patrio- 
tisme et principes religieux. C'est pour avoir de l'or que 
Rome a sollibité la réi ocation de la pragmatique; c'est pour 
avoir de l'or qu'elle vend les bénéfices, lesdispenseset toutes 
ses faveurs. Pour del'argenl l'Université oublie ses devoirs, 
le prêtre sa dignité, le souverain pontife sa haute mission. 
Appuyée sur des sacs d'écus, la monarchie brave les plaintes 
du peuple et les clameurs de ses chefs. Elle attend de pied 
ferme les attaques des états généraux. Sous sa pluie de col« 
tiers, de places, de pensions, les batteries hostiles s'étei- 
gnent : devant des arguments à la voix argentine et bien 
trébuchants, les plus farouches adversaires se convertissent 
en danseurs souples et lestes : sa majesté tient les ficelles 
et fatt manœuvrer les marionnettes. Que de pirouettes ! 
que de sauts ! il y a foule sur la corde des voltigeurs; rois 
et danseurs s'entendent rapidement. La salle des séances de- 
vient un lieu de trafic : les députés se font marchands , 
courtiers en denrées. Pensions, toques de magistrats, 
riches abbayes, gras prieurés, privilèges commerciaux, 
monopole d'industrie, mitres épiscopales, riches maria- 
ges, dispenses de Rome, dignités ecclésiastiques, places 
de cour, lettres de noblesse, dotations en terre leur sont 
partagés. Aussi sont'-ils parfaitement satisfaits, ces loyaux 
députés ! qu'ils sont doux et complaisants : ils vont où 
l'on veut, s'habillent comme on veut, parlent français ou 
latin, chantent ou se taisent, courent à la messe où à la 
guerre. Le poète les affuble d'une galvardine, pardessus 
flottant, aux manches larges en forme dé sac et garni de 
poche, costume symbolique qui dénote à ses yeux le vray 
estât de marchandise. Avec de pareils moyens des minis- 
tres gouvernent avec impunité. Leur impudence peut en- 
tasser mensonges sur parjures, perfidies sur lâchetés. En 
achetant des amis et des approbateurs, on meurt au milieu 
des honneurs, on blanchit dans les affaires. Eu vendant sa 
conscience on a des hôtels et des titres, on assure son 
avenir et celui des siens. Mais on a joué le peuple, on a ri 
de ses plaintes, on a foulé sous ses pieds le faible et le 
pauvre. On irrite la moitié de la nation après avoir volé 
l'autre. Aux gens de cœur on a substitué les gens d'affaires. 
Le vieil honneur national a péri sous les serres de l'égoîs- 
me et de la cupidité. La foi politique, les affections tradi- 
tionnelles hésitent et s'éteignent. Les esprits s'interrogent : 



•• » 



XXUJ 

le doute parle, la raison prêle l'oreille : puis un jour Tes- 
prit de réforme perce (i), élève la voix et prépare des 
révolutions. Les mauvaises passions s'arment : Tordre 
social est ébranlé; les factions déchirent la patrie, et le 
peuple demandé des comptes sévères à ceux qui ont sali 
le passé et compromis l'avenir. — Ceci s'adresse au feu 
roi Louis XI et aux députés de 1468 et de t470 : qu'ils 
reposent en paix. 

Toutes ces poésies ne furent imprimées que sept ou huit 
ans après la mort du roi : mais avant, elles circulaient, et 
bardi'fut l'auteur qui les écrivit. 11 eut peu d'imitateurs; 
citoyen obscur, il ne pouvait défendre le peuple : il le 
vengea. Le nom des La Balue, des Tristan et autres suppôts 
de Louis XI est aujourd'hui flétri d'une marque indéléliile. 
Et après quatre siècles on répète encore l'anathême du poô* 
te : honte à qui marchande la conscience d'autrui ! honte 
à qui vend son âme et son honneur ! 

A peu près à la même époque (2) Goquillart écrivait une 
autre satyre. Son Monologuedu Gendarme casséesi un drame 
à un seul personnage. Un homme d'armes s'est fait chasser 
de sacompagnieparson inconduite; misérable à son tour^ il 
assemble ses camarades et leur conGe ses regrets et ses dé- 
sirs. Cette première partie de la pièce est un tableau mor- 
dant des mœurs de la soldatesque. Leurs fantaisies désor- 
données, leurs vices et leurs violences y sont signalés. Au 
milieu de ces récits de débauches il est un trait qui rejaillit 
au pied du trône (5). Enûn le gendarme, désespéré de voir 
ses beaux jours finis, s'en prend à la société, qu'il déchire 
cruellement. Les moines sont livrés à la risée publique : 
Coquillart flattait ainsi la jalousie du clergé séculier contre 
le clergé régulier , et signalait en même temps des scanda- 
les trop réels : puis il prend à partie non plus les hautes 
classes sociales, mais la geni ouvrière. Homme de con- 



(1) Tola reani summa ad status advenit, nec eis est suppli- 
catione ulenaum nui fro modo. — Regnum dignitas est, non 
hereditas. — Ad utilttatem euam sîbi quUque fopulus rec- 
tores eligebat. — Nonne crebro legistis rempuolicam, rem 
populi esse. — Et imprimis vobis probatum esse velim rem 
publicam rem populi esse , et regibus ab eo traditam^ eosque 
qui vi vel aliàs, nullo populi consensu, eam habuere , tyran- 
nos crudeles et cUienœ rei invasores. — Discours de Ph. Pot, 
S' de la Roche, dépaté de Bourgogne aux états-généraux de 1484, 
mort eo 1494. — Procès-verbal des états de 1484^ publié par 
les ordres de M. de Salvandy. 

(2) 1473 - 1493. — V. au Glossaire le mot Briol 

(3) V. au Glossaire le mot Mente. 



xxiv 

science, il lui dit des vérités dures mais sages: pour être 
utile au peuple , il ne craint pas de risquer sa popularité. 
Les ouvriers de son temps dépensaienten folles débauches, 
en toilettes ridicules le fruit de leur travail. Une journée 
dévorait le gain d'une semaine : il tourna en ridicule ces 
désastreuses folies : derrière elles il montre la misère qui 
s'avance et leur succède rapidement. Cette tirade satyrique 
n'est pas celle qui fait le moins d'honneur au poète. Ce 
n'était pas un homme à railler les artisans pour plaire à 
la cour, à flétrir les grands du monde pour flatter les gens 
de journée. Apôtre de la vérité, il ose la dire à tous. Sa 
franchise faisait sa force. Ce n'était ni le factieux, ni 
l'écrivain gagé par un parti qu'on écoutait: il s'érigeait 
• en censeur: il devait rester impartial, il le fut. Le courage 
plaît à tous, et le poète qui n'avait ménagé personne, ne 
cessa pas de jouir de l'estime générale. 

Coquillart n'était pas toujours aussi sévère, et ce n'était 
pas dans le fiel qu*il trempait sa plume toutes les fois qu'il 
en usait. Deux de ses petits poèmes ne renferment que des 
malices innocentes et des railleries sans amertume. I*ious 
voulons parler des Monologues du Puy et de la Botte de 
Foing; la date de leur composition est difficile è fixer : on 
n'y trouve pas d'allusions historiques très-précises : sans 
doute on pourrait conduire le lecteur dans un labyrinthe 
d'hypothèses, mais comme le fil qui devrait l'aider à en 
sortir n'est pas trouvé, nous abandonnerons la question 
à sa sagacité. Ces deux contes furent faits pour être récités 
dans de joyeuses et jeunes assemblées. Le narrt^teur se 
donne pour le héros des aventures dont il entretient le pu- 
blic. Il devait joindre à la parole les gestes^ le jeu et le 
oostume de son rôle. Coquillart sans doute joua lui-même 
ces petites parades. L'une d'elles, le Monologue de la Botte 
de Foing, fut longtemps connu sous le nom de Monologue 
Coquillart, C'est sous ce titre qu'elle fut impiimée pour 
la première fois. Il prouve Ja diversité des talents du poète 
qui savait être auteur et acteur, et le renom dont il 
jouissait À cette époque. Le sujet de ces deux opuscules 
est le même. Dans l'un comme dans l'autre, un galant ob- 
tient un rendez-vous d'amour chez une femme mariée. 11 
y court; mais le mari revient à l'improviste : où fuir? 
Dans l'un des Monologues, le galant se cache dans un 
grenier plein de foin , et finit par se sauver. Dans l'autre il 
se précipite dans un puits. Il en sort miraculeusement. 
Mais le guet le prend pour un voleur et leconduiten prison : 
tous deux racontent au public leurs mésaventures. Comme 
on le voit, on rit depuis longtemps des petits malheurs du 
bonheur. Dans ces réeitS; le poète n'a pas cherché le scan- 



XÎV 

dale : les deux Lowelace ne sont ni des ministres, ni des 
pairs de France. Ce son^ simplement deux étourdis^ deux 
élégants à la mode. Quoique de pareils sujets n'aient rien 
de gravé, il est évident que le poète n'a pas seulement 
voulu mettre en vers deux anecdotes scandaleuses. Ce 
qu'il peint avec une spirituelle ironie, ce sont les mœurs de 
son temps, faciles et dissolues; c'est l'insouciance et la 
frivolité des jeunes hommes du siècle. Aubades, chan- 
sons, bals, toilette^ galante cavalcade , caquets et propos 
d'amour, faisaient le fond de leur vie : ce sont là les ri- 
dicules que le poète montre au doigt. Philippe de Gom- 
mines critique aussi en prose sérieuse la nullité de la 
jeunesse du XV" siècle, le vide de son existence, son 
ignorance et sa fatuité. Honstrelet, les prédicateurs Menot 
et Maillard, blâment les mêmes ridicules, les mêmes tra- 
vers. Mais notre poète n'a pas voulu faire un sermon; 
avant de quitter la scène, il provoque flûtes et tambourins, 
et donne le signal de la danse. 

Dans toutes ces poésies sérieuses ou légères nous re- 
trouvons le s^le du poète, avec ses qualités et ses dé- 
fauts, ses malices et ses équivoques. S'il eut le tort de se 
laisser aller au torrent du mauvais goût, il paya cher ce 
manque de tact. Son nom fut ridiculisé par Rabelais. 
Clément Marot, à l'entrée de sa carrière, alors que le vieux 
satyrique terminait la sienne, lui fit une épitaphe rail- 
leuse; elle n'est qu'une suite de jeux de mots (1). L'in- 
scription gravée sur la tombe de Coquillart a péri. 
L'épigramme tumulaire a survécu : le nom de son auteur 
la sauve de l'oubli. Dans ce monde chaque faute a sa 



(1) Coquillart avait fait des mots coquin et coquard les syno- 
nymes de cocu ; il prononçait coquin , coquard. — Rabelais dit 
dans le même sens Coquillart. — Voici Tépitaphe composée par 
Marot : 

La morte est jen pire qii*an;c quilles 
19e qu*aux escliets ne qu'au quiilart. 
A ce meschant jen Coquillart 
Perdit sa rie et ses coquiUes. 

La morre était un jeu de cartes , et le quiilart un jeu de quilles. 
La morre est là pour la mort — Le poète , de chanoine était 
devenu noble , et avait pris des armes parlantes , il portait d'azur 
au chevron d'or, à trois coquilles de même, deui chef une en 
pointe. — Marot avait trop de goût pour n'avoir vu dans Coquil- 
lart que des équivoques futiles. Dans une autre pièce il cite notre 
auteur comme Tbonneur de la Champagne et une des notabi- 
lités littéraires du XY*' siècle. 



XXVI 

peine. Celle que subit le poète est cruelle; elle ne finira 
qu'au jour où le gouffre de l'oubli engloutira ses œuvres 
et celles de C. Marot. 

• Coquillart n'était pas un homme d'opposition systéma- 
tique, et en 1482 il avait chanté la paix conclue par 
Louis XI avec l'empire d'Autriche. D'autres événements 
allaient lui rendre parole, le lancer encore une fois dans 
l'arène, et le rapprocher de cette cour où sa jeunesse 
avait perdu toutes ses illusions. 

Louis XI était mort. Les communes relevaient la tête, 
la noblesse et le clergé secouaient le joug qui depuis 
SO ans pesait sur eux. Anne de Beaujeu, régente de 
France, convoqua les états généraux à Tours. Les séances 
furent orageuses. La souveraineté du peuple y fut procla- 
mée; on posa en principe que la nation avait le droit de 
déposer les monarques qui abusaient de leur pouvoir. Les 
factieux prolitèrent de cette réaction pour fomenter des 
troubles. Coquillart eut le plaisir de voir les députés si- 
gnaler tous les abus qu'il avait ridiculisés. Les Doléances 
des états et le discours qui les résuma, renferment toutes 
les accusations du satyrique : c'était un succès pour son 
amour-propre; mais il ne lui tourna pas la tête. Toujours 
impartial et bon citoyen, avide de sages réformes, mais 
ennemi de folles révolutions, il donna dans quatre bal- 
lades de bons conseils aux différents partis qui menaçaient 
de diviser la France. La prudence d'Anne de Beaujeu , la 
fermeté des états parvinrent pour le moment à conjurer l'o- 
rage, et Charles Yl II partit pour aller se fai re sacrer à Keims. 
Il y arriva le 29 Mai 1484. Une jeune fille lui présenta les 
clefs de la ville et récita quelques vers de circonstance, 
composés par notre auteur. L'estime de ses concitoyens 
lui réservait un honneur plus grand. Quand le prince ar- 
riva devant la porte de la cathédrale, il fut reçu par 
l'archevêque et tout son clergé : décote, s'élevait une 
estrade richement décorée; elle portait Coquillart. C'est là 
(qu'il récita son Blason des Armes et des Dames, Pour la 
soixante-deuxième fois, il voyait revenir l'hirondelle et les 
neiges fuir devant leà roses. Mais le cœur du vieux chanoine 
était encore brûlant de patriotisme, riche d'indépendance 
et déjeunes souvenirs; à sa verte franchise, l'âge n'avait 
rien enlevé. Son début fut hardi : c'était le résumé des 
rêves de sa vie. Il regarde en face les courtisans, les fa- 
voris de Plutus, les enfants gâtés du sort; il les voit cou- 
verts de broderies , émaillés de croix et de colliers. Moi , 
s'écrie-t-il, je ne suis qu'un pauvre homme de lettres : la 
fortune a trahi mon courage, mais je suis riche d'honneur 
et je méprise la cour. Après cette audacieuse sortie, le poète 



XXVIJ 

songe à son principal auditeur, il devine ce qui se passe 
dans cette jeune âme, et pour lui plaire il chante la gloire 
et l'amour. 

Cette fois le praticien se tait, c'est Guillaume GoquiU 
lart le jeune qui parle. Il a reconquis toutes les croyances 
de ses beaux jours : son regard brille; son cœur bat; sa 
voix s'anime. Ecoutez : entendez-vous le rude cliquetis 
des armes et le doux bruit des baisers; ici les chnnts da 
victoire, là les tendres soupirs. Le poète laisse échapper 
le cri qui frappa son enfance : haine à l'Anglais, haine à 
l'étranger : il oublie les perfidies de l'amour, et du doigt 
il montre à Charles VllI un chemin semé de fleurs et de 
roses. 

La France entière connaissait le rêve de son jeune mo- 
narque. La gloire des conquêtes était la seule qu'il com- 
prît. Déjà d'imprudents amis lui peignaient le royaume de 
Naples comme son patrimoine, et le poussaient à passer les 
monts. Coquillart avait flatté la passion de son cœur: 
mikis en homme prudent, en sujet fidèle, il avait voulu le 
préparer à recevoir on sage avis ; après avoir célébré les 
armes et les dames, il finit par dire : s'il est glorieux de 
combattre et de vaincre, c'est surtout quand on défend 
son pays, ses autels et sa liberté. Charles VIII oublia les 
derniers vers du poète, et bientôt il commença cette 
guerre d'Italie, qui devait coûter à la France tant 
d'hommes et tant d'écus. 

Coquillart avançait en âge, mais son activité ne vieil- 
lissait pas, ses travaux littéraires ne nuisaient en rien 
aux diverses fonctions qu'il avait à remplir. Charles VIII 
avait ordonné une levée de gens de pied en Champagne 
et en Picardie. Le bailli de Vermandois fil connaître à la 
ville de Reims le coniingeot qu'on exigeait d'elle : la com- 
mune réclame, elle envoie deux députés à Laon : ils sont 
porteurs d'un mémoire; il était rédigé par Coquillart. On 
lui avait confié le soin d'exposer les réclamatiqns de ses 
concitoyens (1486 - 1487). 

A la même époque, des difficultés assez graves s'éle- 
vèrent entre Tarcbevêqueet la ville. Le gardien d'une des 
portes de Reims avait été battu, les malfaiteurs furent 
arrêtés » poursuivis et condamnés devant les magistrats 
municipaux. Pierre de Laval intervient, il réclame les 
coupables et les traduit devant son bailliage. Comme sei- 
gneur de Reims , jouissant des droits de hante justice, il 
se prétendait seul juge compétent de tous les méfaits 
commis intrà-muros. Cette question avait une grande 
importance. La ville reconnaissait la suzeraineté du pré- 
lat, mais elle lui refusait la seigneurie des portes , le droit 



xxvuj 

de les garder et d*y faire la police : elle ne remeitaii ses 
clefs qu'au roi. Encore entendait-elle qu'elles lui seraient 
rendues. Alors, l'amour des rémois pour leurs lihertés 
était grand. Elles constituaient la fortune et la noblesse du 
pauvre, la puissance de la bourgeoisie, Tindépendance 
delà noblesse locale. Aussi, le lieutenant des habitants 
protesta-t-il en plein conseil, au nom de la commune, 
contre cet empiétement judiciaire. Coquillart était pré- 
sent, il dut soutenir les droits de son mandataire, et il 
appela au parlement de la protestation de \n ville. 

Les archevêques de Reims avaient érigé de nombreux 
offices en fief, leurs titulaires avaient des droits seigneu- 
riaux : les uns étaient honorifiques, les autres donnaient 
lieu à des perceptions de différents genres. Au nombre de 
ces titres féodaux étaient celui de panetier de Reims. 
Pendant les XIV* et XV* siècles, les boulangers et les 
pâtissiers ne cessèrent de secouer le joug et de lutter con- 
tre les prétentions de cet oflicier. Dans' chaque procès, 
l'archevêque intervenait pour prendre le fait et cause de 
son vassal. En i486 et 1487, l'affaire fut portée au par- 
lement de Paris; Coquillart figure dans la procédure, et 
c'est sans doute à sa plume que l'on doit les mémoires 
adressés à la cour par l'archevêque (1). 

Ces luttes, soutenues contre la commune et ses habi- 
tants, n'enlevaient à Coquillart ni l'estime, ni l'affection 
publique : on respectait ses lumières, et on rendait jus- 
tice à son esprit impartial et conciliant. Dans, les procès- 
verbaux de cette époque, on l'appelle toujours honorable 
homme et sage maislre Guillaume Coquillart. Lorsqu'en 
i486 Haximilien voulut essayer de reconquérir l'héritage 
de la maison de Bourgogne , Reims se mit sous les armes, 
notre poète fut Tun des douze commissaires chargés de 
veiller à la défense de la cité : le clergé lui confia le soin 
de le protéger contre les exactions des hommes d'armes. 

En 1487, le chapitre de Reims lu4 donnait une preuve 
d'estime, en le nommant chanoine de Sainte-Balsa mie. 
On nommait ainsi une église collégiale, sise non loin de 
la célèbre basilique de Saint-Nicaise. Les prébendes, au 
nombre de douze, étaient à la collation du chapitre. 
Bâtie dans un quartier couvert de couvents, de chapelles 
et d'églises, celle de Sainte-Balsamie était pauvre. Ses 
prébendes, sans importance financière, étaient à peu 



(1) V. Archives de Reims, 2* partie, i**' vol., page 370. 
M* Pierre Varin. 



près bonoriûques; aussi personne ne songeait à disputer 
au chapitre ses droits de collateur ordinaire. 

Cependant la guerre continuait; Tennemî menaçait 
d'entrer en Champagne; les cultivateurs fuyaient de tous 
côtés et se jetaient dans Reims. On nomme un conseil de 
guerre pour établir le bon ordre, visiter les fortiGcations 
et les mettre sur un bon pied. On eut encore recours à 
Texpérience et au patriotisme de Coquillart^ et le poète fut 
du nombre des élus sur le fait de )a guerre. Au mo- 
ment du danger on compte ses forces, et Reims constata, 
non sans douleur, que la population était diminuée. Une 
commission fut chargée de remédier à un mal aussi sé- 
rieux : Coquillart en fît partie, ce fut lui peut-être qui 
rédigea la requête présentée au roi : 1488. — En 1 400, Pb. 
de Croy, gouverneur de la ville, est obligé de s'ab- 
senter précipitamment ; il écrit à la commune une lettre 
d'excuse, et il ne nomme que trois personnes dans l'a- 
dresse : le lieutenant des habitants, celui du bailli de 
Yermandoiset Guillaume Coquillart; ce fait prouve la con- 
sidération dont celui-ci jouissait. La suscription de la 
lettre ne lui donne pas de titre, c'est au citoyen qu'elle 
s'adresse: son mérite le plaçait à la tête de la commune. 

L'archevêque avait aussi voulu récompenser les ser- 
vices de Coquillart, il l'avait nommé oflicial. En cette 
qualité, il était à la tête du tribunal ecclésiastique. Le clergé 
du diocèse métropolitain relevait de son tribunal. A quelle 
époque fut-il promu à ces importantes fonctions? nous 
l'ignorons, mais il est certain qu'il les a remplies. Le 
chanoine Weyen, auteur d'un grand travail sur les ca- 
nonicals de Reims, a lu l'épitaphe de Coquillart, et il 
constate,, dans le résumé qu'il nous a transmis^ que 
parmi ses titres se trouve celui d'official. 11 en était in- 
vesti quand parut la première édition de ses œuvres. Ce 
fut vers 1491 (1) qu'elles furent livrées à l'impression. 
De tous les événements de la vie du poète, celui-ci ne 
fut pas le moindre. L'opinion publique allait enfin le 
juger comme homme de lettres, et ses poésies se mettaient 
en marche sur la grande route de la postérité. Cette fois le 
Monologue duPuys et celui du Gendarme cassé ne furent pas 
édités : ils n'ont vu le jour qu'en 1525 > longtemps après 



(i) V. Notice sur les édiliom de Coquillarl, en tète du second 
volume — La date de cette édition peut être discutée ; mais on 
remarquera que dans celles qui Tont suivi on a soin de dire que 
Coquillart n'est plus : au contraire, dans celle-ci on le désigne 
comme un homme encore de ce monde. 



XXX 

la mort de l'auteur. La première pièce est inoffensive, et 
nous ne comprenons pas le motif qu'eut le poète de ne pas 
la publier. Les hardiesses du Gendarme caisse expliquent au 
contraire d'une manière suffisante pourquoi le poète et 
l'imprimeur ont mieux aimé retarder leur apparition 
dans le monde littéraire. En présence de cette omission , 
on s'est demandé si le Monologue du Gendarme caste 
était bien l'œuvre de Goquillart : nous ne balançons pas 
à nous prononcer pour raffirmaiive. Le poète, dans ses 
autres poésies , a soin d'éviter les allusions qui peuvent 
blesser ses concitoyens; il ne nomme jamais Reims: Paris, 
les parisienset les parisiennes sont toujours en jeu. Dans le 
Monologue du Gendarme^ au contraire, la villede Reims est 
nommée; on y trouve le nom d'une famille rémoise alors 
existante, et une dlusion au cumul d'évèchés qu'on pouvait 
reprocher à Pierre de Laval. On reconnaît partout le style 
de Coquillart, et surtout sa haine contre les perruques : 
il les attaque avec un tel acharnement^ que le public 
avait surnommé cette pièce de vers le Monologue des Per- 
ruques. 

Cette suppression , faite dans l'édition de diQi • sans 
doute avec l'assentiment du poète y a conduit les biblio- 
philes à se faire une autre question : connaît-on bien 
toutes les œuvres poétiques de Guillaume Coquillart? Cette 
fois, je pencherai volontiers pour la négative. Ainsi, 
le Procès de la Simple et de ta Rusée n'est pas terminé, à 
la fin des Droits nouveaux le poète annonce que son cours 
n'est pas fini ; il promet de le continuer, et il était homme 
à tenir parole. Au début du Blason des Armes et des 
DameSf il dit qn'il a chanté les chevaux , les lévriers , les 
héraults d'armes, les échansons, les escuyers: ^s œuvres 
connues n'en parlent pas. 

Au surplus, notre opinion sur ce point n'est pas nou- 
velle , et de tout temps on a voulu augmenter le bagage 
littéraire du poète. 

En 1521, paraissait un livre in-8®, imprimé à Paris, 
en caractères gothiques, pour le célèbre libraire Ker- 
ver: ce rare volume, intitulé Sylva nuptialis, est une lon- 
gue et mordante satyre contre les femmes. On le doit à 
un Italien, Jean Nevisano, professeur de droit à Turin. 
Il accumule contre les dames les accusations de tous 
genres , et cite à l'appui de sa thèse de nombreux auteurs 
contemporains, itprès divers noms des XY" et XVi* siècles 
il ajoute : < Et in lingua etiam gallicâ. Cuil. Coquillart, 
in lib, : Des droits nouveaux , in le Débat des dames et des 
armes, iniib. le Trop tard marié et de la Louange et 
beauté des dames, et le Purgatoire des mauvais maris... 



xxxi 



et in Ubro TAvocat des dames de Paris allant aux par- 
dons. • François Hotman, sur la parole da Névîzan , at- 
tribue aussi à Coquillart le Purgatoire deg mauvais Maris, 
et 1^ Avocat des Dames allant aux pardons de Saint^Trottet : 
(Matagonis de Matagonibus monitoriale, tit-8** absque loco, 
4575.^ En 1584, paraissait à Paris » chez Abel Lange- 
lier, Ja Bibliothèque française de Lacroix du Haine, et 
comme Hotman, il donnait aussi à Coquillart le Purga- 
toire des mauvais Maris et l'Avocat des Dames. 

L'exemple était donnée un éditeur qui ne s'est pas 
nommé allait encore surenchérir sur ces erreurs litté- 
raires. On ne prête qu'aux riches, et c'est un tort, parce 
qu'ils n'ont pas besoin qu'on leur prête : Coquillart était 
dans ce cas-là. Cependant on vit apparaître à Paris, en 
1597, un volume in-8°, intitulé (Kuvref (/e CoquillarU 
On y trouvait, avec ses œuvres avouées et incontestables, 
une foule d'autres pièces joyeuses ou saty riques. Les unes 
comme la Farce de Pathelin ne pouvaient être de lui; les 
autres avaient des auteurs très-connus, de ce nombre étaient 
des poésies empruntées aux Œuvres de Villon et de Roger 
de 6)llerge, le célèbre abbé des Fous. Celte édition, 
je n'en ai jamais vu d'exemplaire a paru suspecte à dont 
M. Brunet^ auteur du savant Manuel du Libraire^ et 
homme fort compétent en pareilles questions. 11 pense 
que sa date est toute de fantaisie, comme son titre, et 
qu'elle fut faite pour la satisfaction d*un bibliophile du 
XVII* siècle: elle oe peut donc servir de titre à personne. 

Nevizan est étranger à la France : il est probable qu'il 
n'avait pas lu Iqs Œuvres de Coquillart, Le Débat des 
Armes et des Dames n'est pas une satyre contre les femmes, 
c'est un poème en leur honneur. Le petit poème de la 
Louange et beauté des Dames parut à Paris pour la pre- 
mière fois vers l'an 1500; le Purgatoire des mauvais 
Maris fut imprimé à Bruges pour la première fois, vers 
1480; les auteurs de ces deux opuscules sont inconnus. 
Les éditeurs français qui ont publié les (JEuvres de Co^ 
quillartf pendant sa vie et peu de temps après sa mort, 
n'ont jamais songé à les revendiquer en son nom. On 
remarquera d'ailleurs que ces deux pièces parurent de 
son vivant, et que dès lors il aurait pu les réclamer; 
comme elles sont inoffensives, il pouvait les avouer sans 
danger : il l'aurait fait s'il en avait eu le droit. 

L* Avocat des Dames de Paris, touchant les pardons de 
saint Trottet, se termine par un acrostiche dans lequel 
l'auteur se désigne sous le nom de Maximien. Cette énon- 
cialion suffît pour faire retrancher cette pièce des Œuvres 
de Coquillart, La complaîncte du Trop tard Marié est 



XXXlj 

de l'illustre Pierre Gringore *. il se nomme aussi dans un 
acrostiche de huit vers, qui termine cette facétie. 

Sans doute il est intéressant de découvrir les auteurs 
des enfants trouvés de la littéraluie : mais une paternité, 
même en fait de poésies légères, ne doit pas s'imposer 
sans examen. De nos jours encore on a gratifié Coquillart 
d'une progéniture anonyme. Quand après la mort de 
Charles ?iodier, ce roi des bibliophiles, on vendît les 
derniers trésors delà bibliothèque, on inscrivit au catalo- 
gue, sous le nom de Coquillart, un petit poème intitulé 
la Louange des Rois de France, imprimé à Paris par 
Euistachè de Brie, le 17 juin 1507. 

Ce titre est celui d'une satyre historique contre la ré- 
vocation de la pragmatique sanction : c'est là sans doute 
ce qui a pu faire supposer que Coquillart. zélé défenseur 
des libertés de l'église gallicane, en était le père. Mais on 
y trouve aussi l'éloge de Louis Xll, et des allusions aux 
victoires' qu'il remporta en 1507 sur la république de 
Gènes. A cette époque notre poète vivait encore, mais il 
avait 87 ans : il ne devait plus écrire. Dans ce poème 
historique se trouvent de nombreux détails qui prou- 
vent jusqu'à l'évidence qu'il n'en est pas l'auteur. 
Ainsi les gens du parlement énumèrent les archevêchés 
et les bénéfices que le pape donne à ses favoris, et ils ne 
disent pas un mot de ceux de la Champagne. — Ailleurs 
on lit ces deux rimes : 

Cestui Clovis , dont avons devisé , 
Par saint Denys receut crestienté. 

Un rémois n'eut jamais mis en vers pareille hérésie. 
Nous ne chercherons pas à découvrir l'auteur delà Louange 
des Bois de France; il nous suffit d'établir que ce n'est 
pas Coquillart. Nous ne pouvons donc rien ajoutera ses 
œuvres déjà publiées. Ne les comptons pas, jugeons-les, 
et nous trouverons que le nombre en est assez grand 
pour illustrer celui qui les composa. 

Leur apparition dans le monde produisit sensation. 
On n'y vit ni le pamphlet d'un factieux, ni l'œuvre d'un 
esprit frivole et licencieux; c'était tout un acte d'accusa- 
tion. Le vice baissa la tête et les honnêtes gens applaudi- 
rent. Le clergé ne s'indigna pas des attaques dirigées 
contre ses membres impurs; Charles Ylil et Louis Xll, 
tous deux rois absolus, tous deux rois par la grâce du 
ciel, luttèrent contre les abus et n'inquiétèrent pas le 
poète qui les signalait. Sa liberté ne fut pas menacée , 
son triomphe fut complet : c'était celui de la morale pu- 
blique. 



XXXllJ 

Ses confrères saisirent avec joTe une occasion d'honorer 
en lui le champion des bonnes mœurs. En 1493» il fut 
nommé grand-chantre; cette dignité était la troisième du 
chapitre;, elle donnait la police du chœur et la présidence 
dans lés assemblées des chanoines, en Tabsencé du doyen 
et du prévôt. Le nom du grand-chantre se trouvait, avec 
celui de ces deux dignitaires » en tète de tous les actes' 
capitulaires. 

Pierre de Laval était mort ; le chapitre, redevenu libre, 
élut pour son successeur Robert Briconnet : ce fut à 
Coquillart que fut conâé le soin de solliciter près du 
pape la confirmation de cette élection. On récompensait 
ainsi le champion des droits deVÉglise. 

Trois ans après ^ uyi traité'de paix rapprochait la France 
de l'Angleterre; il dut être approuvé et ratifié par les états 
de chaque province. Les trois ordres du bailliage de Ver- 
mandois envoyèrent à Laon leur député > et ce fut Guil- 
laume Coquillart qu'élut le clergé du diocèse. Soixante- 
quinze fois l'hiver avait passé sur sa tête; mais à la voix 
du pays, il retrouva ses forces et se rendit à l'assemblée 
nationale. Le serment fui prêté : devant Dieu, devant les 
élus du peuple le vieillard jura d'oublier sa haine et sa 
défiance contre les gens d'Angleterre; au nom du clergé 
rémois il promit d'observer cette paix si longtemps at- 
tendue. En 1497, Tarchevêque de Reims mourut, et le 
chapitre nommait à sa place le cardinal Guillaume Bri- 
connet, et lorsque Tannée suivante le nouveau prélat fit 
dans Reims son entrée solennelle, ce fut notre poète qui 
prononça, au nom du chapitre, la harangue d'usage. 
Cet acte solennel fut le dernier de sa vie publique. Lea 
honneurs qu'il venait de recevoir couronnaient dignement 
sa carrière; l'estime de ses concitoyens l'entourait tou- 
jours, et la popularité, cette amie inconstante, caressait 
encore ses cheveux blancs. Tout finit ici bas, et Thomme 
assez heureux pour avoir placé son nom dans une au- 
réole brillante, ne doit pais attendre qu'elle s'éteigne : il 
doit, s'il est sage, quitter la scène avant qu*on ne lui 
crie assez. Ainsi fit Coquillart : il passa dans la retraite 
les dernières années que Dieu devait lui compter, il avait 
vu la France conquise sous Charles VI, déchirée par la 
guerre sous Charles Vil, opprimée et jouée sous Louis XI, 
sacrifiée sous Charles \ill aux rêves d'une folle ambi- 
tion ; il eut là consolation de voir Reims renaître et pros- 
pérer sous Tépisoopat de Robert de Lenoncourt , le père 
des pauvres, et la pairie vivre heureuse et libre sous 
Louis Xil, le père du peuple. Le ciel avait béni ses vœux 
les plus chers: ses derniers jours furent paisibles, et 
a 3 



xxxiv 

en 1510, alors qu6 la prairie s'émaîlle de fleurs, le dou- 
zième jour du mois de mal, il s'éteignit sur le sol qui 
rayait tu naître; ainsi le rocher qui brava mille tem- 
pêtes, s'écroule un jour miné par l'âge; ainsi le chêne, 
que l'ouragan n'avait pu faire plier, tombe à la fin sous 
la faux du temps. Goquillart avait passé dans ce mpnde 
près de quatre-vingt-dix ans, et pendant cette longue 
carrière, il n'avait cessé de marcher d'un pas ferme dans 
le sentier de l'honneur. Il s'était nommé le povre hon- 
neste fortuné : ses contemporains avaient confirmé ce 
noble surnom. La postérité devait le consacrer (1). Il 
laissait sa famille considérée , et pendant plus d'un siècle 
elle allait briller de la gloire acquise par son chef, et re- 
cevoir, de génération en génération, la récompense des 
services qu'il avait rendus au pays (^). 

11 fut inhumé dans l'enceinte du chapitre, et l'on 
creusa sa fosse au pied de la bibliothèque, à l'angle de 
ce bâtiment, du côté de l'église, près du transsept sep' 
tentrional , en face du portail sis à la gauche du specta- 
teur et décoré du bas-relief du jugement dernier. Une 
dalle de marbre noire fut posée sur les restes du poère; 
une inscription latine la distinguait des sépultures voi- 
sines. L'homme de cœur reposait près de ces livres qu'il 
avait tant aimés, au milieu de ses frères qui l'avaient 
tant chéri. Quand un ami des lettres venait visiter Notre- 
Dame de Reims , son palais et son cloître, s'il prononçait 
le nom du poète populaire et demandait à voir sa tombe, 
pendant plus de trois siècles on put lui répondre : Nous 
veillons sur ses cendres; elles sont là. 

Un jour les bacchanales révolutionnaires passèrent par 
la grande église : tout fut souillé, tout fut détruit; l'asile 
des chanoines fut démoli; leurs tombeaux furent violés; 
des pavés chassèrent leurs dalles; une rue passa sur tou- 
tes ces ruines, et le peuple foula d'un pied indifférent 
des débris désormais sans nom. 

Hais dans ce monde tout ne périt pas avec les mo- 
numents et les mausolées : la Providence a voulu que, 
même ici bas, après la mort, chacun fût traité sui- 
vant ses œuvres. A celui qui n'a rien fait pour être utile 



(!) L^édition des (ouvres de Coquillart\ publiée à Lyon en 
1535, 26 ans après sa mort, acco.le à son nom de ArABH 
TYXH. 

(2) V. au Glossaire : Recherches sur la famille de G. Co;wt7- 
lart. 



XXXV 

sur la terre» oubli ; au méchant qui usa da sa force pour 
écraser le faible, et de son or pour corrompre la Tertu, 
bonté étemelle ; au pauvre plébéien qui servit son pays et 
resta pauvre, au poète qui flétrit le vice et chanta nos 
victoires nationales, à Guillaume Goquiliart, long et glo- 
rieux souvenir. 



P. TarbÉ, 



LE PLAIDOYER 



DB 



COQUILLART 



ARGUBOSNTi 



Beai beHes se disputent le coeur d'un Jeune gâtent; 
l'une d'elles , la Simple , se dit le premier objet de ses 
afléctions. La Rusée est venue frauduleusement troubler 
ison bonbeur et lui enlerer son bel ami. — Celle-ei 
n^est pas disposée à restituer Tobjet du litige ; elle le 
possède et prétend le garder. Sur cette sérieuse alAirey 
les Avocats ont construit un procès en complainte, et 
l'on plaide en possessoire. Le tribunal , après avoir écouté 
Vattaque et la défense , déclare les parties contraires 
en liût et ordonne une en<piéte. 

Le cadre de cette plaidoirie se retrouve dans 
les spirituels arrêts d^amour de Blartial d^Auvergne; 
mais cet aimable littérateur ne songeait qu'à plaira, et 
n y a réussi. Le poète rémois vise plus baut : en amu- 
sant le public , il attaque de front de graves abus; il si- 
gnale avec vigueur la paresse et la cupidité des magis- 
trats, la mauvaise foi , le dévoûment vénal des avocats ; 
il montre les gens de lois, de tous rangs, de toutes 
robes prêts à exploiter à leur profit les ressources de la 
«bicane et les afbires des pauvres plaideurs. A la fin 
de cette moralité à dix personnages , l'auteur se met 
lui-même en scène et résume en quelques vers son 
acte d'accusation. La littérature et lliistoire du XV* siècle 
nous sont venues en aide ; notre glossaire contient les 
renseignements ^qu'elles nous ont fournis. 

Le plaidoyer d'entre la Simple et la Rusée n'est donc 
pas une oeuvre badine et firivole ; on la doit à la plume 
d'un bon dtoyen; il a payé sa dette au pays; qu'après 
la mort il en reçoive la récompense. Semons lauriers et 
fleurs sur sa tombe : cela ne peut tirer à conséquence : 
les gens de cœur sont rares. 



M* Piimmi Hafpaet. 

M» OoB*»T BE Mai. Gah». ^ ^,„„«^ jw/.gr. 

M* GuiLLÂUm L*AB4TTIUm. 
M* jAOQQBt L*Av#AICTli. 

La Sikp^b. 

Là Evsix. 

Ls MxovoB. 

M* Simnr , jÉvoeai dg U Simple. 

M* ÛLiTiim DB FEfti raBa4HT| Ayocat de U Rusée, 



ley comeice le Pliydoyer de Cofiillirt, 
d'entre la Simple et h tisée. 



MAiSTRE smoN , premier Advocat. 

Monsieur Maistre Jehan TEstoffé , 
Qui trenchez là de Fespousée , 
Oyez le plait fort escbauffé (1) 
D'entre la Simple et la Rusée : 
Que la cause soit si traictée , 
AfBn que on entende le cas. 

LE JUGE. 

Sus donc , qu'elle soit despechée ; 
Faites appeler Advocatz. 

MAISniB SIMON. 

Deffault (La Rusée n'y est pas) 
A la Simple. 

LE JUGE. 

Deffault ayez. 

MAISTRE OUVIER. 

Je m'oppose quant à cela ; 
J'ay procuration. 

MAISTRE SUiON. 

Montrez ; 
L'a point partie faict revocquer, 
Puis le temps qu'elle la passa? 



6 



MAISTRE OLIVIER. 



Je cuyde que vous vous mocquez ; 
Riens du monde. 

LE JUGE. 

Faictes paix là , 
A coup, qu'on entende à voz dictz. 

MAISTRE sniON en plaidoyant dit, 

A la Simple , pour qui je suis , 
Demanderesse et complaignant 
Contre la Rusée par ses dictz (1) 
Deffenderesse et opposant , 
En cas , en matière pourtant 
De saisine et nouveUeté , 
Gompete et aussi appartient 
Ce que sera cy recité. 

Et premier, il est vérité 
Que la nature féminine 
La pluspart du temps est encline 
A appeller le masculin ; (2) 
Présupposant cette doctrine , (3) 
Car nous tendons à cette fin ; 
Pourquoy ladicte Simple , affin (4) 
Qu'elle eust ses désirs assouvis 
A toute heure , soir ou matin , 
A son plaisir, à son devis , 
A elle , selon mon advis , 
Tout en son propre et privé nom 
Appartient ung amy acquis , 
Dit et appelle le Mignon ; 
Duquel , à juste tiltre et bon , 
Elle pouroit le petitoire 



Intenter ; mais riens , nous venons 
Tant seullement au possessoire. 

Et pour bien entendre Tbystoire , 
Cest amy estoit ung fricquet , 
Ung gorgias , comme on peult croire , 
Hardy , vaillant , loyal , secret : 
Quant il trouvoit de nuyt le guet , 
Ne failloit à frapper ou batre ; 
Tousjours en tuoit six ou sept, 
Posé qu'ils ne fussent que quatre. 
—Qui est-<5e ?— qui vive 7 et de combatre, (1) 
Clif , dof — franchement, et de hait. 
— L'ung à la boue , l'autre au piastre. 
— Demeurez ribault — pas ung pet 
Tenant ung espée en effect , 
Quand on vit qu'il chargeoit si bien , 
Et vêla mon cousin le guet, 
Tantost de brouer le terrien. 
— Qui a ce fait ? — je n'en sçay rien : 
Quelque Laurens , ou Maistre Pierre , 
Msustre Olivier, ou Maistre Jehan. 
— Qu'il soit prins — qu'on l'envoyé querre ; 
On le labourra comme terre ; (2) 
Posé que aultmy Tait faict ou non , (3) 
Foncez ; il en avoit la guerre, 
— Efchecq àl'huys — c'est faict — c^est mon. 

Et par ainsi onc ce mignon 
Estoit ung homme hault et ferme 
Pour dire franchement bon bon 
En curialité , en gendarme 
Dire : par la foy de mon ame , 
Madame , je vous ayme bien. 
Je ne suis Jacopin , ne Carme ; 



s 

Dieu mercy ! j'ay assez du mien. . 
Par le ventre bieu 1 ung maintien (1) 
EsveiUé comme ung beau lepvrier ; 
(n fault dire éi^ Mon le Jùan) 
A parler, franc coHune uag osîer ; 
Six robbes cbeat son coostttrier, 
Huit ou dix gris, bnHi, gris changeant , 
Et^sept ou huit chez le drappier , (2) 
Qui ne tiennent que pour l'aigent (8) 
Qu'il ne iust homme assez plaisant, 
Hardy, secret » adventoreux : 
Si estoit bien propre , et duysant. 
Et faict pour ung yray «moiareux. 

Geste Simple en faisoit ses jeux , 
Si le tenoiten pension; (A) 
Et d'icelluy est « se m'ust Dieux » 
En très bonne possession. 

En possession et ssûsine 
De soy dire , porter, nommer 
Vray Dame, seule et encline 
A l'entretenir et aymer ; 
(Seullement qu'elle l'eust mandé , 
S'il eust esté oultre la mer, 
n s'en venoit royde et bandé, (5) 
La lance au poing , faisant grant diere ; (6) 
Aultrement il eust amendé 
Et eust payé la folle enchère. ) 
De soy renommer droictyriere , (7) 
Ancienne, vraye possesserea^ , 
Et comme de ce coustumiere , 
Par droit juste detenteresse , 
Maistresse, amye singulière 
Par raison occupateresse , 
Gomme du sien propre heritaige : 



9 

Brief ladicte demanderesse 
Le tient pour sien: vêla Tusaige. 
n estoit si courtoys, si saige, 
Et avoit voulenté si franche. 
Que , s'elle eust voulu , pour tout potage , 
Elle Teust mis dedans sa manche. 

En possession et saisine 
De rédifice laiKHirer , (1) 
Luy faire prendre médecine 
Pour plus amptement pasturer, 
Puis tost rire, puis souspirer, (2) 
Et s'il a maintint trop farouches (3) 
Le faire tourner , et virer, 
Et galoper plus drus que mouches , 
Faire ralias, escarmouches, 
Dancer, et cent mille fatras , 
Luy fûre suer grosses souches 
D'or à vmgtMpiatre cpiaras , (&) 
L'aller attendre au galetas, (6) 
Craintif, peureux , froit et swUet. 

Elle s'en venoit pas à pas : 

— Quoyî— quest^eî— quia-il?— etde het. 

— Quoy?-comment?-que fusse en effect? 

— Tout est en Dieu — passe — revîen. (6) 

— Dicte, hé ! ne voulez vous rien? 

— Faictes tout à vostre s^petît. 
Il estoit si faict au deduyt 

Et si aspre, (aussi estoit elle). 
Qu'il ne leur failioit nul respit , 
Délay , grâce ne quinquemelle. 
Gelluy ne demandoit que celle ; 
Et y en eust-il ung millier, 
Ung tel ne queroit qu'une telle ; 
Vêla , à tel pot , tel culier. 



10 

De le faire de nuyt veiller (1) 
Et estarder par dessus tous , (2) 
Il estoit Tamy singulier ; 
Elle le faisoit à tous coups. 

En possession et saisine 
De prendre, cueillir, percevoir 
Rente , revenue masculine 
Et tout ce qui luy peult escboir , 
Exiger par tout , recepvoir (3) 
La dépouille : quant on labeure , (4) 
Au moins n'en peult on que d'avoir (5) 
Ce qui en vient, (c'est chose seure) 
De povoir lever à toute heure 
Les fruitz , prouffitz et esmolumens , 
Entre deux vertes une meure , (6) 
(Ainsi que on ferre les jumens) 
Gomme baisiers , embrassemens , 
Aubades , cent mille bons tours 
Et generaUement tous biens 
Qui pevent escheoir en amours : 
L'aller entretenir tousjours ; 
Tous les ans le jour des estraines , 
Luy donner coletz de velours , 
Saintures , chapperons de migraines, (7) 
Chausses et souliers à poulaines : 
De prendre telz chatz sans mitaines , (8) 
Vous sçavez que c'est ung abbus ; 
Vêla le refrain. — Au surplus , 
Quant elle sentoit le motif, 
Il failloit qu'il vmt sus ou jus 
La fournir à son appétit : 
Car qui ne fonce de quibiis, (9) 
Prester l'appétit sensitif. 

Il se monstroit ardant , hastif , 



11 

Serchant par tout comme ung furon : 
Et si n'estoit jamais rétif, 
Farrouche , ne dur à Tesperon : 
Et la tenoit en son giron 
Baiser assez , tel ty, tel my : (1) 
Il sembloit que le quarteron 
Ne leur en coustast que demy. 

Elle disposoit d'icelluy 
Ainsi que de sa propre chose : 
Et comme son privé amy 
Le tenoit en sa chambre close. 
D'aultres prouffitz , sans longue pose , 
En f estes, en nopces, en banquetz, 
Une violette, une rose, 
Une marguerite , ung bouquet , 
Quelque bague , quelque affiquet 
Pour dire : hon ! vous y pensez. 
Estoit-ce faictî — s' on le picquoit, 
C'est-à-dire : recommencez. 
Et d'estre ensemble assez, assez , 
Ilz en estoyent tous coustumiers , 
Comme deulx beaux coulons ramiers. 

De tous biens d'amours singuliers 
Elle en est en possession , 
Dont je me tairay voulentiers , 
Pour plus bref expédition. 

En possession et saisine , (2) 
Qu'il n'est loysible ne ne loist 
A femme , commère ou voisine , 
Ou de quelque estât qu'elle soit , 
Qu'elle ne peult , et si ne doit 
Donner trouble et empeschement , 
Ne s'efforcer d'y avoir droit 
Contre ladicte complaignant. 



12 

Et n'est loisible aucunement 
A homme ou femme , hault ou bas » 
De le tenir secrètement, 
Ne aussi d'en faire ses choux gras , 
Ses grans chieres, ses ralias 
De gueulle , ses gaudeamus. 

Nous avons pour nous sur ce pas , 
Loix , chappitres gros et menus , 
La reigle de droit, au surplus , 
Qui dit pour résolution 
Ce mot : Quod qui sentit anus , 
Sentire débet commodum. 
Beau Sire , c'est dommaige don , 
(Ou ce sont motz bien feriaux) (1) 
Que la Simple bâte le buisson 
Et ung aultre en ait les oiseaulx. 

Ubi de hoc? — ^aux veaux 1 aux veaux I (2) 
Cela c'est affaire au nyetz ; 
Ce sont des paraphes nouveaulx 
Des droitz de la Porte Baudetz. (3) 

En possession , et saisine 
Que ladicte deffenderesse , 
Posé qu'elle soit sa voisine, 
Ne peult estre detenteresse , 
Ne aussi occupateresse , 
Au grief préjudice , dommage (4) 
De ladicte demanderesse ; 
Car pourquoy ? ce n'est pas Tusaige. 

D'aultre costé si elle saige , 
Pour esviter plus grands despens , 
Qu'elle laisse ce tripotaige , 
Ou qui ne m'entend je m'entens. 

En possession , et saisine 



< 



IS 

Que , ce ung quidam je ne sçay qui , 
Ou quelque femme , tant f ust fine , 
Pretendoit droit à cest amy , 
Pour vouloir user d'icelluy 
Et en recepvoir les proffitz , 
De le rendre dès aujourd'huy (1) 
Piteux comme ung beau crucifix : 
Et s'ilz faisoient aucuns proffitz 
De la troubler, ou empescher , 
Contredire aux droits dessus dictz , 
De le faire réintégrer, (2) 
Remettre sus et restaurer (3) 
Au premier estât deuSment , 
Amender tout et reparer 
Par Justice et autrement. 

Ou se quelqu'un , ne sçay comment , 
Faisoit plus telle abusion , 
Le contrsdndre suffisanmient (A) 
De faire satisfaction. 

Et desquelles possession (5) 
Et droitz , ladicte complaignant 
A, pour toute conclusion, 
Joiiy et usé plainement 
Par dix , vingt , trente ans franchement : 
A faict ce qu'elle en vouloit faire 
Par tel temps , et si longuement 
Qu'il n'est mémoire du contraire , 
En mesmement sans soy distraire , 
Depuis ung an et jour en ça , 
Ainsy comme il est tout notoire , 
Jusques à ce que dès pieça , 
(Je ne sçay qui la conseilla) 
C'est une , que on dit la Rusée, 
ftint cest amy et l'emmena , 
Aflin d'en faire sa traînée , 



14 

Par voye indeuë et diffamée; 
C'est ce doût-il est question , 
Parquoy , la Simple est empeschée 
En sa bonne possession. 

Et après inhibition , 
Et maintenant sans séjourner , 
Gomme appert par relation 
Du Sergent, la faist adjourner 
Par devant vous, pour procéder 
Contre elle , et à la vérité , 
Pour cause et matière intenter 
De saisine et nouvelleté : 
Si concludz qu'il soit adjugé 
A la Simple ledit mignon , 
Par vous , Maistre Jehan TEstoffé ; 
Et la maintenez , veuille ou non (1) 
La Rusée , en possession 
Et saisine dudict amy ; 
Et vêla ma conclusion. 

Oultre , se ceste matière cy (2) 
Estoit trop longue et ennuyeuse , 
Qu'elle ait la recreance aussi 
De la chose contentieuse. 

Et que plus n'en soit curieuse, 
Sur peine de cent mars d'argent , 
Ceste Rusée , ceste baveuse , 
De luy donner empeschement 
Ne aidcun trouble doresnavant. 

Et si requiers tous coust et fraitz , 
Avecques restablissement , 
Despens , dommaiges et interetz 
Par moy mis , soustenus , et faitz 
En ceste cause : et jprotestans 




16 

De toute ayde ; pour tous metz , 
Goncludz et demande despens. 

LE JUGE. 

Nous'avons oûy voz moyens 
Et voz' raisons , sans faire pause. 
Maistre Olivier de près prenant , 
A coup deffendez vostre cause. 

MÂISTRE OUYIER. 

Oûy son playdoyé , je cause 
Chose qui sert à mon office. 

LE JUGE. 

Dictes , sans faire longue pause ; 
Soyez bref ; il est nécessaire. 

IIAISTRE OUYnSR. 

Monseigneur, nous avons cy affaire , 
Pour la Rusée. 

LE JUGE. 

Or vous couvrez , 

MAISTRE OLIVIER. 

Grant mercy : je ne m'en puis taire , 
Car elle a bon droit. Vous orrez 
Soit en deffendant, comme avez 
Oûy ce que dit a esté 
En. la matière que sçavez , 
De saisine et nouvelleté. 

Or dy-je , quoy que ayt recité 
Monsieur T Advocat qui là est , 
Que mon propos est bien fondé , 
Et que mon faict est clair et net. 

Et dit la Rusée en effect , 
Pour monstrer son intention , 



16 

Que passé a long temps elle est 

En très bonne possession 

De cest amy , de ce migaon , 

Et que à certain et juste Tiltre 

Elle en a l'acquisition , 

Comme il appert par son registre ; 

Et s'il fault qu'il y ayt behistre, (1) 

Elle prouvera clerement 

Par loy , decretalle , ou chappitre , 

Qu'elle a bon droit. — Premièrement 

Pour le dire et bien brefvement , (2) 

(Car nous avons d'aultres affaires) 

Elle pose totallement 

Possessions toutes contraires 

Aux possessions frustratoires 

De la Simple demandeFesse ; 

Car elles sont bien scdutoires (3) 

A la dicte deffenderesse , 

Qu'el' n'en soit Dame et maistresse : 

Si est ; vêla son intendit. 

Mais , pour respondre à ce que dit 
La Simple qu'elle est seulle amye , 
Elle est trop Simple ; oncques on ne veit , 
Se me semble , plus grant foUye. 
Elle est bien si estourdye (A) 
Que de cuyder, ou de penser 
La chair d'ung homme assouvie 
D'une femme et de s*en passer. 
Quant de baiser et d'embrasser. 
Voire à Dieu , passer sa fortune , (5) 
Assez, assez, trop d'avancer 
Pour ung coup à demy pecune. 

Mais ainsy qu'il vient sur la brune 
En quelque coing , ou quelque bout , 



il 

Vêla s'on rencontre quelqu'une , 
Le sang bieu ! c'est pour gaster tout 
Ung lingeret tendre du bout , 
Tendre la broche enhamachée. 
On tend le becq » s'il vient à goust ; 

— Où est-ce qu'elle est accouchée ? (1) 
Puis on vient : — ung tel vous demande i 

— Patic 9 patac — à la sachée, 
S'on la trouve en place marchande » 
Il n'est homme qui ne se bende 
Pour repaistre l'humanité : 

Et n'y a celuy qui ne tende 

A suivir la mondanité ; 

Vêla le cas. D'aultre costé 

On a beau tenir pied à boulle ; 

Car il n'est celle en vérité , 

Qui ne vueille prester le moulle ; (2) 

On est vaincu à tour de roulle. 

Et se faict? tournez vostre main ; (3) 

Aussi-tost que la beste est saoule , 

On y pert la paille et le grain. 

Et n'y a plus rien incertain : [h) 

Aujourd'buy , vous estes d'accord ; 

Mais quoy I retournez-y demain , 

Par le corps bieu ! vous avez tort. 

Tout le monde tend à ce port : 
Parquoy , quoy que la Simple dye 
Pour vouloir monstrer par effort 
Qu'elle est vraye Dame, seulle amye, 
Par mon sacrement je luy nye : 
Car je cuyde que ce mignon 
A faict souventes foys folye 
Comme ung aultre; et pourquoy non? 

Ainsy donc , c'est abusion 

2 



18 

De ce dire , comme je croy , 

Estre en bonne possession. 

Autant à elle comme à moy : (1) 

Et allègue raison pourquoy (2) 

J'en ay usé , j'en ay joûy , 

Ne jesçay qui, je ne sçay quoy , 

Par ung , deux, trois, quatre ans; oûy. 

D'aultre part , voicy que je dy : 
Prenez qu'elle l'eust possédé , 
Combien que je crois que nenny : 
Toutesfoys , ce présupposé , 
n me semble que c'a esté 
Secrettement , par voye oblicque ; 
Et est , selon bonne équité , 
Possession non juridicque. 

Nous avons en droit et praticque 
Pour nous , au moins touchant ces ditz , 
Et mesmement la loy unicque 
Codice, ubi possidetis , 
Et la loy tierce , Digestis, 
Qui dit : eodem titulo» 
Que à bien posséder est requis , 
Non vi, non clam, non precario. 

De la Simple, je ditz pnmo 
Que sa possession et saisine (3) 
N'est pas ftdcte tali modo , 
Gomme le droit le détermine ; 
Mais est secrette et clandestine , 
Recellée de nuit et de jour ; {h) 
Et comme sur crime et rapine , (5) 
Le recolloit en son séjour, (6) 
Sans fiatire vif ade ne tour. 
Cheminer, ne allisr dehors. 



19 

Je ne sçay se c'estoit de paour 
Qu'il ne feist follye de son corpa : 
Combien qu'elle s'abusort , fors (1) 
Qu'on ne la laissast point aller. 
Non pourtant , alors comme alors ; 
Avec les folz il faut fbller : (2) 
De prendre quelqu'un , et le bouter 
En sa tutelle , en sa bsôllie , 
Afin de n'en point hériter, 
Par le corps bien , c'est grant follye : 
Car s'il debvoit perdre la vie , 
Rompre barreaulx , crier et braire , 
Saillir en bas par l'estampie, (3) 
Si est-il force de le faire. 

Car pourquoy il est nécessaire 
Et besoing à la créature , 
Aulcunesfoys de soy forfaire 
Et trouver bestail et pastûre. 

Si aulcun quiert son adventure ; 
Et une femme le deduyt , 
Cela ce n'est que nourriture ; 
En fault-il faire tant de bruyt ? 

Quant ces mignons si sont en ruyt , 
Et qu'elles le font à plaisance , (A) 
Le monde n'en est point destruyt; 
Pourquoy , ce n'est que accoustumance. 

D'aultre part, se ung homme s'avance 
De vouloir trouver quelque bien , 
Quel mal est-ce ? comme je pense , 
On ne luy en demande rien ; (6) 
Dont on le faict , comme je tien , 
Souvent qu^on ne s'en doubte pas. 

Et pour ce , à mon point je reviens : 
Et veulx contredire ce pas , 



20 

Que la Simple pour tous debatz , 
Se veuille seulle amye tenir 
De ce mignon : voyla le cas. 

A ce je veulx contrevenir, 
Et le contraire maintenir : 
C'est que la Rusée sans blâme, 
S'en peult dire Haistresse et Dame , 
Joflyssant sans quelque diffame ; 
Vêla la resolution. 

Et prouvera, par baulte game , 
Qu'elle en a l'acquisition ; 
Et oultre plus, de ce mignon , (1) 
Soy maintenir et franc , et net , (2) 
En meilleure possession , 
Cent foys plus que la Simple n'est. (3) 

Et pour ce condudz en effect. 
Qu'elle soit par vous maintenue 
En son bon droict cler et parfaict 
Bien gardée et entretenue , 
Et comme vraye Dame tenue , 
Et de cestuy bien héritée. 
A tort a esté convenue (4) 
Pour la cbose bien conquestée. 

Oultre , la complainte intentée 
Par la Simple , soit non vaillable , (5) 
Par vous gettée et debouttée 
Conune faulce , non jaisonnable , 
Torsionnaire et desraisonnable , (6) 
Mal sceuë , mal veuë , mal prouvée , (7} 
Par ce non préjudiciable 
Au faict de la dicte Rusée ; 
Nonobstant cbose proposée 
Affin d'avoir conclusion , 
Par elle dicte , ou alléguée (8) 



21 
Pour fonder son intention. 

Elle faict protestation 
Et si requiert tous coustz et frdtz 
Pour toute resolution , 
Despens , donunaiges et interestz. 

LE JUGE. 

Nous avons oOy tous voz plaitz ; 
Haistre Simon , sus desgueullez. 

MAISTEB SIMON. 

Quant au regard de ses cacquetz , (1) 
Nous en sommes pieça saoulez. 

MAISTRS OUYIER. 

Sa , Monsieur l' Advocat , parlez ; 
Replicquez , et on vous orra. 

MAISTEB SIMON. 

Vous dictes ce que vous voulez ; 
Il vous en croyra qui vouldra. 

LE JUGE. 

Sus » faictes le court. 

MAISTEB SIMON. 

Or ça , or ça , 
Je dis que mon intention 
Est bien fondée de pieça , (2) 
Touchant ceste possession : 
Et respond , par conclusion , 
Aux faictz que dist partie adverse. 

Baillé une solution : (3) 
Je ne sçay moy où il se verse ; 
Il a dit chose, bien diverse , 
Et semble qu'il vueille ruer 
Sur nous , pour toute controverse. (A) 
Monseigneur, qu'il se face advouer. 



22 

MAISmE OUYIER. 

Riens. 

MAISTRE SIMON. 

Je le requiers. 

BIAISTB^ OUYIER. 

Tant hai'celler I 

BiAISUE SIIIOM. 

C'est raison. 

JLEWGE. 

Sus , au demourant» 

MAISTRE SIMON. 

A ce qu'il a sommûrement (1) 

Voulu dire , soy guermenter 

Qu'ung homme ne peut tant ne quant 

D'une femme se contenter, 

Et que cbascun veult appeter 

Nouveauk amys , nouveaulx gallans , (2) 

Tant que on enraige de habiter, 

(Ainsy que dient nouvelles gens) 
^ Monseigneur, se tous ces moyens 

Estoient vrays , croyez qu'on verroit 

Venir des inconveniens 

Bien grans. — Car, quoy ! il s'ensuyvroit 

Que ung meschant homme se pourroit . 

Prendre aux Succrées et Druôs : 

Et ce semble qu'il ne fauldroit (3) 

Qu'abatre femme emray les rues, 
^ Si telles manières indeuës 

Couroyent , tout seroit aboly : 

Povres filles seroyent perdues , 

Et le mestier trop aviUy. (4) 

Parquoy , il n'y auroit celuy 



23 

Qui ne gouvernast Damoyselles , 
Et qu'il ne voulsit aujourd'huy , 
Sans foncer, avoir des plus belles 
Et des plus gorgiases , s'elles 
Se Youloyent habandonner, 
Gomme il dist qu'elles fussent telles , 
(Dieu le me veuille pardonner). 
Il ne faudroit donc plus donner 
Rubis , diamans , ne turquoyses , 
Mais dire franc , sans séjourner ; 
Allons — faisons — ne vous* déplaise. 
Gbascun en feroit à son ayse 
Sans avoir langaige , ou effroy : 
La coustume en seroit mauvaise : 
Pour ce 9 ce qu'il dit n'est pas vray. 

D'aultre part , je luy repondray 
Se je puis , soubz correction , 
Affin qu'il soit mis à l'essay 
D'impugner ma possession. 

Il dit , pour resolution , 
Qu'elle est secrette et clandestine , 
Contre la disposition 
Du droit qui de ce détermine. 

Or, dis-je pour toute doctrine , 
Bonne , prescripte et raisonnable, (1) 
Bien observée , non muable , 
Honneste , juste et auctentique , 
Gardée par tout , non variable , 
Et de quoy l'en use en praticque : 
Il n'est requis (quoy qu'on replicque) (2) 
En amours (en touchant ce dict) 
Possession si très publicque 
Et si notoire comme il a dit. 
Mais pour intenter l' intendit , 



2à 

C'est assez qu'on ayt possédé 
Secrètement ; cela souffit : 
Et ainsy il est praticquë. 

n fauldroit se j'ay habité 
Avecques Jennette ou Jaquette » 
Qu'incontinent soit publié 
A son de trompe, à la sonnette : 
Ou se quelque fille secrette 
A preste ung peu l'instrument , 
Que on ne sçet, s'on n'en caquette (1) 
Qu'elle perde son droit ; pourtant 
Se seroit dommage trop grant. 
n est mainte femme succrée , 
Mainte bourgeoyse tant ne quant 
Qui n'en a bien toute l'année , (2) 
Fors qu'elle le fait à l'emblée. 
Cinq ou six foys ; et se m'aist Dieux , 
S'on le sçet , elle est diffamée 
Et s'en mocque l'en , qui vault mieulx : 
Ce droit là est trop rigoureux. 
Se llsdstre Olivier se boffume , 
Ou s'il veult faire le véreux , 
Il y impose ceste coustume : 
Se bonne est pour luy , si la hume. 

Quant est de la possession 
Qu'il allègue, dit et résume , 
Que la Rusée de ce mignon . 
En a eu l'acquisition , 
Il eust plus gaigné de s'en taire : 
Monseigneur, soubz correction , 
Je vous monstreray le contraire. 

Ceste Rusée par soy distraire , 
Pstr tant d'allées. et de venues, (8) 
Par trop penser, par soy forfaire , (â) 



26 

Les mordans , paroUes aguës , 

Nouvelletez , choses indues , 

Brocquars , dissiinulalions , 

Lardons , cautelles incongneuês , 

Prières et persuasions , 

Par faintises , dérisions , 

Par motz dorez , par joncheries » 

Sornettes , adulations , 

Malices , façons rencheries , 

Langaige affaicté , railleries , 

Blason de court , par voyes indeuës , 

Par désordonnées fringueries, 

Et par manières dissolues , 

Par telles faulcetés a eue 

Ses droitz , ses acquisitions : 

Par quoy sont de nulles value 

Toutes telles possessions , 

Par robbes fendues , fainctz ouvers , (1) 

Blandices» subornations, (2) 

Menteries , séditions » 

Par mines » tetins descouvers , (3) 

Machinations , motz couvers , 

Fauk entresdns et controuvez , 

Et par aultres moyens divers 

Qui sont induz et reprouvez. 

Exemple : comme vous sçavez , 
En ung bancquet la créature 
Se venoit asseoir à ses pieidz , 
Pour luy eschauffer la nature : 
Et luy disoit plustost injure , 
Plustost Tappeloit son amy. 
— Que vous en semble-il d'icelluy ? 
C'est-il — c'est mon — cela — cecy. 
Et pour ce , au trou la cheville : 



26 

Estes vous bien — oy — nenny. (1) 
Il respondoit au coup la quille : (2) 
Elle sautelle, elle frétille (S) 
Pour cuyder rompre la r^ette , {à) 
Comme ung cheval doulx à Teslrille 
A qui on met la gromette. (5) 
Elle estoit si rusée et faicte 
Qu'elle luy disoit franchement : 
Je vous songe ; je vous souhaitte ; 
Je pense à vous incessamment. 

Par telle mine et faulx semblant , 
Et par tel langaige trouvé , 
L'a faulcement , mauvaisement 
Seduyt et aussi suborné , 
Et de faict par prinse de corps , 
Ou de bon emprisonnement, 

Puis qu'elle faict telz griefz et tors, 
Telz eifors et telz tourmens , (6) 
Telz crimes , telz abusions , 
Telz delictz , ne yallent au fors (7) 
Toutes ses acquisitions , 
N'aussi toutes possessions. 
Dont la dicte Simple , au surplus , 
Per^ste en ses intentions ; 
Et si concludz comme dessus. 

MÂISTRE OUVEER. 

Pour respondre à ses points 

LE JUGE. 

Or sus, 
C'est trop playdoyé. 

MAISTRE OIIVIER. 

Encores ung mot , 
Monseigneur, s'il vous plaist. 



27 

LE JUGE. 

Mettez sus. 

MAISTRE OUVIER. 

Grant mercy ; j'auray faict tantost. 
J*ay bien oûy tout son tripot 
Et ses baves : elle prouvera 
Tous ses faictz ; parlons par escot. 

MAISTRE SIMON. 

C'est à tort. 

MÀISTRE OLIVIER. 

Bien I bien ! on verra. 

MAISTRE SIMON. 

Je proteste. 

LE JUGE. 

Faictes paix là ! 
Injures sont cy înterdîctes. 

MAISTRE OLIVIER. 

Or ça , elle vous monstrera 

S'elle est telle comme vous dictes. 

Par droictz et par raisons escriptes , 

J'ay mes intentions cy mues , 

Monseigneur, qui ne sont petites : 

Mtdstre Simon les a solufis , 

En alléguant choses menuSs. 

Je ne sçay moy où c'est qu'il preuve 

Des conséquences si cornues , 

Ne où , tout les diables , il les treuve ; 

Benedicite , et je preuve 

Tout au long mon intention. 

Hais sa conséquence et sa preuve 

Ne tiennent à chaubc ne à sablon. 



28 

Se seroit une abusion 
Delareciter; je m'en tûs, (1) 
Pour plus brefve expédition. 

Oultre, au second point où je metz 
Et si maintiens à tousjours mais 
Sa possession et saisine 
Ne valoir riens » et pour tous metz (2) 
Estre secrette et clandestine : 
Il respond et si détermine 
A une coustume notable , 
Gomme il dit , mm il la devine ; 
Car elle est faulce et variable , 
Et au droit préjudiciable. 
Mais affin qu'on ne se pertube » 
Chascun , pour le plus véritable , 
Produira ses tesmoins en turbe , 
Et que l'ung l'autre ne destourbe ; 
Et les enquestes accomplyes , 
AfSn qu'il n'y ait point d'estourbe , (3) 
On fera lors droit aux parties. 

Touchant le tiers point, j'ay oyes (&) 
Ung tas d'excès et de follies 
Et d'aultres persuasions; 
Et dit-on acquisitions 
Avoir esté par ce point la 
Faictes ; se sont abusions : 
Le contraire se trouvera. 

Aussi doncques par ses vertus , 
Peine , labeur, et industrie , 
Et non pas par moyens indus , 
Gomme motz couvers de joncheries , (5) 
Elle acquesta la seigneurie 
Et renommée de cest àmy, 



29 

(A quoy que la Simple varie) (1) 
Et en use , et en joûyt : 
Et demeure , touchant cecy , 
Ferme en son propos pertinent ; 
Ofire à prouver ; conclud aussi (2) 
En la forme comme devant. 

MAISTRE SIMON. 

Monseigneur 

LE JUGE. 

C'est assez. 

MAISTRE SIMON. 

Seullement 
Ung mot 1 

LE JUGE. 

Il est tard. 

MAISTRE SIMON, 

Audience I 

MAISTRE OUVIER. 

Rien ! rien ! 

MAISTRE SIMON. 

J'auray dit mdntenant , 
Monseigneur. 

MAISTRE OUVIER. 

Imposez luy silence. 

LE JUGE. 

Parlez bas t 

MAISTRE OLIVIER. 

Monseigneur, que on s'avance. 

LE JUGE. 

Despechez vous , il est temps. 



so 

BIAISTRE SIMON. 

Je demande la recreance ; 
Je m*en raporte aux assbtans. 

LE JUGE. 

Paix là I — Hesseigneurs cy presens , 
Monseigneur Haistre Pierre Happart , 
Vous estes bien gamy de sens 
Et estes ung saige Goqoart; 
Vostre opinion ? 

HAPPiAT. 

Monsieur, 
Veu ce qu'ilz disent à l'esquart 

LE lUGE. 

Couvrez vous. 

HAPPART. 

Ha 1 saulve vostre honneur. 

LE JUGE. 

Sus ! de par Dieu , sus ! quel couleur 
Auray-je de donner sentence ? 

HAPPART. 

On doibt bailler pour le plus seur 
A la Simple la recreance : 
Car elle a plus belle apparence 
Que la Rusée , quoy que l'on die ; 
Et les déclarez par sentence 
Contraires en ceste partie. 

LE JUGE. 

Ça , maistre Oudart de main gamye , 
Que vous en semble , dictes en ? 



31 



BIAISTRE OtDART. 



J'ay'son opinion ofiye. 

Par ma foy, Monseigneur, il dit bien. 



LE lUGE. 



Délibérez sur ce moyen , 
Maistre Guillaume l'Abbateur. 



l'abbatedr. 



Quant à moy tousjours je me tien 
A Toppinion du meilleur. 

UltTGE. 

Opinez : qui aJe meHleur? 
Sus, Maistre Jacques Taffaictié , 
Que vous en semble , dictes en? 

l'affaictié* 

Par sainct Jacques , ilz ont trop bien 
Dit ; faictes en le traictié , (1) 
Gomme ilz ont dit formellement ; 
Et qu'il n'y a aulcun blecé, (2) 
Vous ferez bien et justement. 

LE JUGE. 

Or ça donc , pour abbregement , 
Oyez voz rsdsons très propices , 
Vous aurez ung appoinctement. 
Mais il faut payer les espices ; 
Se sont les droitz de noz offices , 
Et puys on vous appointera. 

MAISTRE SIMON. 

Monsieur, nous ne sommes pas nices ; 
Ne vous chaille ; on y pensera. 



3â 



LE lUGE. 

Le Juge appointé vous a 
En telle façon et substance , 
Et dict que celle Simple aura 
De cest amy la recreance , 
Despens réservez en sentence 
Difl^itive ; sans doubter, 
Oûy de chascune l'alegance (1) 
Contraire , on vous peult appointer. (2) 
Et viendrez vos faitz apporter 
Par escript , sabmedy au soir, 
Comme à ceste heure après souper : 
S'il vous plaist, vous y viendrez veoin 

l'acteur. 

Par ce l'en peult appercevoir 
Souvent , en mainte plaidoyrie , 
Ung homme afiSn de recepvoir 
Estre ensemble juge et partie , 
Aussi l'Advocat qui playdie 
Les causes , raisons et moyens, 
Pourveu qu'il ayt la main gamye , 
Estre pour les deux aboyans. 
Hais toutesfoys je n'en dys riens : 
Et vous en vueille souvenir. 
Pardonnez à mon simple sens; 
A Dieu ; jusques au revenir. 



Cy fine le plaidoyé de CoquiUart touchant 
la Symple et la Rusée. 



LINOUESTE 



D^ENTRE 



la Slmidle et la Rasée. 



JLRGUMfiNT< 



L'enquête ordonnée par le tribunal a eu lieu : TaOkire 
revient à Taudience, et le juge-commissaire fait son 
rapport. Il se demande si Ton peut cumuler le posses- 
soire et le pétitoire, c^est-à-dire réclamer à la fois la 
possession et la propriété d^un objet en litige, n se pro- 
nonce pour Talfirmative avec le droit canon , en dépit 
du code romain. Au XV* siècle, les luttes deVun et Tautre 
droit étaient vives. Goquillart fait allusion aux res- 
sources puisées par la chicane dans leurs contradictions. 
A la même époque , il était fort question du possessoire 
et du pétitoire en matière ecclésiastique. Les bénéfices 
étaient sourent donnés en même temps à un impétrant 
|Mr le collateur ordinaire , puis à un second solliciteur 
par Rome ou par la cour de France. L^un d^eui se met- 
tait en possession , Tautre le troublait en plaidant au 
pétitoire. La discussion soulevée par le rapporteur était 
à Tordre du Jour : aussi notre poète se permet-il d'en 
plaisanter. 

Le Juge adopte les conclusions du rapporteur et or- 
donne que Tenquête fiiite au possessoire comme au pé- 
titoire sera lue par le greffier. Les détails historiques 
abondent dans les dépositions recueillies. Goquillart 
donne à ses témoins des titres ridicules ou odieux \ il 
fait passer devant le lecteur Thomme d'armes devenu 
vagabond et pillard , la fille de joie , la religieuse sans 
conduite , le prêtre débauché , Tagent du fisc avide et 
sans pitié , Vofficier ministériel incapable et sans tenue. 
S'il eût continué son œuvre, il aurait immolé tour-à-tour 
à sa verve satjrique chaque état , chaque position so- 
ciale : vices , abus , excès , violences politiques et autres, 
auraient passé par le pilori. La troisième déposition 
contient une violente satyre contre les débauches du 
haut clergé ; dans la sixième , le notariat est sévèrement 
traité. Regrettons que ces tableaux de mœurs , si pré- 



eieux pour rbistolrei n'aient pas été plus nombreui : 
GoquUlart s'arrête au milieu de sa procédure , et ne ré- 
dige ni contre-enquête ni Jugement 

Au moment où il monte en chaire pour eipliquer les 
droits nouyeaux , il appelle des auditeurs de toutes 
parts ; la Simple et la Rusée ne sont pas oubliées. « Votre 
alhire | » leur dit-il, « aurait pu se terminer cette an- 
née ; mais elle est remise indéfiniment. Une autre fois 
on y pensera. » C'est ainsi quMl excuse son silence , et 
cette plaisanterie est encore un trait lancé contre la 
paresse et lindiflérence de la magistrature. 

Quant au Mignon , on peut se rassi^r sur son sort : 
il n'est pas en séquestre. La Simple a obtenu la ré- 
oéanccy et TobJeC en litige ne dépérira pas bute de 
soins. 



Cy couffleHce TEi^ieste 
tfeiire la Sunple el la lisée. 



Or ça , maistre Jean TEstoffé , 
Qui jadis fustes eschauffé 
Touchant mainte menue pensée , 
Vous sçavez que dès Tan passé 
Y eust ung procès commencé 
Entre la Simple et la Rusée , 
Dont la cause a esté plaldée 
Et aussi liticontestée 
Par devant vous , comme est notoire ; 
Et , pour estre plus abrégée , 
Fut la recreance adjugée 
A la Simple » et le possessoire. 

Et au regard du petitoire , 
Fut appointé par vous encoire 
Quel' prouveroit ses intentions ; 
Et pour cela , vous debvez croire 
Qu'elle bailla tout par mémoire, 
Articles et positions ; 
Lesquelles faisoyent mentions 
De batures , séditions , 
D'excès , de partialité , 
De contracta , et de pactions , 
Et aussi de droitz et raisons 
Qui touchent la propriété 



38 

Du mignon. En vérité , 
Cela fut par vous appoincté. 

Et furent donnez Commissaires ^ 
Ausquelz la Rusée a porté. 
Ainsi comme il est d'équité , 
Ses poinctz et interrogatoires : 
Et la dicte Rusée encoires , 
Aux possessions et mémoires , 
Respondit tout pour le meilleur. 
Au surplus, voicy peremptoires , (1) 
Lesquek tantost seront notoires » 
Et dont voua orrez la teneur. 

Qr , soubz correction , Monseigneur , 

n semble qu'il y ayt erreur (2) 

Bien grant , en cest appointement ; 

C'est k savoir que ung possesseur 

Soit en la cause demandeur , 

Et qu'il preuve totallement 

Ses faitz , je ne sçay pas comment ; 

Car nous avons communément , 

(Et de jure notissimo,) 

Contre vous ung fort argument : 

Qîiod poêsidenii, seurement , 

Nulta competit actio : 

Imtituta et digestis, 

( Aussi vray que je le dis , ) 

Au Paragraphe cum vero 

De acquirendo dominio. 

Le plus souvent invenio 

In jure : quod probatio 

Semper incumbit actori. 

Et doncques pour cela je dy, 
Quant est de ceste Simple cy 
Laquelle a eu la recreance 



39 

Et possession de l'amy , 

S'il fault qu'elle prouve cecy , 

Se semble maulvaise sentence. 

Mais se la Rusée , en substance , 
Veult obtenir la joûyssance 
De ce mignon , elle debvroit , 
S'elle cuyde avoir sans doubtance 
Sur le petitoire apparence , 
Prouver et poursuyvir son droit. 

Au regard de ce , on pourroit 
Respondre en ce point qu'il vouldroit , 
( Qui est bien vray ) se ung demandeur 
Sur le possessoire intentoit 
SeuUement et il obtenoit , 
Et parce qu'il fust détenteur 
De la chose , le deffendeur 
Qui se veult dire vray seigneur 
Et qui la noyse renouvelle 
Au petitoire , soyez seur , 
Qu'il se doibt tenir assailleur. 
Pourquoy ? c'est une aultre querelle. 
— Mais quant ensemble on interpelle 
Les deux causes en ung libelle , 
Le demandeur en l'une , ( sans ce 
Qu'on die que c'est aultre querelle ) 
Doibt l'autre prouver toute telle : 
Car ce n'est que une mesme instance ; 
Et de l'une et l'aultre allegance 
Ensemble doibt estre traicté ; 
Et le cas des deux , sans doubtance , 
Soubz ung mesme juge intenté : 
Nam continentia causœ 
Numquam non débet dividi. 
Comme nous avons (Codice 



àO 
Dejudiciisj : la loy Nulli. (1) 

Doncques que ceste Simple cy 
A les deux causes intentées 
Tout ensemble ; par elle aussi 
Les deux doibvent estre prouvées : 
Car ses demandes sont formées 
En tout cas et à toutes fins : 
Dont les escriptures baillées , 
Les registres et parchemins 
Feront foy ; non pas ces badins 
Qui corrumpent le Playdoyé , 
Ces vendeurs , ces forges latins : 
Je n'ay point leurs faits advoué ; 
S'ilz ont lourdement coppié 
Et mis en une faulce voye , 
S'ilz ont erré ou desvoyé , 
Ce n'est pas ce que je queroye. 

Qr, contre ce que je disoye. 
J'argue : car de raison escript 
On trouve ( qui n'est pas petit) : 
Quod causa possessionis 
Et causa proprietatis , 
Nil habent in se commune ; 
Sed differunt quoad amne. 
Comme il est mis formaliter 
En la loy Naturaliter 
(Digesiis) de acquirenda 
Possessione .• et y a 
Cela noté , et non pas mal , 
Dessus le chapitre final , 
Et de judiciis extra , 
In glossa ordinaria. 

Puisque c'est chose si contraire , 
Je cuide qu'il soit fort à faire 



41 

Que on les puisse intenter ensemble 

Et pour cecy, faict se me semble 

Une loy Incerti juris , 

(Codice) , de InterdictU , 

Qui dit qu'on les doibt intenter 

L'ung après Taultre sans doubter , 

Non point ensemble. Y a aussi 

Une loy Ordinarii, 

( Laquelle est mise Codice^ 

De rei vendicatione ) 

Qui baille ses enseignemens ; 

Se semblent très fors argumens. 

Mais voicy les solutions : 
Il y a des oppinions 
Bien diverses dessus ce cas , 
De Procureurs et d'Avocatz , 
De Docteurs et de gros masche sens , 
Et aussi d'aultres saiges gens ; 
Et brief , Martinus et BcUdus (1) 
kv&û Joannes , Accursius (2) 
Gtossator juris civilis, 
Stabant legibus predictis. 
Soustenans qu'on ne pourroit pas 
Intenter ainsi les deux cas ; 
C'est à sçavoir le petitoire 
Quant et quant le possessoire. 

Mais quasi cœteri cmnes 
Tenentes sacras Canones , 
Referunt in oppositum 
Scilicet : quod est licitum 
Eam et ex una instantia ; (S) 
Et dicunt quod sententia 
Nata de possessorio, 
Incontinenti postea 



42 

Fcrtur de petitorio : 
Vcl si quod pronuntiato (1) 
Petitùris expresse, 
Possessarium sub illo ^ 
Pronunciaiur tacite. (2) 
Comme il est cotté et notté , 
Et trouvé per argumentum 
In kge prima, Codice, 
De ordine cognitionum. 

Et de faict , ceste oppinion 
Est bien certaine , se me semble , 
Qu'on les peult intenter ensemble ; 
La quelle je veulx approuver , 
Pour nostre appoinctement saulver. 
Car pour elle faict sans abbus (3) 
Le chapitre cum dilectus , 
Qui est extra (se m'est advis) 
De causa possessionis. 
Et de la matière parle on 
Quasi per totum titutum , 
Et ainsi comme je Tentens. 

Et affin que les escoutans 
Ne cuydent qu'il y ait erreur , 
J'ay dit , selon mon povre sens « 
Ce qui m'a semblé le meilleur. 

Laissons cela : ça , Monseigneur , 
Voicy nostre Enqueste scellée » 
Et close sans quelque faveur. 
Pour Dieu qu'elle soit publiée 
Devant chascim ; à gueulle bée , (&) 
Faictes la prononcer et lyre. 

LE JUGE. 

Vostre enqueste bien m'agrée : (5) 
Je le veulx ; voulez vous rien dire ? 



43 



L ADYOGAT DE LA RUSEE. 

Je proteste de contredire , 
£t de ses tesmoings reproucber. 

l' ADYOGAT DE LA SIMPLE. 

Et s'on veult riens sur eulx mesdire , 
Je proteste de les saulver. 

LE JUGE. 

Escripyez , Monsieur le Greffier , 
Leur protestation honneste ; 
Et vous despeschez hault et clair, (1) 
A coup , et lisez ceste Enqueste. 

LE GREFFIER. 

Tesmoings produictz à l'Enqueste (2) 
De notable fenune et honneste 
La Simple , en tout bien renommée , 
Sur la demande qu'elle a faicte 
( Comme il est à tous manifeste , ) 
A rencontre de la Rusée , 
Examinez de plaine entrée 
Par nous Geoffroy Chasse-marée , 
Regnault Prenstout , Massé Mauduit 
Commissaires d'après disnée , 
Licenciez soubz la cheminée , 
Ouvriers pour enfourner pain cuyt. (3) 

De quoy premièrement s'ensuyt 
Le narré d'ung tesmoing produyt , 
Ouy de couraige joyeulx , 
Le jour et Fan que on dit 
Mil quatre cent soixante dix-huit , 
Dont vous orrez ung mot ou deux. 

LE PREMIER TESMOING. 

Noble homme , hault , puissant et preux 



ha 

Messire Enguerrant Toutrageux ♦ 
Seigneur sur poulain entravé, (1) 
En petitz faictz advantageux , 
Capitaine de plusieurs lieux , 
Et Chevallier sur le pavé 
Pour servir de gibet à pié , 
Garde d'ung passaige estouppé , 
Aspre et cruel après la gouge , 
Fermier de Testang dérivé , 
Guemetier (sur tous approuvé) 
Du sel qui croist en la mer Rouge , 
Aagé drâs une plaine bouge , 
Assennenté dessus ung crible , 
Respondit ( que homme ne bouge ! 
Vous orrez une droicte bible. ) 
Et]]desposa chose impossible , 
Connue vous orrez par escript : 
Toutesfoys , elle est bien possible , 
S'il est sdnsi , comme il le dit. 

Examiné, s'oncques il vit 
Les personnes? — Respondit que oûy : 
Qu'il congneut dès qu'il fut petit 
La Simple et la Rusée aussi ; 
Et jura qu'il estoit ainsi. 

Examiné à sçavoir mon , 
S'il congnoist point , touchant cecy , 
Ung que on appelle le mignon , 
Dont il est présent question ? 
— Respond qu'il le congnoist vrayement 
Et qu'il a esté compaignon 
Maintes foys dudict déposant ; 
Qu'ensemble ihc ont hanté souvent 
Avecques mainctes bourgeoisettes , 



45 

Comme font marchant à marchand 
Touchant leurs petites chosettes : 
Et ont faict mainctes besongnettes , 
Mainctz petis bancquetz , mamctz fatras , 
Et maintes assemblées secrettes 
Dequoy ilz ne se vantent pas ; 
Et faisoient les deux gorgias , 
Entretenant ce monopolle 
Ensemble, par tout leur pourchas , 
Pour besongner en terre molle ; 
Et du temps qu'ilz hantoient l'escoUe » 
Toute leur resolution 
N'estoit jamais d'aultre paroUe 
Que du faict d'habitation. 

Examiné à sçavoir mon , 
S'il sçet point , sur ce contenu , 
Que aulcunes foys ledict mignon 
Ay t à la Simple appartenu ? 
— Respond qu'il l'a entretenu , 
Et luy souvient bien qu'il veoit 
Que le mignon , comme tenu 
A elle , souvent en parloit ; 
Et que icelluy la souhaittoit 
En tout , et par tout , et tousjours , 
Quasi comme s'il la tenoit 
Sa seulle Dame par amours. 
Avec se , disoit tous les jours 
Au dict déposant , que la dicte 
Sur toutes aultres avoit cours 
Pour estre propre, gente et miste , (1) 
Combien qu'elle fust fort petite ; 
Et que , touchant la courtoisie , 
Une dragme prînse à l'eslite 
En valoit bien livre et demye. 



Oultrc , examiné de la vie 
Dudict mignon , s'il peult sçavoir 
Que il ayt point quelque aultre amye? 
— Dit qu'il ne le peult concepvoir 
Qu*ung aultre l'eust peu decepvoir ; 
Et que par aulcune manière 
Estoit ainsi , et croyt pour voir (1) 
Que la Simple estoit singulière. (2) 

Et oultre sur ceste matière 
Examiné , pour quelle raison (S) 
La Simple estoit familliere 
Et maistresse dudict mignon , 
Se c*estoit par vendition , 
Ou par contract , ou par abus , 
S'il en sçet rien ? — Repond que non. 
Ces motz furent par moy concludz. 

Interrogé, quant au surplus. 
Sur le faict de ceste assemblée , 
Jure et respond qu'il n'en sçet plus , 
Au moins qui touche la meslée. 

LE SECOND TESMOING. 

Et lendemain , ladicte année , (4) 
Fut oûye ceste déposante , 
Et par nous comme sui&sante , 
Bien et deuêment examinée. 

Noble Dame , haulte atoumée , 
Dame Florence Tescomée , 
A longue eschine , plate forcelle , 
Allant de nuit sur la vesprée , 
Princesse de basse contrée , 
Et preste à chevaucher sans selle ; 
Dame quant elle a son escuelle , 
Refaicte comme une groselle , 



47 

Gorgée comme ung oyseau de proye i 
Fassonnée comme une chandelle , 
Durette comme une prunelle , 
Et cordée comme une lamproye , 
Aagée comme une vieille oye , 
Oûye comme dessus est dit , 
Interroguée la droicte voye , 
Déposa tout ce qu'il sensuyt. 

Et de prime face nous dit , 
Qu'elle avoit d'aultre foys esté 
Cointe , mignonne , ayant le bruit (1) 
Touchant toute joyeuseté ; 
Mais que son temps estoit passé : 
Toutesfois qu'elle valoit bien 
Les gaiges d'ung Archier cassé , 
Pour^trouver quelque bon moyen ; 
Du surplus ne servoit à rien , 
Fors à boire comme une cane : 
La raison', car son cordouen , 
Estoit ja devenu basane. 

Examiné raison moyenne , 
S' elle congnoist point la Rusée ? 
— Respond qu'elle est Parisienne , 
Grosse courte , bien entassée , 
Tousjours une fesse troussée , 
Le bec ouvert , l'œil enUillé (2) 
Pour bien chasser à la pipée (3) 
Et prendre quelqu'ung au caillé , (A) 
Petit musequin esveillé , 
Preste à donner l'eschantillon 
A quelque grobis esmaillé , 
Contrefaisant l'esmerillon. ^ 
Et puis quant on a Tesguillon 



Et qu'on se sent de restincelle , 
On faict comme le papillon 
Qui se brusle à la chandelle : 
Et pensez , qui n*a bonne belle 
Pour soy contregarder du chault , (1) 
On est mis à la kyrielle , 

Avec le passetempâ Micbault. 

Au surplus , déposa tout hault 
Qu'elle congnoissoit le mignon , 
Et que c'estoit ung beau ribault ^ 
Franc , frais « Trasé comme ung oignon , 
Là daguette sur le rongnon 
Troussée comme une belle poche , 
Fleury comme ung champignon , 
Verdelet comme une espinoche ; 
Lequel a mis maintz motz en coche 
Et mainte parolle glosée , 
Et faict souldre mainte reproche 
Entre la Simple et la Rusée : 
Comme il advint , Tannée passée , 
Qu'un banquet là où il estoit , 
Après une dance dancée 
Avec la Simple qu'il menoit, 
La Rusée l'en despitoit 
Et commença fort à pallir : 
Et de faict , comme on s'en venoit , 
Elle vint la Simple assaillh- 
Ea luy mist au bec , sans faillir , 
Ung tas de menues tricdondaines , 
Qui la firent bien tressaillir. 

— L'une dit : vos fièvres quartaines, 
Et l'çiutre : vous perdez vos peines. 

— L'une dit : va — l'autre dit : vien. 

— L'une dit ung tas de fredaines , 



&9 

Et Vautre qu'il n'en estoit rien; 

— La Simple disoit : il est mien , 
L'autre dit : vous ne l'aurez pas. 
— L'une disoit : je l'entretien , 
L'autre je le tiens en mes laz. 

— Puis sept— puis dix— puis hault— puis bas : 
Ung grand ha hay — ung grant hola. (1) 

— Tost f tard , je l'aurai — non auras. 

— C'est toy ? — mais moy — non a — si ha; (2) 
Ung grant haria quaria , 

Ung plet , ung débat , ung procès : 

— J'ay faict — je feray — on verra. 
— Je fonce — je dis bruit — je metz. 

— Je luy viens à gré — je luy plaiz. 

— Je faitz tout — je faitz dyablerie. 

— Je suis plus belle que tu n'es ; 

— Mais moy, par la Vierge Marie, (3) 

Brief , à oûyr leur resverie , 
Comment l'une l'autre guermente , 
S'estoit une droicte faerie, (&) 
Comme dit celle déposante , 
Laquelle y fut tousjours présente : 
Et s'elle n'eust deffaict la meslée , 
Elle croit de vray et se vante 
Que l'une eust esté affoUée. 

Car comme elle dit , la Rusée 
Ne taschoit si non à paigner, (6) 
Et de lascher quelque baulfrée , 
A mordre , ou à esgratigner. 

Quant le mignon vit rechiner (6) 
En ce point , sans plus enquérir , 
De paour qu'on le vint empoigner , 
Il fut saige ; et luy d'escarrir. 
La Rusée se print à marrir 

k 



50 

De plus en plus , et se ti*aubler ; 
Et jura, selle debvoit mourir, (1) 
La nuyt qu'elle Tyroit ribler. 

S'elle sçet personne assembler 
Sur ce cas , par aucun moyen , 
Pour soy préparer d'y aller? 

— La déposante n*en sçet rien. 

Examiné s*elle sçet bien 
A qui appartient ce mignon ? 
A la Simple? quoi? et combien ? 

— Aultre chose n'en sçet , si non , 
Qu'elle croyt mieulx qu'il fust à l'une 
Qu'à l'autre ; car le compaignon 

Y passoit souvent sa fortune. 

Mais du surplus de la rancune , 
Ne troys , ne deux , ne six , ne sept , 
Soit sur quelqu'ung , ou sur quelqu'une» 
Elle jure que plus n'en sçet 

LE TIER9 TESMOING. 

Et ce dit jour , d'ong mesme traict » 
Le soir , au son d'une flutte , 
Fut oûy ce tesmoing de faict 
Qui de tout ce cas nous députe , 
Vénérable personne et juste , 
Maistre Bidault de Cullebutte , 
Ghappellain d'ammanche faucille , 
Grant abbateur de prime lutte , 
Chanoine de longue barbutte, (2) 
Et Curé de saincte Bazîlle , 
Hospitallia* de mainte fille , 
Doyen de par la belle drille , (8) 
Archeprestre d'escaîBc ncux , (4) 
Achediacre de trousse quille , (5) 



51 

En TEsglise de saincte Cheville 
Sur le pays de Muscannoys , 
Aagé d*aDS quelque trente trois. 

Assermenté delamdlée (1) 
Nous dèclaira à haulte voix , 
Qu'il en diroit sa ratellée ; 
Et fist serment de plaine entrée , 
Qu'il congnoissoit les personnaîges , 
Tant la Simple que la Rusée , 
Lesquelles ne sont gueres ssdges. 

Dit plus , qu'il a faict maintz voyages , 
Porté lettres puis ça , puis là , 
Et faict en amours maintz messaîges 
Dont il a eu les biens qu'il a ; 
Et que de cest art se mesla 
Jadis , tout par tout , en maint lieu ; 
Et a esté duict à cela 
Fust en grec , latin , ou hebrieu : 
Et pour ce cas , pour cest adveu (2) 
Servit et fut très familier 
Du Révérend Père en Dieu 
L'Evesque de pince dadîer ; 
Lequel estoit trop coustumier , 
En chambre natée loing de rue , 
En lieu d'aultour et de lasnier , 
De tenir des garces en mue. (8) 
C'estoit tousjours sa revenue ; 
• Et failloit ung grant gibacier (â) 
Plain de rouelles de leton , 
Lequel son maistre Faulconnier 
Attachoit au bout d'ung baston ; 
Quant lesym phes oyoîent le son , 
Tant fussent-ilz voilées loing , 
Elles accouroyent de grant randon 



52 

Eux rendre à deux coups sur le poing. 
Le déposant avoit le soing ; 
Et à cause de son office , 
Pour ce qu elle faisoit besoing , 
En a eu maint bon bénéfice. 

Or sur la matière propice (1) 
Dont il est présent question , 
Interrogué , sans aucun vice , 
S'il sçet à qui est ce mignon ? 
— Ledit déposant dit que non , 
Et qu'il ne sçet à qui il est , 
Ne à qui il appartient , sinon 
4u premier qui la main y mect ; 
Et dit que le droit le permect. 
Nom injure reperitur : 
Quod nullius in bonis est, (2) 
Occupanti conceditur. 
Si ce mignon « ut dicitur , 
N'appartient à honome vivant , 
11 fault dire pour le plus seur 
Qu'il soit au premier occupant , 
Il oc est , le premier qui le prent ^ 
Sans quelque difficulté; 
Supposé qu'il ne soit pourtant 
In aliéna potestate ; 
Mais qu'il ait franche voulenté 
Et franc arbitre en tout usaiges 
Et qu'il puisse yver et esté , 
Courir par buissons et bocages^ 
Gomme font ses bestes sauvaiges. 
Et nous dit : (si hoc sit verum) 
Qu'il tient des natures ramages 
Apum et Galiinarum, 
Siauferat compectum; (3) 



53 

QiUB pars , dit le déposant , 
52 non habuerit animvm 
Plus revertendi (qui s'entend) 
Encores au premier occupant. 

— D'elles, la Simple et la Rusée? (1) 

— Sur ceste demande formée , 
Dit que elle qui peult coucher (2) 
Avecques luy quelque nuytée 
Pour le faire bien esmouscher , 
Devant que l'autre y puist toucher , 
(Cela selon le droit s'entend) 
Qu'elle doibt estre , sans reprocher , 
Tenue la première occupant : 

Et s' elle avoit peu faire tant , 
Que le mignon soir ou matin 
La vint veoir ordinairement (3) 
Et luy bailler le picotin. 

Et s'il est en quelque advertin 
Parquoy il ait laissé cela , 
Dit : de rechef, il est enclin 
D'estre au premier qui le prendra. 

Et combien quod hœc omnia 
Si suntjura et non facta. 
Que en noz Enquestes on n'a 
Que faire d'y bouter cecy , 
Toutesfois déposa ainsi 
Ledict tesmoing et de la sorte , 
Par telle forme et par tel si , 
Comme l'escripture le porte. 

Du surplus , comme il se comporte , 
Jure sa foy qu'il n'en sçet rien ; 
Du tout en tout il s'en rapporte 
iux aultres qui le sçavent bien. 



54 



LE QUART TESMOING. 

Et lendemain , aodîct an , 
Par nous , en faisant bonne chère 
La veille de sainct Godegran , (1) 
Fut oQye ceste menasgere , 
Dame de bonté singulière , 
Valentine irreguliere , (2) 
Religieuse de Frevauk , 
Abbesse de hauHe culi«*e , 
Prieure de longue barbiere (3) 
Du Diocèse de Bourdeauh , 
Aumousniere de vieulx naveaulx , 
Gardianne de vieuk drappeaulx , 
Le dos esgu comme une botte, 
Chevauchant à quatre chevauk 
Sans estrivieres ne houseaulx , 
Et ridée comme une marmote , 
Aagée comme une vi^e cotte , 
Jura sur ung gras cbappon cuyt , (&) 
Demy saige et demy bigotte , 
Déposa tout ce qui s'ensmt : 

Et de prime face nous dit 
Qu'il est vray que l'année passée 
n y eu3t ung terrible bruit 
Entre la Simple et la Rusée , 
Pour la cause qu'a déposée 
Noble Dame hault atoumée 
Pâme Florence l'escomée , 
Laquelle a narré tout cela : 
Tant que la Rusée se ravisa , 
Et pour ce mignon accabler 
Une nuytée délibéra 
Qu'elle mesme Firoitribler : 



55 

Et fist des fdles assembler 
Environ quarante ou cinquante ; 
De faict les pria d'y aller 
Avecques celle déposante , 
Laquelle y fut tousjours présente 
Avecques d'aultres ung grand tas. 

C'est assavoii* : Margot la gente « 
Jaqueline de Carpentras , 
Olive de gaste fatras , (1) 
Hugueline de cote crotée, (2) 
Marlon de traine poetras , 
Et Julienne Tesgarée , (8) . 
Cristîne la découloiu^ée , 
Egyptienne la pompeuse , 
Augustine la mauparée , 
Bertheline la rioteuse , (&) 
Sansonnette lourde grimasse , (5) 
Henriette la marmiteuse , 
Guillemette porte cuyrasse , 
Ragonde michelon beccasse , 
Regnaudine la rondelette , 
Laurence la grant chiche face 
Demourant à la pourcellette , 
Jacquette la blanche fleurette , (6) 
Tiennon la cousine Yolant , (7) 
Edeline pisse collette . 
Maistresse de la truye volant , 
Freminette de mal tallent, 
Gefiine petit fretillon , 
Raulequine de Fesquillon , 
Josseline de becquillon , 
Et Dame Bietrix demourant 
En la rue du Carrillon 
A l'ymage du Gormorant , 
Toutes filles d'ung père grant : 



50 

LesqueDesde faict apensée, (1) 
Ayant leurs oliviers courant » 
Acompaignerent la Rusée 
Et yindrent avec le déposant » 
Contrefaisant la grosse armée , 
Affin d'avoir ceste despoUilIe : 
Dont chascun avoit son espée » 
Ou à tout le monde sa quenouille ; 
L'une crie et l'aultre fatrouiUe ; 
L'une avoit ung escouvillon 
De four ; l'une Taultre brouille ; 
Et l'autre portoit ung pillon. 
Et vindrent toutes , se dit l'on , 
A la Simple par bonne sorte , 
En criant : se nous la trouvons , 
On peult bien dire qu'elle est morte. 

Et de faict par puissance forte , 
A tout ung gros chevron de boys 
Vous vindrent accabler la porte , (2) 
Et fraper des coups plus de troys, (S) 
Hads de leur malheur toutesfoys, 
Elles ouyrent quelq'ung venir , 
Qui d'une vessie plaine de poys 
Les en fist toutes enfouyr , 
Et de vuider et de courir , 
Et la Rusée toute première. 
Bref, on les fist bien escarrir, 
Que ame ne demeura derrière , (A) 
Sinon une vieille tripière 
Qui avoit une jambe enflée , 
Laquelle couroit la dernière , 
Après toute ceste assemblée. 

L'une crioit : je suis blessée. 

— L'autre : j'ay laissé ma massue. 

— Et l'autre : je suis affolée ; 



57 

Helas ! m'amye je suis perdue. 

— Et vous couroyent parmy la rue , 
Gettant ung si terrible cry , 

Tant que la Ville en fust esmeuë 
Et le commun tout esbahy, 

Examiné après cecy , 
Se quelq'une fut point fourbie? 
— Respond et jure que nenny : 
Qui n'y eust aultre baterie. 
Mais , se n'eust esté la vessie 
Qui en ce point espouventa , 
Il y eust eu grande tuerie , 
Avant qu'on fust party de là. 

r 

Examiné cahy, caha, 
A qui appartient ce mignon ? 

— Dist qu'elle ne sçet riens de cela : 
Mais selon bon droit et raison , 

Se quelque bourgeoise a le nom 
D'avoir amy , se une aultre femme 
L'usurpe par ambition , 
Elle est réputée pour infâme. 
Toute envie et toute diffame , 
Tout mal, toute sédition, 
Toute malle voulenté , tout blasme 
S'engendre par corruption. 
Aussi, comme elle dit, voit-on 
Des plus succrées et plus parées , 
Par faulce subornation 
Bien piteusement désolées ; 
Et les plus esmerillonnées 
Ont entre elles inimitié , 
Et font de maulvaises traînées ; 
Dont c'est une grande pitié. 



58 

Et dit que, selon l'équité. 
Celle là qui est trouvée telle , 
Doibt estre pour sa mauvaistié 
Punie de peine corporelle. 

Du demourant de la querelle 
Examinée , respond et dit 
Qu'elle n'en sçet aultre nouvelle t 
A tout le moins touchant ce bruit. 

LE QUINT TESMOING. 

Et ce dit jour, heure de nuyt, 
Sans tenir Digeste ne Code , 
Fut oQy , cestuy qui s'ensuit , 
Par nous derrière une custode : 
Godeilroy d' Arrachasse brode , (1) 
Escuyer à la vieille mode , 
Homme d'arme par toutes voyes, 
Aagé comme une vieille gode , 
Fort et puissant conune ung Herode 
Pour esgossiller grosses oyes , 
Grant gênerai de morte payes , 
Tenant à ferme vieilles brayes , 
Résidant au hault et au loing , 
Concierge de buissons et de hayes, 
Et maistre des faulces monnoyes 
Qui sont forgées à double coing , 
Produit et oûy pour tesmoîng , . 
Cessant toute suspition , 
Jure , comme il estoit besoing : 
Nous dit sa déposition. 

Et premièrement qu'environ 
Dix ans a , ledict déposant 
Congneut la Simple et le mignon , 
Et la Rusée semblablement ; 



59 

Et , jamais ne fut si enfant 
Qu'il n'ouyst racompter tousjours 
Que la Rusée principallement 
Se mestoit d*aymer par amours , 
Et qu'elle sçavoit tant de tours , 
Tant de ruses , tant de blason , 
Qu'elle entretenoit les plus gourdz 
Et leur faisoit bien leur raison. 

Examiné si ce mignon 
Est à la Simple? — Et , se ainsi est, 
Qu'il nous declaire assavoir mon 
S'il vient de propre ou de conquest. 
S'il vient de naissance ou d'acquest , 
S'il vient d'apport ou de douaire , 
Comme elle l'a eu, et que c'est , 
Et que tout ce cas nous declaire ? 

— Respond qu'il y a grand mystère , 
Et que la Rusée , ce dit-on , 
Avoit jadis une commère 
Appellée la grant Alison : 
Laquelle tenoit ce mignon 
Et l'entretint longtemps , et l'eust , 
Comme on dit , par succession 
De sa feu tante qui mourust ; (1) 
De laquelle tante elle fust 
Héritière , comme est notoire , 
Et , comme depuis on congneust , 
Par bénéfice d'inventoire : 
Et tous les biens mis par mémoire^ , 
Deducto cUieno jure j 
On treuve que de reste encoire 
Ce mignon luy est demouré , 
Et qu'elle l'a longtemps aymé , 



60 

Et fadct maintes bonnes chosettes , 
Entretenu , bavé , gallé , 
Avec plusieurs œuvres secrettes , 
Et en faisant ces besongnettes , (1) 
Ainsi qu'on ne se doubte pas : 
Après toutes aultres sornettes 
Elle alla de vie à trépas 
Sans hoirs , héritiers , ou parens ; 
Entre lesquelz ce gorgias 
Demoura tout seul , sur les rens : 
Et fut doncques, par ces moyens , 
Sans y mettre aulcuns contreditz , 
Comme les autres biens vacans , 
In bonis hœreditatis. 

Et pourtant non dubitetis, 
Quod quœcunque acquirebat , 
Ante adventum hœredis, 
Hereditati quœrebat; 
Et sic illud concernebat 
Hœredes post ea factos. 

Au fort laissons tout ce débat , 
Et venons à nostre propos : 
Ledict déposant en brefz motz 
Nous dit que le Roy succéda 
A ses biens vacans tout en gros , 
Et ledict mignon posséda. 
Toutesfoys depuis il laissa 
Toute ceste succession 
A Tanneguy de Baillera, 
Qui estoit son grant eschansson. 
Peu de temps après le mignon 
Impetra d'iceluy Seigneur 
Lettres de manumission , 
Soubz umbre de quelque couleur 



61 

Qu'il estoit ung bon serviteur : 
Et fut, par bien jouer du plat, 
Par ses lettres et leur teneur (1) 
Remis en son premier estât. 
Et estoyent les lettres d'ung dat 
Dattées en formes d'escrouë , 
Escript dessus ung grant fiât, (2) 
Signé maistre Jehan Tortemouë , 
Présent Olivier Patte-d'ouë , (3) 
Yvonnet d'Empoigne-clicaille , 
Maistre Hervé de Crocque-pouë 
Secrétaire de basse taille ; 
Et lesdictes lettres sans faille , (A) 
Bien et deuëment interinées 
Par Monseigneur Vaille-que-vaille , 
Juge de grasses matinées. 
Or laissons toutes ces traînées. 

Examiné après , comment 
La Simple , par quelz destinées , 
Peult avoir le gouvernement 
Du mignon ? — Dépose briefvement (5) 
Que, après qu'il fust à devis ^ 
Comme dit a esté devant , 
Il alla gaudir à Paris 
Et hanta tous legiers espritz , 
Gorglas ,'enfans de plaisance , 
Et eut par telz charivariz 
De la Simple grant congnoissance. 

Or par vertu de l'acointance 
Et de sa gorgiaseté , 
Une secrette intelligence 
Les mist en grande ]M*ivaulté. 

Depuis par amours ont hanté 
Souvent l'ung l'autre ; ilz se trouvèrent 



62 

Eux deux à une youlenté. 
Vêla comment ils s'entraymerent ; 
Et tousjours &i bien s'accordèrent 
Sans couroucer , ne rechigner , 
Que je cuyde qu'ilz besongnerent 
Ainsi qu'il falloit besongner. 

Et ce mignon , pour abréger , 
Pour la rémunération 
Des biens faits , se veult obliger 
Et mettre en la subjection 
De ceste Simple , ce ditr-on. 
Et depuis fut abandonné 
A elle : ainsi fûct pactum 
\estium traditione. 

Item usurpatione j 
Elle en acquist la seigneurie : 
Car elle en a joûy et usé 
Dudict mignon toute sa vie. 

Au regard de la baterie , 
Et aussi sur les aultres pointz , 
Dépose de la broûillerie 
Comme on faict les autres tesmoingz : 
Et ce dict tout, ne plus ne moins. (1) 

LE SIXIESME TESlfOING. 

Et ce mesme jour sur la brune • 
Fut ouy sans aller plus loing 
Quelq'un qui nous en bailla d'une , 
Maistre Mathieu de Hoche-prune , (2) 
Recepveur de riffle pecune , 
Reformateur de tous coquus , (3) 
Grant cousin de Happe la lune , 
Espicier de dragée commune , 
Et marchant de moules à culz , 



6S 

Seelleur de harnoys esmoulus , 
Greffier sur le faict des esleuz , 
Escripvant en lettre de forme , 
Patron des enfans dissolus , 
Notaire en parchemin de corne , (1) 
Et grant Advocat dessoubz l'orme , 
Juré sans reigle ne sans norme , 
Aagé de je ne sçay combien , 
Interrogué , sans se qu'il donne, 
Nous a dit tout le tu autem. 

Et tout premièrement , que Fan 
Mil quatre cens soixante et dix , 
La propre veille de s^dnt Jehan , 
En la sepmaine à deux jeudis , 
( Par ses paroUes et ses dictz (2) 
'Dont n'est ja besoing de soy taire , ) 
Avecques d'aultres estourdiz 
Il fut faict et créé Notaire 
Au Baillage de Pauquaire , (S) 
Présent maistre Lucas Pillette , 
Aussi Monsieur le Gonunissaire , 
Maistre Artus de Tourne-molette , 
Messire Dreux Barbe-follette , 
Maistre Adam de Tire-lambeaux , 
Maistre Gringenault Ghevillete 
Grant Conseiller des Generaulx,, 
Maistre Ponce Arrache-boyaulx , 
Maistre Gratien Taste-mistre (A) 
Audiencier de faitz nouveaulx 
Et contrerolleiu* de belistre , 
Maistre Marpault de Ghante-epistre , 
Maistre Florentin Teste-molle , (5) 
Crachant tousjours loy ou chapistre 
Et résolus comme Bertholle , 



6& 

Clercz quant ilz ont leur portecolle 9 
Racheteurs de rentes fondues, (1) 
Et touchant Testât de Tescolle 
Advocats de causes perdues ; (2) 
Ce déposant , en plaines rues (3) 
Fut faict Notaire ; et par excez 
Passa des lettres bien cornues , 
Comme vous orrés cy après ; 
Et eut en ceste office accez , 
Et en fut vestu et saisy , 
Par le trespas et le decez 
De feu Michelet Mauchoisy , 
Lequel , pour passer ung nisi 
Et faire une monition 
En vieil parchemin tout moisy , 
Estoit ung ouvrier de renom. 

Or dit après que le mignon 
Et la Simple vindrent à luy , 
Pour passer l'obligation 
Sur le faict de ce dict amy. 
Et brief , qu'il la p^ssa ainsi ; 
Et y avoyt , se luy sembloit , 
Que le dict mignon par tel sy 
A ceste Simple s'obligeoit 
Et en ses mains luy promettoit , 
Par ses mains corporellement 
Sur ce données , qu'il serviroit (â) 
Ladicte Simple complaignant , 
Et luy presteroit franchement 
Son corps , s' elle en avoit affaire , 
De bon gré , vouluntairement , 
Sans jamais venir au contraire , 
Sans émanciper, ou retraire 
Ailleurs , sans faire en luy nuysant 






65 

Chose qui luy doibve desplaire * • 
Mais tousjours luy seroit duisant : 
Et en l'accolant et baisant 
Feroit ses opérations ; 
Et renonça , en ce faisant, 
A toutes faulces actions , (1) 
Tromperies , exceptions , 
Respis , lettres et instrumens , 
Quinquenelles , dilations , 
Privilèges et aultrement , 
Et à tout generallement 
Contraire à ceste paction , 
Mesmement au droit reprouvant (2) 
Toute renonciation» 

Et par sa déposition 
Dist ledict tesmoing qu'il passa 
Avec ceste obligation , (3) 
Et que le mignon confessa , 
Et encores ratiffia 
Tout ce qui avoit esté faict. 
Et vêla comment il s'en va : 
Et dit qu'autre chose n'en sçet, 

Oultre examiné en secret 
Touchant les abus infinis 
De la Rusée ? — Respond de faict 
Comme les temoîngs dessùsdictz : 
Les ditz desquelz icy reduictz 
Avons , en toute diligence , 
Bien examinez et exquis , 
Tout selon Dieu et conscience : 
Et lesdictz tesmoings , sans doubtance , 
ft*oduis par la demanderesse , 
Jurés et oûys en l'absence 
De ladicte deffenderesse. 



66 

Et en besongnant sans paresse, 
Par nous ceste présente année , 
La Feste de nostre Parroisse , 
A esté l'Enqueste achevée. 
Signée GefFroy Chasse-niarée , 
Regnault Prent-tout , Macé Maudît» (1) 
Commissaires d'après disnée , 
Gomme dessus a esté dict. 



Cy finit CEnqueste d'entre ta Simple et 

la Rusée, 



LES DROITS NOUVEAUX 



DE 



Naislre GuiUaome Coquillart. 



ARGUMSNT< 



Sous les faibles descendants de Gharlemagne, Tunité 
monarchique fut bientôt brisée; celle de la loi eut le 
méffle sort. Chaque pays eut son code. 11 en ftit ainsi 
jusqu'au moment où les lois recueillies par Justinien re- 
parurent sur rhorizon. Les provinces du midi se sou- 
mirent facilement au droit écrit ; les bommes du nord 
s'en tinrent au droit coutumier. Cette anarchie conve- 
nait à la féodalité : avec ses lois particulières , ses mon* 
naies , ses châteaux, ses soldats , elle régnait, gouver- 
nait , et ne voulait pas abdiquer. Vinrent enfin les héros 
de la monarchie : Philippe- Auguste et Charles V lut- 
tèrent contre Thydre féodale, et surent abattre quelques- 
unes de ses têtes. Sous- Charles Yl , TAnglais, maître 
de Paris ^ rendit des ordonnances , dicta des lois , in)- 
posa ses coutumes. Charles VU profita de ces blessures 
faites à Thonneur national pour provoquer la rédaction 
de toutes les coutumes de France : les malheurs de 
son règne ne lui permirent pas de mettre à exécution 
ce libéral projet. Louis XI se décida, dans les der- 
nières années de son règne , à ordonner que les cou- 
tumes de chaque bailliage seraient réunies , discutées et 
constituées en corps de lois. En 1481 , une commis- 
sion fut nommée pour rédiger celles de Reims. Ce Ait 
une affaire d'état : révision des lois civiles et pénales , 
réformes politiques et religieuses devinrent le siyet de 
toutes les conversations. La curiosité publique était 
éveillée; Toccasion était belle pour faire une satyre 
et flétrir abus et scandales : Coquillart ne la manque 
pas. 11 monte en chaire , il annonce qu'il va professer 
les nouvelles lois^ les droits nouveaux, les droits à la 
mode; il appelle à lui capitaines, avocats, médecins, 
magistrats , hommes d'armes , artistes et gens de lettres. 
L^auditoire est réuni ; la foule est à ses pieds , silencieuse 
et attentive : alors le hardi frondeur livre à la société 
de son temps un assaut en règle : il Tattaque à coups de 
bélier : traits et dards, projectiles de toutes sortes 



pleuveol sur elle ; il livre lour-à-tour à la risée publique 
la Ténalité des amourt , rincoDUnence des femmes ma- 
riées, la fritollté de la Jeunesse et les modes exagérées 
qu'elle adopte, rindiOéreBce et la èmulité des maris, 
le reAis que font les Jeunes femmes coquettes de nour- 
rir leurs enllints , le luxe elfréné et les toilettes rui- 
neuses , les fraudes et les friponneries qu^splrent l'a- 
môur du gain, rUnirersité et ses viees, la vanité 
des mères, les dépenses excessives qui mènent les 
fioauBes à te prottitoer , la vanité des panrenus, celle 
des riches keurgealses , ta débauche maîtresse de cer- 
tains eourenit , ta féale des hénéaees ecclésiastiques , 
ta réfOCillM d» ta pngw a Hqa e sanction , ta corruption 
des iéputia aui Ëlats-généranx , ta proxénétisme , ses 
frandes ^ vM tniNraité , les rases des femmes gâtantes 
et ta taurilerfe des gens du monde f ta médisance , V In- 
dlscfétlM des amonrenx et ta paittence intéfeasée des 
maris liompéa. Au mlliea de cette targe mêlée , te poète 
tance mille traita épars : me phrase, un hémistiche, 
un mot souieM porte eeup. Le poëme se divise en ru- 
briques, titres et chapitres : il a rapparence d^ code. 
De temps à autre svrgiMent des locutions empruntées 
ironiquement soit au texte des coutumes locales , soit 
à la Mgirtitfon romaine. L« satyrique ne heurte pas de 
tmoî les vices cl tas abus ; H a Tair de plaider pour eux 
et proBonccr en leur taveur l^rtèt rendu par la cortup- 
tioB du temps : eoiHgaî lidenèo mores, Goquillart 
n*avait pas tout dit : à ta fin de sa aatyre , t annonce 
qu^ remet à Tannée prochaine ta sulle de ses cours ; 
il demande pardon aux dames , et les assure qu^il n^ 
Torin que ptaisanfer ; pids sa financfaise reprend le des- 
sus-sur ta g s i a n terl e , et «Re finit par dire : 

Mail en tom liens et bas et lianlx 
SouTienae tous de» droits nouvemalx. 



S'ensuyveBt les Broits ioiv«m 
àt CoqoUlart. 



{tofuiièct (Partie. 



Frisques mignons , bruyans enifans , 
Monde nouveau , gens trîumphans , 
Peuple tout confit en images , 
Parfaits ouvriers , grans màitres Jëhans » 
Toujours pensans , veillans , songeans 
A bastir quelques haulx ouvrages , 
Farouches , privez et ramaiges , 
Humains , courtois , béguins , sauvages , 
Dissimulateurs , inventeurs , (1) 
Cueur actif , et saiTres couraiges , (2) 
Laissez bourgades et villaiges , (3) 
AfGn d'estre nos auditeurs. 

Venez ,venez soï)hiâtiqueurs , 
Gens instruits , plaisons , tôpiqueurs , 
Remplis de càutelles latentes, 
Expers , habilles , déclitjUeujns , (4) 
Orateurs , grand Rh^ètoriqtieûrd 
Garnis de langues esclatatites , 
Aprenés nos modes fringantes 
Et nos paroUes élégantes , 
Nos raisons, nos termes juristes : 
Nos sciences vous sont duisantes 



72 

Et nos traditives plaisantes , 

Et nos enseignemens bien mistes. 

Venez pompans , bruyans Légistes : 
Mededns et Ypocratistes ; 
Laissez vos saulces et vos moustardes. 
Venez , mignons Curialistes , 
Musiciens et Organistes , 
Et laissez vos harpes lombardes : (1) 
Archiers , hûssez vos halebardes : 
Canonniers « laissez vos bombardes : 
Piétons , laissez yoUer vos picques : 
Mignons , laissez chevaolx et bardes , 
Vos grands battons , vos Becs d'oustardes : 
Sophistes , laissez voz Logiques : 
Ystoriens , laissez Croniques : 
Gouverneurs, laissez Politiques : 
Conseillers , lûssez vos rapors : 
Orateurs» laissez Rhétoriques : 
Avocatz , laissez vos pratiques : 
Generaulx , laissez vos trésors : 
Baillifz 9 laissez vos grans ressors , 
Vos fins, vos limites, vos hors ; (2) 
Capitaines, laissez conquestes ; 
Laissez conseils faveurs et ports : 
Tous autres pensements soyent mors « 
Jusques à la fin de ces festes : 
Procureurs , laissez les requestes : 
Commissaires , laissez enquestes. 

Ma science est trop plus prisée ; 
Ouvrez vos yeuk , fendes vos testes , 
Oyez nos sciences honnêtes , 
Puisque l'heure y estjdisposée. 

Venez , la Symple et la Rusée 



78 

Qui avez la court abusée , 
Venez , on vous enseignera. 
La cause eust été terminée 
Entre vous deux ; mais ceste année 
Je cuide qu'elle surcerra : (1) 
Une aultre foys on y pensera. 
— Escoutés donc ce qu'on dira , 
Aprenez , soyez clergeresses : (2) 
Quelque mot vous y servira 
Quant Tarrest se prononcera 
D'entre vous aultres plaideresses. 

Ça , mes mignonnes danceresses , 
Mes très plaisantes bavarresses , 
Délaissez vos amoureux traitz : 
Mes grandes entreteneresses , 
Combien que vous soyez maitresses , 
Escoutez nos moyens parfaicts. 

Cloez l'œil de : je hay telz fais ; (3) 
Les paupières de : je m'en tais ; (â) 
L'oreille de : tout sonne cas ; 
La langue de : tout est mauvais ; 
La bouche de : laisse m'en paix ; 
Et les dens de : ne me plaist pas. 

Prenez l'art de : je m'en esbas; (5) 
L'ardeur de : vêla ung bon p^ ; 
Le vouloir de : on ne me peult mieulx dire ; 
Les grands gestes de parler bas ; (6) 
La façon de : vêla mon cas ; 
Et le ris de : grand mercy , Sire. 

Quant est de moy , pour vous instruire, 
Pour vous recréer et desduire , 
J'ay vestu ma chappe d'honneur, 
Mon chapperon fourré pour lire^, 



74 

Mon pulpitre pour plus hault luire , (l) 
Et mon bonnet rond de Docteur , 
Ma grant lenteme de liseur , 
Mon livre pour estre plus seur 
Sans faillir ne sans repentir. 

Les Dames par leur doulceur , 
A ce faire m'ont meu le cueur : 
Honneste cueur ne peult mentir. 

Ça , mignons, pour vous advertir , 
Puis que on voit vos anciens droitz (2) 
€asser, annuller , pervertir , (3) 
Par la confusion des Loys , 
Et que j*apperçois et congnois 
Que , pour trainacer le patin , 
n est de grans clers en Françoys 
Qui ne sont que asnes en latin , 
Lesquelz sont vêtus de satin 
Et ont or , argent et joyaulx ; 
Advisé me suis au matin 
De vous lire des droite nouveaulx, 
Droitz nouveauk, droits especiauk » 
Droitz dont on use par exprès. 

Ce ne sont pas droitz feriaulx , 
Les droitz de la porte Bandais : 
Nenny non : c9son droitz tous frais » 
Droitz de maintenir bref et court (A) 
Par les mondains du temps qui court. (5) 
Et n'y ayt si sot , ne si lourd , 
Si nyaiz , ne si mal basty , 
Pour faire du gros , du demy lourd » 
Qui n'use des droitz du jourd'huy. 

Et en eifect , de ces droitz cy , 
Toute la première rubriche , 
C'est de jure naturali , 



75 
Du droit naturel : je m'y fiche. 

DE JUKE lïATURALI. 

Ce droit deffend à povre et riche 
De laisser , par longues journées , 
Povres femmellettes en friche 
Par faulte d'estre labourées : 
Mais veult qu'elles soyent reparées , 
Paisibles en leurs Jouyssances , 
Toujours maintenuôs et gardées 
En toutes mondaines plaisances. 

Et pensés quelles alliances (1) 
D'amour et de vraye union , 
Leurs signes et leurs circonstances 
Prennent du droit naturel nom, 
Pourquoy ? car la conjunction , 
Le faict principal et meslée , 
La fin , la fréquentation , 
Fut de droit naturel trouvée. 

Se en quelque amoureuse assemblée , 
Ung mignon peut avoir accès , 
Que fera-il de première entrée ? 
Il prye , il commence ung procès , (2) 
Il sollicite de si près 
, Que Litiscontestation 
Se faict ; et puis on vient après 
A faire la production. 
Et fault produire quelque don , 
Quelque afiiquet : si semble beau , 
On mettera sans dilation 
Les pièces dessus le Bureau. 
Là se fait ung droit tout nouveau , 
Dieu sçait comme on pratique l'art. 

Et se c'est ung sot ou ung veau 



76 

Qui n'ait riens produit de sa part , 
Que fait-on ? se c'est ung coquart 

Qui peult estre a produit trop pou ? 

On le met à ung sac à part , 

Et le laisse-on pendre au clou. 

On l'enporte je ne sçay ou , 

Sans en faire longues enquestes , 

Et le met-on en ung vieil trou 

Pour les vueiUes des haultes festes. 

Aucuns par bien bailler requestes ; 
Obtiennent des provisions ; 
Les aultres se y rompent les testc^ , 
Et n'ont point d'expéditions. 

Tel2 moyens d'amours , telz façons 
Viennent aux femmes de nature : 
Telz industries , telz leçons 
Le droit naturel leur procure. 

Beau Sire , si la créature 
Prent tous les jours de son mary 
Le picotin à grant mesure , 
Fait-elle mal ? — Nenny , nenny. (1) 

Et s'il est pesant , endormy , 
Songeart et qu'il n'y puisse entendre , 
Doit-elle point avoir ung ami ? 

— Je dis qu'il est besoing de attendre 
Qu'il soit sommé , avant qu'en prendre (2) 
Ailleurs. Et s'il respond : sans plus ? 

— Je me garderay de mesprendre (3) 
Quel provision du surplus ; 

Ce delay là semble reffus. 

Pourtant ne dqit point estre mis 
Si tost du nombre des cocus 
Le mary , par six ou sept nuys ; 
Combien que s'il passe les dix 



77 

Sans cause , et que le boys s'alume , (1) 
Femme peult prier ses amys 
Et faire selon la coustume. 

Mes mignons , escoutez la plume ; 
C/est trop le latin escumé. 

Faictes tousjours que l'on se fume , 
Ainsi qu'avez acoustumé ; 
Humez se vous n'avez humé , 
Riez comme vous soûliez rire , 
Semez se vous n'avez semé , 
Dictes comme vous soûliez dire. * 

Ne laissez point vos droitz prescrire ; (2) 
Soyez songneux de les apprendre : (3) 
Car on parle souvent de cuire , 
Mais le fournier n'y veult entendre : (4) 
Toutes fois batre pour l'esclandre , (5) 
Pot à couvert pour les buvans , 
Loyal , subtil , secret , ou rîans. (6) 
Nos mignons fringans et bruyans (7) 
Qui brouillent nostre parchemin , 
Nos fringans , nos peruquians , (8) 
Nos gens traverseurs de chemin , 
Hz font leur compagnon Jennin , 
Leur gros vallet Gaultier Fouet , 
Leur frère d'armes Guillemin , 
Et leur Paige Bec à Brouet. 
Qui se enquierent : non est ? — si est ? 



— S' elle est Damoyselle ou Bourgoise? 

— Quel* robe elle a ne quel corset 
Soubz son chapperon de Pontoise ? 

— S' elle est grave ? — s' elle ge poise ? 

— S* elle a ne mortiers ne pillectes? 

— S' elle est fiere, doulce ou courtoise? 

— S'elle a filz , filles ne fillettes ? . 



78. 

— S*elle est du quartier des BUlettes? 

— Gente , coiute , propre ou fetisse? 

— S'elle a ne rubens n'éguillettes 7 (i) 

— Se c'est ou sucre ou forte épice 7 
Se Testât haulse ou apetisse ? 

Chascun en lit une leçon : 
Tantost vêla Colin le Suysse (2) 
Qui en va faire une chanson. 
Quelque Tabourin ou Bourdon • 
En orra peult-estre le bruit ; 
C'est pour dancer ung tourdion 
Et faire une aubade de nuy t 

Ha 1 qui tiendroit le droit escript 
Et le droit naturel toujours , 
Chascun craindroit grant et petit; 
Jamais on ne feroit telz tours. 

Il fauldra que l'ung de ses jours , 
Pour corriger telz inventeurs , 
Venus, la Déesse d'amours » 
Y envoyé ses reformateurs. 
Combien que tous ces grans Docteurs f. 
Ces grans Clercs à ses rouges hucquea 
Sont fort embesongnez ailleurs , 
Touchant le faict de ses perruques : 
Car aujourd'huy de deui frehupes , 
De cheveulx d'ung petit monceau , 
Il semble qu'il y en ayt jusques 
Au collet, et plain un boisseau. 
J'ay veu despescher au Seau, 
L'aultre jour , des lettres patentes 
Pour couper au rez de la. peau 
Telles qui ne sont suffisantes. 

Venons aux matières présentes , 



79 

Dû droit naturel conûmencées. 

Femmes qui sont beltes et gantes , 
Doivent-elles estre laissées? 
Nenny , non ; mais estre priées , 
Avoir leur plaisir et esbat , 
Souvent à souhait maniées , 
Sans estre délaissée tout à plat. 

Et pensez que main lourt débat 
Se feroit pour fournir Thostel , 
Se toutes bourgoises d^estat 
Sçavoyent bien ce droit naturel. 

Or je mez ung cas qui est tel ; 
Ung maiy en vacation , 
Voyant que le teiBi» étoit bel , 
S'en alla en commission 
Veoir sa belle ante » se dit-on : (1) 
Il demourra bîe» es vUkiges , 
Cinq ou six moys^ âssav0Jin»oa, 
S'il est tenu des airreraig^ 
Quant il revient? — Sie«it aiuc^ns saiges 
Que le mary , commd j'eiuli«»s ^ 
En est tenu par touô. usaiges., 
Veu qu'ilz sont escheuz de soix tcaswps. 

Et se d'aventure je sens , 
Que la femme d'aultre costé ^ 
En prengne? — Cclarfy Mt riens : 
Arreraiges sont pey sonaeb , 
Et ljQs.doîv€int touS: wmi^is» 
De rigeur , comme dirait dQ v©ate : 
Posé qu'ilz soyent tou^^Hur» payez : 
Les Seigneurs recourbât IteiJK reatev. (2) 
Autrement donc» quant biae veajbe , 
Chascun àelaii>ix)it sa maôsoisi 
Et s'en yroit veoir sa belle ante : 



80 

II n*y auroit point de raison. 
Je forme une aultre question 

De droit naturel qui ne fault : 

Que permise est defFension 

A ung chascun , quant on l'assault. 

Ce présupposé , ung lourdault 
A belle femme jeune et tendre , 
• Il frappe , il bat , et ne luy chault 
Comme sa femme luy veult rendre. 
La question est pour entendre 
S'il loist à cette femme cy 
De le frapper , et se deffendre 
A rencontre de son mary. 
De prime face semble que oQy ; (1) 
Car deffension est permise 
Selon droit naturel ; ainsi 
EUe ne fsdct que selon la guise. 

Mais au contraire je m'avise : 
Se quelque voisin c'est approché 
De ce débat là sans fadntise , 
Chascun en sera enbouché ; 
Et se ceste femme a touché 
Son mary , il chevauchera 
L'asne tout au long du marché : (2) 
Ainsi chascun s'en mocquera.- 
Et au regard d'elle on dira , 
S'on la voit ainsi esmoucher , 
Frapper et ruer ces coups-là , 
Que ce n'est qu'ung droit Franc-Archier, 

Le vieil droit a voulu toucher 
Et décider aucunement , 
Que femme devoit endurer 
De son mary tout doulcement. 

Le droit nouveau dit autrement : 
Pour ung mot que le mary dit, 



81 

Femme peut tout incontinent 
Luy en respondre sept ou huit. 
Et s'il advient qu'il y ait bruit? 
Pour ung seul coup le droit enhorte , 
Que femme en rende , par despit , 
Cinq ou six d'une mesme sorte : 
Et s'elle n'est pas la plus forte , 
Aucuns dient pour tout essoine 
Qu'elle doit assaillir la porte 
De rhostel de quelque Chanoine , 
De quelque Abbé , Prieur , ou Moyne ; 
Ce luy sera seure retraicte , 
Pour faire leans sa neufvaine , 
Tant que la paix sera refaicte. 

Le povre Jennin Tulurette , 
En prendra si très grand soucy , 
Pour la ravoir toute si faicte , 
Que enfin luy requerra mercy. 

Ce cas se praticque aujourd'huy; 
Je ne dis pas qu'on face bien. 
Mais vêla, j'ay solu ainsi 
Ma question par ce moyen. 

A une aultre doubte je vien : 
Une Bourgeoise , une commère 
Avec ung amoureux tout sien , 
Mignon et de doulce manière , 
Avoît aussi une chambrière 
Belle , qui savoit le secret. 

Ung jour ce mignon , par derrière, 
Venoit voir la Dame en effect : 
Et n'y fut pas , dont luy desplaist (1) 
La chambrière qui fut belle , 
Fine , franche , ferme et de hait 
Pour faire saillir estincelle 

6 



82 

D'ung caillou , par bonne cautelle 

Mist au sainct par dévotion; (1) 

Elle print ce bien pour elle (2) 

Et eut ceste provision. 

Assavoir se pugnition 

Doit souffrir comme larronesse, 

Et quelle restitution 

Elle doit faire à sa maîtresse? 

j'ay oûy à mainte clergesse 
.Tenir que estre fouiToyé , 
'c:c n est pas fort grande sagesse. (3) 
Mais quoy , on n'en est pas noyé , (4) 
Pendu , puny , ne corrigé : 
Ainçoys , selon le commun son , 
Habiter ce n est pas péché : (5) 
Chascun en prise la façon. 

Mais vecy une aultre raison : 
Ce cas icy est domestique , 
Remply de grande trahison (6) 
Et semble chose bien inicque , 
Veu que la Dame , sa practique 
Luy disoit , aussi privement. 

Pour ce avons ung Auténticque (7) 
Qui en diffmit sainement , 
Et dit que pour le hardement 
Qu elle eut , pour sa desloyaulté , 
Y chet bien ung banissement 
Sur la chambrière : en vérité 
Cela me semble d'équité 
Qu elle soitbanye de Thostel. 
S* elle Teust aillexu-s emprunté , 
Ce n'est que ouvrage naturel : 
Mais de la prendre sur ung tel , (8) 
Au préjudice de la dame , 
Le fait est énorme et cmel , 



83 

Dont chascun le repute infâme : (1) 
Et luy doit couster plus la dragme 
Ainsi desloyaument toUuê , 
Que livre et demye , sans tel blasme 
Prinse , aiUeurs choisye et esleuê. 

A une aultre doubte je tends : 
J'ay , selon droit, mainte loy lue, 
Où l'en treuve , comme j'entens , 
Que le nourrissement d'enfans 
Fut de droit naturel trouvé. 

Le cas est : femme de quinze ans 
Accouche d'ung filz nouveau né ; 
Son mary est si fort donné 
A chicheté et avarice, 
Qu'il est du tout délibéré 
Ne luy quérir point de nourrisse ; 
Mais veult qu'elle l'enfant nourrisse, 
AiTm d'espargner le salaire. 

Je demande se c'est justice , 
Et se la femme le doit faire ? 

Semble aucunement le contraire : 
Car d'imposer nouveau servage 
Ne peult pas à la femme plaire. 
Et y auroit trop grant dommage , 
Entendis qu'elle a frais visaige , 
Jeune, et n'est q'ung enfançon ; 
Elle est à la fleur de son aage ; 
Or à prime il luy sembJe-il bon ; (2^ 
Elle a le beau petit teton , 
Cul troussé pour faire virade , 
Le sain poignant , tendre , mignon ; 
Il n'est rien au monde plus sade. 

S' elle est nourrisse elle sera fade , 
Avalée , pleine de lambeaux : 



Faisandes deviennent beccasses , 
Les culz troussez deviennent peaux ^ 
Les tétons deviennent tétasses : 
Nourrisses aux grandes pendasses , 
Gros sains ouvers remplis de laictz , (1) 
Sont pensuês comme chiches faces 
Qu'on vent tous les jours au Palays. 
Tetins rebondis , rondeletz , 
Durs , picquans , gettez bien au moule , 
Tendus comme ung arc à jaletz , 
Deviennent lasches comme soûles. 

Jeune femme qui n*est pas saouUe 
Encor de plaisance mondaine , (2) 
Ne doit rendre jamais son raoulle 
Si tost par voulenté soudaine. 
Ainsi , ce n'est pas chose vaine 
Si femme mignote et fetisse , 
De peur d'enlaydir en la peine , 
Refuse à devenir nourrisse. 
Combien que c'est chose propice 
Et selon^ droit (comme je tien ) 
Que toute beste saige ou nice , 
Est tenue de nourrir le sien. 

Que vous en semble Maistre ? en (3) 
Sçauriez-vous ce point évader ? 
Maintz grans docteurs et gens de bien 
Ont voulu ce cas décider. 

Les droitz nouveaulx pour ammender, 
Dient que par action directe (4) 
Et à la rigueur procéder , . 
Quelque saulce que F en y mette, (5) 
Femme ne peut, tant soit jeunette, 
Contraindre ung mary à tenir 
Nourrisse, quoyque l'en caquette. 
Mais quant à T équité tenir , 



85 

Ne a si grant train entretenir , 
£t par une action utille 
On peut une façon tenir 
Qui sera honneste et subtille. 
Quelque grande vielle sebille, 
Caducque, menassant ruine , 
Qui glosera sur TEvangille 
Et fera au cas bonne mine , 
Une grand mère , une cousine , 
Une ouvrière bien parfaicte , 
Une chalande , une voysine , 
Ung garand à femme sortfaicte , 
Quelque fine , quelque toute faicte , 
Que entendra la boucherie 
Vers le mary se sera traicte , 
Et en fera la playdoierie : 
En usant d'une pleurerie, 
Remonstrera, s'il est besoing, 
Que sa femme est seiche et tarie , 
Et n'a pas de vie plain poing : 
Et s'il fault qu'elle prenne seing , 
Elle y demourra toute roide ; 
.Et de cela , à l'aide du boing. 
Trouvera sur ce cas remède. 
Et pensez que vieille qui plaide , 
D' invention et de faconde , 
Pour bien persuader, excède 
Le plus grant orateur du monde. 
Ce que de plaine voye et ronde 
On ne peult obtenir ne avoir , 
Femme qui en est tel terme habonde 
Le fera trouver et mouvoir. (1) 

Enfans vous povez concepvoir , 
Que sans ourdir on ne peut tiltre ; 
Pour ce, mettez peine à sçavoir 
Geste question ou Epistre. 



86 



De statu hominum. 

Des droitz nouvcaulx, le second titre ; 
Si est de statu hominum. 

Ha I qu*il a maint bon chapitre 
Et mainte notable leçon , 
De Tétat des hommes (hon ! bon !) 
Et des femmes , que je concludz 
Tout ung ; car par tout, ce dit-on, 
Ne court que estatz dissolus. 
Nous voyons povres goguelus, (1) 
Minces , maisgres , niays et lours (2) 
Pour estre à plaisance vestu 
Garsonner satin et velours , 
J'ai grant paour que , dedans brefz jours, 
Par faulte d'argent et de draps , 
Entre nous fringans et milours , 
Ne soyons tous vestuz de sacz. (3) 
Vielz pourpoins , touillons, vielz haras , (â) 
Vielz lambeaux et haillonnerie , 
Chappeauk pelez et bonnetz gras 
Seront pour nostre seigneurie. 
Pensez , se Dame mincerie 
Nous empoigne ung peu aux costez, 
On verra bien par fringuerie 
Porter maintz habitz chicquetez , 
Trouez , percez , ringuelotez , (5) 
Feuilletez par jollivetez : 
Ce sont grans gorgiasetez , 
Par faulces de meschancetés. (6) 

Ung Monseigneur du may planté, 
Sailly du fin fons d'une èstable , 
Sera aujourd'huy attincté (7) 
Comme ung Duc, comme ung Connestable : 



87 

Et s'il n*est estourdy, muable , 
Léger comme oyselet sur branches , 
On dit qu'il n'est pas recevable 
Pour ung soupper de nopces franches. 

On souloit faire au corps les manches 
Par compas ; mais on voit desja 
Qu'en tous estans on pesche tanches. 
Qui peult , il veult ; qui a , il a ; 
Chascun fringuera qui pourra. 
Car, selon tous nos droitz nouveaulx , 
Le monde se contrefera : 
On humera de toutes eaulx : 
Femmes porteront des lorioz 
Par rues , par chemins , par sentiers , 
Et les hommes des grans poriaulx 
Velus , qu'on emprunte aux barbiers. 
Les aultres pour estre plus fiers , 
Pour estre fringans à l'amy , 

Pour monstrer qu'ilz sont grans ouvriers 

Ne font leur barbe que à demy 

Et laissent du poil gris icy« 

Qu'il semble que ce soit la peau 

De quelque formaige moysi , 

Ou l'oreille de quelque veau. 

Posé que cela ne soit beau , 

Si est-ce pour faire la mine , 

Qu'on dit que c'est ung homme nouveau. 

Il est bien heureux qui en fine 

Ung échantillon de cuisine. 
Qui n'a pas vaillant une pomme , 

Mais qu'il ait une calvardine , 

Avec cela c'est ung grant homme : 

Telz gens on quiert , on prise , on nomme ; 

Et sont portez , prisez , doubtez 

Sans quelque aultre raison en somme , 



88 
Fors que les droitz nouveauh sont telz» 

Aprenez enfans et notez : 
Aucuns y a qui ont beau faire 
Gentilz-hommes de bons bostelz , 
A grant peine peuventrilz plaire : 
Car par force d'eux contrefaire , 
De batre , de voiler aux grues , 
De hault tencer , crier et braire , 
On se mocque d'euhc par les rues. 

Les demis panthoufles becquuês (1) 
Rondes par devant comme un œuf, 
Se semblent racquettes cousues , 
Pour fraper au loing ung esteuf. 
Vêla gens de porc et de beuf 
Font aujourd'huy plusieurs telz tours : 
Mais au fort c'est ung estât neuf; 
n ne durera pas tousjours. 

Et vous championnes d'amours , 
Mignonnes , qui si bien faignez 
Pour entretenir les plus gourds , 
Les plus frisques , les mieux pignez ; 
On dit que plus vous ne daignez 
Porter tissus , ne gris , ne vers : 
Mais seulement vous vous saignez 
De bandiers de velours couvers. (2) 

Bandiers sont engins bien divers : (3) 
Ce sont instrumens fort soudains 
Pour tendre crennequins à^nerf , 
Coup à coup pour bander aux reins : (4) 
Et pensez qu'il y en a maints , 
Par bien lem- crennequins lascher , 
Qui ont mainte personne attains 
Bien au vif jusques à la chair. 



89 

Elle se peuvent enharnacher 
De baudriers qui ont beaux tricoys ; 
Les aultres ne se font que fâcher 
Et n'entendent point bien les droitz. 
Mignons en ont aucunes foys ; 
Et quant ilz sont pelez ou laitz , 
Hz en font faire des harnoys 
Et des resnes à leurs muletz. 
Aucuns en brodent les collets 
De leurs pourpointz » et font ce bien 
Ou à eulx , ou à leurs varletz ; 
Ung bon mesnagier ne pert rien. 

Je disse le droit ancien (1) 
Sur ces perruques boursouflées , 
Legieres , qui par bon moyen 
Deviennent grosses et enflées. 
Mais icy les années passées , 
Y vint ung docteur fort nouveau 
Qui a ces matières traictées ; (2) 
Pour ce je m'en passe tout beau. 

Tout ne pend qu'à la queue d'ung veau 
C'est toute chose contrefaicte. 
Quelque jour en lieu d'ung poireau , (3) 
On portera une sonnette : 
D'ung aultre ton la besongne est nette , 
Se quelque fringart s'en advise (A) 
Et qu'il la cache en sa cornette , (5) 
Nous en verrons courir la guise. 

L'habit de couverte faintise , 
La robbe de bien bas voiler , 
Le pourpoint de haulte entreprise , 
Le bonet de dissimuler , 
Le chapeau d'aigrement parler , 



90 

Cornette de faulce bricolle, 
On ne voit aultres loups hurler 
Ne semer aultre paraboUe. 

Ne suivons plus d'amour VescoUe , 
On n'y list que de tromperies : 
La science est folle paroUe ; 
Les grans juremens , menteries ; 
Les statutz , ce sont joncheries ; 
L'Université, c'est malheur; 
Les Bedeaux , lardons , mocqueries ; 
Faulte de sens , c'est le Recteur ; 
Trahison , en est ung docteur ; 
Faulceté, en est le notaire ; (1) 
Avarice , est Conservateur ; (2) 
Injure, elle lit l'ordinaire; 
Detraction, c'est le Libraire ; 
Suspection , c'est le Greffier ; 
Dire tout , c'est le Secrétaire ; 
Rudesse , c'est ung messagier ; 
Desdaing, c'est ung premier Huyssier 
Qui gardes les huys et fenestres ; 
Refus , est le grant Chancelier ; 
C'est celuy qui passe les Maistres. 

Voyez à dextres et à senestres , 
En tous estatz qu'on peult choisir , 
Entre les gens layz , Clercz et Prestres 
On ne voit que fraudes courir. 
Chascun fait velours enchérir ; 
Chascun veult prendre estatz nouveaulx. 
J'ay veu qu'on ne souloit quérir 
Que robes à quinze tuyaux , (3) 
Larges manches , et haulx chappeaux , 
Grans getz de honneste gravité. 

Mais ce n*est de noz fringuereaux 



91 

Que inconstance et mobilité ; 
Pour Tatour de affabilité , 
Le colet de doulx entretien , 
On porte corsetz de fiereté 
Et pièces de fâcheux maintien : 
Chaînes d'or courront meshouen 
Pour feindre millours et gros bis ; (1) 
Et qui n'aura argent ne rien , 
Se feindra d'une chaisne à puis. 
A cela sommes nous tous duyts ; 
Et qui n'a que dix frans vaillant , 
On l'employé à fringans habitz : (2) 
Ainsi le droit nouveau l'entend. 

Notez , et vous tenez à tant 
Que tel a robbe de migraine , 
Qui ne sçauroit finer contant 
Six blans au bout de la sepmainç y 
Combien que plaisance les maine. 
Si lit on en mainte saison , 
Que de mouton à courte laine 
On n'aura ja bonne toison. 

Je me fonde trop à raison : 
Puis qu'avez otiy ce notable , 
Je mecteray une question 
Et ung cas qui est prouffitable. 

Ung homme povre et misérable , 
Qui a belle femme et entière , 
N'a vaillant que ung lict, une table , 
Ung banc , ung pot , une salière , 
Cinq ou six voirres de feuchiere , 
Une marmite à cuyre poys. 
Il s'en va dehors , bien arrière , 
Et demeure sept ou huyt moys. 
Il retourne après toutesfoys 



92 

Et ireuve l'hostel grandement 

Fourny de vins , dcf bledz , de boys , 

De belle vaisseUe d'argent. 

Assavoir mon aucunement 

Se le mary doit enquérir 

A la femme dont cela vient , 

Ne qui la peult » bien fournir ? 

— Semble que non : car j'oy tenir 

Aux saiges, qu'à cheval donné 

On ne doit point la gueulle ouvrir 

Pour regarder s'il est aagé. 

Item il en a bon marché : 

Ce sont conquestz : après sa mort, (1) 

Le mary en a la moytié; 

Ainsi on ne luy fait nul tort. 

D'aultre part , voicy le plus fort , 
Semble qu'il y ût conjecture 
Que sa femme ait esté d'acord 
D'entretenir la créature , 
Prester le mosle à la pasture , 
Pour avoir cela et soy taire. 
S'il se pourvoit , tort ou droicture , (2) 
EUe y perdroit tout son douaire. (3) 

Quoy qu'on sache crier ne braire , 
Les droitz nouveaulx disent ainsi 
Que la jeune femme doit faire 
Ung chef-d'œuvre sur ce cas cy , 
Et dire franc à son mary 
Que Maistre Enguerrant Hurtebise , 
Son ayeul qui mourut transi 
L'aultre jour au pays de Frise , 
Si luy laissa , par bonne guise , 
Tous ses biens à son testament. 
Ainsi ung vent de la chemise 
Fera tout cest appointement ; 



Le mary se tiendra content , 
Cuydant que ce luy soit escheu : 
Et pensez que pas il n'entend 
La reigle des loix que j'ay leu. 

Tel cuyde avoir à bon compte eu 
La marchandise qu'il a pris , 
Qui le plus souvent est deçeu 
D'oultre moytié de juste prix. 
Ung semblable mot cy est mis , 
Escript et noté par exprès , ' 
JiLXta de regtUis juris , 
Comme il apperra cy-après. 

Une aultre question je mes : 
Honune et femme tiennent mesnage , 
Riches assez , et pour tous metz , 
Hz veullent faire ung mariaige 
De leur fille. Le père est saige , 
Qui dit qu'elle sembleroit belle 
Bourgeoise : la mère en enraige 
Qui veult qu'elle soit Damoyselle. 
Le père, par bonne cautelle, (1) 
Dit et respond qu'il ne loît pas , 
Et qu'il n'appartient point à elle 
De porter si très grans estatz. 
La mère en fkit toujours pourchas 
Et jure qu'elle le senu 

Je vous demande sur ce pas 
Au quel la fille obéira ? 
Ou se du tout elle fera 
Comme son père luy disoit , 
Ou se on la Damoysellera , (2) 
Comme sa mère le voulloit? 

Brief, mon opinion seroit, 



9k 

Que pour terminer la querelle , 
Ceste fille cy deveroit 
S*abiller à mode nouvelle , 
Porter moytié drap , moy tié toUle , 
Moy tié escarlate et velours , 
Moytié Bourgeoise et Damoiselle , 
Moytié chapperons et atours. 
Mais quoy , Fhabit n*est pas en cours ! 
On n*en voit guerres de semblable : 
Et pour ce faut avoir recours 
Au droit nouveau qui est vallable , 
Qui dit qu'en chose favorable 
Comme amours , on doit obéir 
Aux mères. — Prenés ce notable , 
Car ainsi Tay-je veu tenir. 

. A ung autre point fault venir : 
Bourgeoise de basse lignie , 
De bas lieu , veult entretenir 
Ung tndn de grande JSeigneurie : (1) 
Car avec ce qu'elle est jolye , 
Qu'elle a beaulx babitz et fringans , 
Sa maison est par trop fournie 
De servantes et de servans. 
Sa fille de chambre est leans 
Qui la sert de menu suffrages : 
Elle a sa vieiUe aux yeulx rian's 
Qui ne la sert que de courtages : 
Après surviennent davantages 
Toujours , ou cousins , ou nepveux : 
Item , pour faire ses messages » 
Elle a le page aux blondz cbeveulx ; 
Elle a son tabourin joyeulx 
Sonnant en chambres et en salles, 
Qui emporte ung escu ou deux 



96 

Aucunesfois par intervalles. 
Puis quant la Bourgeoise est en galles , 
Une caterve , une brigade 
Vient jouer aux sons des ciinbales 
Au glic ou à la condampnade. 
Item , pour faire les virades , 
Pour se monstrer sur les carreaux , 
Pour faire en amours ses passades , 
Elle a sa couple de chevaulx. 
Après surviennent fringueraulx 
Dancer, joncher, patheliner, 
Lesquelz on fournit de raorseaux 
Et de dragées après disner. 

Or faut-il sur ce cas noter , 
Que la Bourgeoyse et son mai-y 
N'ont marchandise ne mestier 
Pour entretenir ce train cy , 
Rente , ne revenu aussi. 

Je demande , quel' conjecture 
Doit-on avoir touchant cecy ? 
Argent leur vient-il d'aventiu-e? 
Le droit dit que Dame nature , 
Au moyen de l'engin qu'on porte , 
Fournit d'argent et de pasture 
Et de robbe de mainte sorte. 
Telle monnoye doit estre forte (1), 
Et durer beaucoup au besoing : 
Car ainsi qu'elle se comporte , (2) 
Elle est forgée à double coing. 
Il ne fault point avoir de soing 
Dont leur peult cest argent venir : 
Puis qu'il vient de près ou de loing, 
C'est le plus fort que d'y fournir. 

Je vois ung aultre cas bastir , 



96 

Dequoy la question est telle : 
IJng Prélat veult entretenir 
Quelque grant Dame ou Damoyaelle , 
Et va deviser avec elle. 
I3ng Monsieur d'ung prunier fleury, 
llng simple Escuyer sans séquelle , 
Survient leans à Testourdy- 
Assavoir mon, s* on doit celuy 
Qui est Evesque ou grant Seigneur 
Laisser seul, pour aller ainsy 
Entretenir ce gaudisseur ? 

Mûnt grant et notable Docteur, 
Ont formé cette question : 
Mais les droitz nouveaulx pour tout seur 
Y mettent la décision , 
Et disent qu'on ne doit point , non , (1) 
Lsdsser ung grant pour ung petit , 
Fors qu'en deux cas : que du mignon (2) 
Elle ait ou plaisance ou prouffit. (3) 
S'il pladst , s'il est beau , il suffit ; 
S'il est prodigue de ses biens, 
Que pour le plaisir et déduit 
11 fonce , et qu'il n'espargne riens , 
On doit laisser par ces moyens 
Ung plus grant homme la moitié : 
Et le plus petit en tous sens 
Doit estre humadnement traictié : 
Ainsy l'a le droit appointié. 

Je vous tiens trop sur ces argus ; 
Et fault que par nous soit traictié 
Aultre Rubriche qui vault plus. 

RUBRICHE 

De presumptionibus. 
C'est, de presumptionibus. 



97 
Des presumptions , des façons 
De présumer : donc sans abus 
Metz les continuations (1) 
Par estatz , par ostentations. 
D'ambition présume maintz cas ; (2) 
Pour ce ay mis des presumptions 
Après le tiltre des estatz. 

Or notez , enfans , sur ce pas , 
Une chose très singulière : 
Au dict des saiges Advocatz 
On présume en double manière ; 
Aulcune est presumption fiere 
Que gens ont d'eux mesme en sommes ; 
Et Taultre est presumption clere 
Qu'on a d'aultruy. — Puis qu'icy sommes , 
Parlons ung peu de ces grans hommes 
Qui d'eulx mesmes présument trop ; 
Et si n'ont pas d'argent grans sommes ; 
Mais sont aussi povres que Job. 

A Paris en y a beaucoup , (3) 
Qui n'ont ne argent, vergier, ne terre, 
Que vous jugeriez chascun coup 
Alliez ou grans chiefs de guerre. 
Il se dient yssus d'Angleterre, (4) 
D'un costé d'un Baron d'Anjou , (5) 
Parens aux Seneschaulx d' Auxerre , 
Ou aux chastellams de Poitou ; 
Combien qu'il soit sailly d'ung trou , 
De la cliquette d'ung Musnier, 
Voire ou de la ligne d'ung chou , (6) 
Enfant à quelque Jardinier. 

Ainsi haulcer sans s'espargner, 
Cuyder sans avoir ne saigesse , 
J'appelle cela présumer 

7 



98 
Selon cette première espèce. 

Une simple Huissiere ou Glergesse 
Aujourd'huy se présumera 
Autant ou plus qu'une Duchesse : 
Heureux est qui en finera. 

Une simple Bourgeoyse aura 
Rubis, diamants et joyaulx , 
Et Dieu sçet si elle parlera 
Gravement , en termes nouveaulx , 
Afin d'estonner povres veaulx. (1) 

Elles ne couchent d'aultre dez 
Que d'Evesque ou de Cardinaulx , 
Archediacres ou Abbez. 
Semble à oûyr langaiges telz , 
Qu'elles ayent Festes et Dimanches 
Tousjours ung Evesque aux coslez , 
Ou Archediacre en leurs manches. 

S'elle se vante que aulcun tranche (2) 
Pour l'amour d'elle le bouquet , (3) 
Qui n'est pas pour tel arbre branche , 
Jamais n'atouchera le rocquet. 

Au fort f c'est ung plùsant cacquet ; 
C'est trop hault planté sa baniere : 
Au beau bailleur ferme nacquet 
Qui sache rachasser derrière : 
Veu que c'est justice foncière , 
Ou le cas deust estre advancé ; 
C'est trop enchery la basâere 
Du tonneau qui est deifoncé. 

' Il fault ung petit soit pensé (A) 
Sur la presumption seconde. 

D'ung homme mince et bas percé 
Que l'en présume chose ronde , 



99 

On le présume mort au monde ; 
On le tient pour desnaturé. 

En celle là cbascun se fonde : 
EDe est jurée et de jure. 

Ung visaîge frès , figuré , 
Riant , plain de gayeté de cueur, 
Ung cul qui n*est point empiré , 
Ung tetin de bonne rondeur, 
Ung corps d'assez bonne grandeur, 
Ung pas de gracieuse aleure , 
Ung sain d'assez bonne haulteur, 
Ung œil de fiere regardure , 
Ung sourcilz de vive painture , 
Une gorge blanche et frazêe , 
Ung ris getté à l'aventure, (1) 
Ung maintien de femme rusée , 
Ung colet de femme évasée , 
Unes joues rondes et vermeilles , 
Ung gorgias à pointe usée 
Pour faire tetins à oreilles. 
Une langue à dire merveilles , 
Une source comble à désirs , 
Ung reliquaire à haultes veilles , 
Ung mirouer à mondains plaisirs , 
Ung fournissement à soupirs , 
Ung prothocoUe à bons copistes , 
Ung commun thème à tous prescheurs , (2) 
Ung registre à Evangelistes : 
De femmes qui sont ainsi nices 
Et plaines de dévotion , 
Messeigneurs les nouveaulx Légistes , 
Dicte moy la presumption. 

Je dis moy , sôubz correction , 
Qu'on doit presuittér et sçavoir', 



100 

Pour entrer en religion , 
Qu'elles sont bien à recevoir. 
Mais que le cloistre et refectoir (1) 
Fussent des salles tapisées : 
Que le chapitre et dortoir 
Fussent belles chambres natées : (2) 
Leurs libndrie , chansons notées : 
Leurs cloches , bedons , menestrier : 
Leurs frocz , robes bien parées : 
Leurs baires , chûne et colliers ; 
Leurs cerimonies » de baisiers ; 
Leurs beaux pères » jeunes enfants ; 
Leurs confesseurs » beaux escuyers , 
Trestous en Taage de vingt ans. 

Telles femmes , comme j'entens , 
Doibvent, par presumption clere, 
User leur jeunesse et leur temps 
En ung tel cloistre et monastère , 
Et mener une vie austère , 
Tenir la reigle que on leur list , 
Et avoir tousjours leur beau père 
Prés d'elles , tous deux en ung lit. 

Par commun proverbe on dit , 
Qu'on congnoit femme à sa cornette 
S'elle ayme d'amour le déduit, 
Tant ait la conscience nette. (3) 
Au ris, au train, à la sornette 
On juge'par presumptions : 
Pour ce , ceste raison admoneste (4) 
Exemple en plusieurs façons. 

Çue diriés vous de noz mignons 
Qui ont une perrucque brune , 
Et broyent pelures d'ongnons, 



101 

Et font une saulce commune 
Pour la jaunir ? — c'est grant fortune , 
Qu'on ne présume d'eulx en farsant» 
Et qui tiennent tant de la lune , (1) 
Qu'ilz vallent ung demy croissant. 

De ceulx qui songent les merveilles , 
Que on appelle les maistre Jehans » 
Mais qu'ilz ayent bonnes oreilles 
On les présume habille gens. (2 ) 

De ceulx qui vivent de la menne (3) 
Du ciel , qui mordent en la grappe , 
Ce sont bons furons en garenne : 
Il n'y a riens qui leur eschappe. 

De noz Gentilz-hommes d'honneur 
Qui n'ont en tout temps qu'une robe ; 
Hz en ayment fort la couleur, 
Et ont peur qu'on ne les desrobe. (&) 

D'homme d'armes qui par vaillance 
Tient en son hostel garnison , 
Je le tiens une doulce lance 
Pour prendre d'assault sa maison. 

D'ung qui , de peur d'estre lavé ^ 
Se tient à part sur les rancs , 
On présume que le pavé 
Luy semble plus doulz que les champs. 

De femmes qui monstrent leurs sains , 
Leurs tetins, leurs poitrines froides. 
On doit présumer que telz sainctz 
Ne demandent que chandelles roides. 

D'une qui se fourre en ces trous 



102 

Sur le soir, quand la lune luyt ; 
Elle chasse les loups garous 
Et les cbassemarées de nuyt. (i) 

Femme qui ayme le lopin , 
Le vin et les frians morceaulx , 
C'est ung droit abruvoir Popin ; 
Ghascun y fourre ses chevaulx. 

Grant femme seiche, noire et maigre 
Qui veult d'amour suivre le trac , 
On dit que c'est un fort vinaigre 
Pour gaster ung bon estomac. 

Femme qui souvent se regarde 
Et poUist ainsy son collet , 
G'est presumption qui luy tarde 
Qu'elle ne face le sauH de Michelet. 

Fenune au chaperon avalé, 
Qui va les crucifix rongeans , 
C'est signe qu'eUe a estallé 
Et'aultrefoys hanté marchans. 

Femme qui en ses jeunes saulx 
A aymé le jeu ung petit , 
(Le mortier sent tousjours les aulx) 
Encore y prent-elle appétit. 

Femme qui va de nuyt sans torche 
Et dit à chascun tu l'auras , 
Elle est digne à peupler ung porche 
Et mener quelque vieux barras. 

Femme qui met quant éï s'habille 
Trois heures à estre coëffée , 



103 

C'est signe qu'il luy fault Testrille 
Pour estre mieuk enharnachée. 

Se femme qui est du mestier 
Appelle une aultre sa compaigne , 
Elle a sa part au benoiatier 
Par la Coustume de Champaîgne. 

Femme qui le corps se renverse , 
Que doitxm d'elle présumer? 
Telle charette souvent verse 
Par faulte de bon Limonier. 

Femme qui a robe devant 
Fendue , qui se ferme à crochet , 
Elle peult bien porter enfant , 
Car elle ayme bien le hochet. 

Par telles démonstrations 
On devient sage et sçavant ; 
Se sont grandes presumptions 
Desquelles on juge bien souvent. 

Enfans , retenez-en autant ; 
Notés y car elles sont utiles : 
Je ne veulx pas tenir pourtant 
Qu'elles soient vrayes comme Evangiles. 

Or en ensuy vaut noz stiles , 
Sur ce tiltre je veux noter 
Quatre choses assez difficiles ; 
Et puis ho ! — Veci le premier : 

Femme qui se laisse baiser 
Et taster la fesse en jouant , 
Est-il pourtant à présumer 
Qu'elle souffre le demeurant ? 
— Doit-on procéder en avant , 
Contre elle par presumption ? 



lOi 

Sur ce cas y cbet seurement 
Une bonne distinction. 

Quant au baiser, je dis que non ; 
Notre Droit n*en présume rien : 
Car bouches à baiser, se dit-on , 
Sont communes à gens de bien. 

Du taster, c'est ung aultre point ; 
Encores faut-il distinguer, 
Si la femme Suffire et maintient 
Sans faire semblant de tenser ; (1 ) 
Et se ainsi est, on peult penser. 
Se le mignon veult, qu'il y monte ; 
Ou se elle faint de se courser 
Et dire : n'avez vous point honte; 
Laissez cda. — Le Droit racompte , 
Que seullement par ceste fainte , 
Posé qu'elle n'en tienne compte , (2> 
La presumption est estainte. 
Et pensez qu'il y en a mainte , (3) 
S'on luy taste ung peu le derrière y 
Qui jamais n'en feroit grant plainte ; 
Maûs quoy, il faut tenir manière. (A) 

Vecy ung cas d'aultre matière : 
Se ung bon gallant rencontre (5) 
Femme riant , saSre de chiere ^ 
Baude , alaigre , de belle monstre , 
Qui a son habit se demonstre 
Femme de fréquentation , 
Et si on ne dit rien encontre (6) 
Doit-il sans information 
Plus grande, ou inquisition , 
Luy demander la courtoisie 
Sans plus , pour la presumption 
De la voir si saffre et jolye? 



105 

Le droit nouveau ung peu varie 
Sur ce pas , sur ceste escripture ; 
Mais il décide , quoy que on dye , 
Que on peult partout sercher pasture 
Et prier toute créature , 
Toute femme de quelque estât 
Qu'elle soit ; ce n'est pas injure » 
S'on ne le fait que pour esbat. (1) 
Les unes reffusent tout plat ; 
Et bien ! c'est pour néant debatu. 
Les autres repondent : fiât : 
Et bien ! c'est un chesne abattu. 

Prier hault , c'est bien entendu ; 
On vient assez tost.au rabas : 
Car maint beau gibier est perdu , 
Par faultes de faire pourchas. 

Je vous demande ung autre cas : 
Mignonne de haulte entreprise , 
Qui porte devises à tas , (2) 
Lettres, couleurs de mainte guise , 
Peult estre qu'elle a nom Denise 
Et son mary Jehan ou Thibault , 
Et neantmoins pour sa devise 
Porte une M qui faict Michault. 
De bague ou ruben ne luy chault , (3) 
Si non de ceste main porter, (h) 
Son mary, qui n'est qu'ung lourdault. 
A-il cause de se doubter ? 
Doit-il présumer n'enguester 
Qui est Michault ne Michelet , 
VeiDer, oreiler, escouter 
S'il congnoistr^ mousches en laict ? 
Par ma foy, le droit nouveau met 
Que de porter par inventoire (5) 



106 

Lettre en bague , ou en afBquet , 
C'est presumption bien not(Hre, 
C'est competant préparatoire 
Poursçavoir d'ont vient praticques. 
Dieu, qu'on faict d'ung Saint grand mémoire* 
Quant on en porte les reliques I 
En effet ce sont voyes obliques , 
Et s*en peuvent plaindre les maris : 
Telles façons , telles trafiques 
Corrumpent les droitz à Paris. 

Je forme après sur ces escriptz 
Une question bien aguê , 
Subtile et digne de hault pris ; 
Hais qu'elle soit bien entendue. 

Ung bon mary de nostre rue 
Qui a très belle jeune femme , 
Et est grant feste quand elle sue ; 
Il n'y a plus la belle dragme. (1) 
Ung matin que le jour s'entame, 
Il se lieve , il s'abiUe , il pisse , 
Il s'enva et laisse ma Dame 
Couchée en son lit bien propice. 
Il est en l'Eglise au service 
Et n'atent pas que tout soit dit ; 
Peult estre il tombe , il chet , il glisse 
Et s'en retourne par dépit. 

Il rentre en sa chambre ; il vous vit , 
Entre huit et neuf au matin , 
Couché gentement sur son lit 
Ung très beau pourpoint de satin , 
Satin fin , délié comme lin , 
Court, fait selcm le train nouveau , . 
Esguillettes ferrées d'or fin , 
Tenans aux manches bien et beau , 



107 

Ung collet bas en fringuereau , 
En Suysse perruquien. (1) 

Le povre homme use son cerveau • 
Et ne sçet dont luy vient ce bien. (2) 
Il songe , il pense : est-il point mien ? 
— Oiiy — nenny — je ne m'y congnois. 
Il regarde emprés le sien 
Qui estoit plus espès deux foys ; 
S'estoit un pourpoint de chamoys , 
Farcy de bourre sus et soubz , 
Ung grant villain Jacques d'Angloys 
Qui luy pendoit jusques au genoulx : 
On eust estandu aux deux boutz , 
S'il eust esté sur une plaine , 
Une droite hostée de choux • 
Et deux ou trois septiers d'avaine. 
Quant il luy couvroit la boudaine , (3) 
Quelque Philosophe ou Artiste 
L'eust plainement pris pour la guaine , 
Ou le fouireau d'ung Organiste. 
Uaultre estoit léger, mince , miste ; 
On en eust fait une pelotte. 
Dieu gçet se le mary est triste ; 
Il songe, il marmouse , il radotte. 

Or je demande icy et note 
Ce c'est assez presumption , 
Pour faire merveilleux double , (4) 
Et fouiller avant sa maison? (5) 

Aucunement semble que non. : 
Car on ne doit si promptement , 
Sans très grande inquisition , 
Procéder à Testonnement (6) 
De sa femme ; veu mesmement 
Que la double se peult oster. 

Pourtant , dit le droit, seulement 



108 

■Pour ce , il ne doit rioter, 
Fouller, tencer, ne tempester, (1) 
Ne batre, ne user de menaces : 
Mais bien peult à son lict taster 
S'il trouvera deux chaudes places. 
Se ainsy gette ces grimaces , (2) 
Fouille , tempeste et se demsdne : (3) 
Car playes sur playes , traces sur traces 
Font une probation plûne , 

Quand on voit cheval qu'on promaine , 
Se il est chault, il a tracassé ; {à) 
Chien soufflant à la grosse alaine , 
On présume qu'il ait chassé. 

Se ung povre Jenin , ou Macé » 
Treuve sa fejlhme fort esmuê , 
Ou elle a dansé « ou tancé, 
Ou il y a beste abattue. 

Si est la question soUuê , 
Et le cas sur le tiltre mis. 

Et consequemment sera lue 
Aultre Rubriche de Pactis , 
Et d'aultre tiltres cinq ou six. 
Mais pour ce qu'il est tard je dys , 
Veu que estes tous endormis , 
Qu'il vault mieux attendre à Jeudy. 

ExpUdt prima pars. 

Cy finist la première partie de ce présent 
livre et commence la seconde. 



109 



La seconde partie des Droitz DooveaDlx. 



RUBRIGHE 

De pactis. 

Vous sçavez , mes bons apprentis , 
Quant mismes fin à noz leçons , 
Nous laissâmes à départis (1) 
Des pactz : des conventions , 
D'acord , traictiez et pactions 
De toutes façons , et contraulx 
On trouve les définitions (2) 
Sur ce tiltre , en noz droitz nouveaulx. 
Tous achaptz , marchez feriaulx , 
Prestz , obligations , louages , 
Promesses , motz sacramentaulx » 
Despens , donations et gaiges , 
Renonciations, lengaiges, 
Tous consentemens sans erreur , 
Ainsi comme dient les saiges , 
Se traictent îcy par honneur. 

Escoutez aussi le presteur ; 
Pacta servabo : c'est son dit , (3) 
Que tous pactis à la rigueur (â) 
Il gardera sans contredit. 

N'est-ce pas doncques grand dépit 
D'ung tas de folles baveresses , 
Qui cherchent delaiz et respit 
Pour ne tenir point leurs promesses? 
Il en y a de noz maistresses 
Assez legieres d'acorder, 
Qui pour tenir gens en destresses , 



110 
Ne veulent avant procéder ; 
Ainçoys quierent à délayer, 
A foQir de bic^ ou de bec. 
Trop niieulx vauldroit content payer 
Que repaistre les gens du bec. 
Les unes.refiusent tout sec 
Et dient : vous vous abusez. 
Les aultres se tiennent au pec 
Et respondent : vous me lerriez. 
Leurs excuses : vous le diriez ; (1) 
Leurs deffences : je n'oseroye ; 
Leurs raisons : vous m'accuseriez ; 
Leurs exceptions : je feroye ; 
Leurs articles : si je pouvoye ; 
Leurs additions : je crains honte. 
En la fin de telle monnoye 
On a tant , que on n'en tient compte. 




Le droit nouveau dit et racompte 
Une auctorité sur ce lieu. 

Tout marché d'amour, quoyqu'il monte, 
Se parfait sans deniers à Dieu : 
Et ne chault ja son parle Ebrieu 
Latin , Escossoys ou Flament ; 
Car à parfaire tout le jeu , 
Y suffit le consentement. 



Femmes n'aiment communément (2) 
Que pour deux radsons en substance : 
Dont les aucunes seulement 
Le font , pour avoir leur plaisance , 
Pour se mettre en esjouissances 
Sans estre melancoUieuses : 
Celles-là , selon ma sentence , 
Sont long-temps en amours heureuses. 



111 

D*aultres en y a curieuses 
D'avoir, d'amasser largement , 
Et contrefont les amoureuses 
De quelque ung , pour avoir argent ; 
De telles , il advient souvent 
Que on sçet qu'elles sont notéœ , (1) 
Et ne durent pas longuement 
Qu'elles ne soyent tost escomées. 

Puisque ces choses sont fermées , 
Je demande une question : 
Noz gorgiases , noz succrées 
Qui ne le font pour rien , sinon 
Pour le denier, à sçavoir mon 
Se c'est ou vendage, ou louage,- 
Ou pur prest , ou conduction , 
Ou permutation , ou gaige ? 
Quel contract esse , en brief langaiges 7 

Ce n'est point prest, ce m'est advis; 
Car selon raison et usaige , 
Pur prest se doit faire gratis. 
Ostez tous argumens , je diz 
Le contract estre en droit exprès (2) 
Dont descend , prescriptis verbis 
Comme on dit : facio ut des , 
( Affin que tu donnes , je faitz) . 
C'est l'intention toute pure ; 
Sans les dons on n'ayme jamais : 
C'est bien praticqué l'escripture. 

Si me semble41 chose bien dure 
De vendre biens incorporelz : 
Amours , ce sont biens de nature , 
Ce sont biens spirituelz , 
Ce sont bénéfices telz quelz 



112 

A povres mignons nécessaires î 
Posé qu'il ne vallent pour telz , (1) 
Si sontrilz pourtant salutaires. 

Les vrayes collations ordinaires 
Sont daines plaines de doulceurs ; 
Souspirs sont les référendaires ; 
Les patrons sont larmes et pleurs ; 
Regret2 sont abreviateurs ; 
Peine est au plomb, et soulcy brusle; 
Mellencolyes sont les scelleurs 
Qui font expédier la bulle. 

Encor, ce qui plus me reculle , 
C'est ce que on contrainct l'appliquant , 
Et n'eust-il qu'une vieille mulle , 
A payer au long le vacquant. 
C'est le pis que ung povre impétrant 
Qui n'a n'affiquet ne troussoire « 
S'il ne paye la taxe contant 
On le prive du possessoire. 
Puisque c'est chose si notoire 
Que c'est bien ecclesiasticque , 
Que c'est bénéfice , et encore 
Qu'il est si commun et publique , 
Et que chascun tasche et s'applique 
A avoir les préventions , 
Y a point lieu la pragmatique , (2) 
Au moins les nominations? 
Nenny : car les provisions 
Ne se font pas aux escoliers : 
Nul n'en a les collations, 
Qui n'ait ou chaisnes ou colliers, 
Tous apostatz irreguliers. 

Noz grans Gentilz-hommes mondains , 
Volaiges , estourditz , legîers , 



113 

Esèèmlez comme beaulx daiiis , 
Qui ont la verve et sont soubdains ^ (1) 
Esveillez , fa^nnez , quarrez , 
Et tousjours les estomacz plains 
D'ung tas de lacez bigarrez , 
En ung bancquet sont bien parez 
De bauldriez et de gibecières , 
Vestuz d'un drap tondu et rez s 
Dieu sçet se leur robbe est legiere. 
S* on joue peut-estre la carrière , 
Petit Rouen , le grand Tourin , (2) 
La Gorgiase , la Bergiere , 
Ils se courroucent au Tabourin ; 
Telles dances ne sont plus en train 
A noz mignons du commun cours : 
Car, soit ou françois ou latin , 
Hz ne veuUent dancer qu'en amours. 
Amours , on ne faict tous les jours 
Aux Tabourins aultre pourchas : 
Amours se sont dances de cours , 
Telles qu'il appartient au cas. 

Il en y a d'aultres ung tas , 
Qui ne veuUent point d'aultre note 
A dancer, que les Trois Estatz ; 
C'est leur ruse , c'est leur riotte. 

Cela signifie et dénote 
Que telz gorgias et danceurs , 
Bien souvent, pour tromper leur oste 
Contrefont des estats plusieurs. 

Hz sont Maîstre et Gouverneurs, 
Hz sont Eschansons , Escuyers , 
Hz sont Capitaines , Seigneurs : 
Bien souvent ilz ne sont que Ardhiers ! 

Hz solicitent Conseillers 

8 



Pour attraper les pensions , 

Curez , Coustres et Marguilliers (1) 

Et prennent les Oblacions. 

Dz tiennent Jurisdictions , 
Hz condamnent gens en l'amande ; 
Ilz tiennent des Religions 
Et des Abbayes en commandes ; 
Hz ont et Chapelle et Prébendes , 
Ilz ont d'aultre part fiefz et tierre ; 
Et vont au Senne s' on leur demande. 
Et le lendemain à la guerre* 

Ilz vont à Rome pour enquerre (2) 
Dispence ou charge d'Eglise; (S) 
Après ilz vont en Angleterre 
Conduire ung faict de marchandises ; 
Ilz y vendent drap ou la frise. 

Ilz sont receveurs , et ont gaiges ; 
Ilz prennent, ou ilz font la mise ; 
Ou ilz sont laboureurs ou paiges ; 
Ou ilz brassent des mariages ; 
Ou ilz corbinent Eveschez ; 
Ou ilz font leurs aprentissages ; 
Ou ilz sont jà maistres passez ; 
Ou ilz reforment telz et telz ; 
Ou ilz combatent les neuf preux ; 
Ou ilz bâtissent vieulx bostek; 
Ou ilz démolissent les neufz ; 
Ou ilz ont eu pouUetz et œufz ; 
Point ne sont contens de leur cas ; 
En effect telz mignons sont ceulx 
Qui dansent bien les Trois Estatz. 

Ilz sont Cappellains et Prelatz , 
Hz sont les drois Prestres Martin, (4 ) 
Hz chantent hault, repondent bas ; 
Hz parlent françois et latin. 



116 

Puis ilz s*abillent de satin ; 
En Gendarmes et Advocatz , 
En Escossois , en Biscain « 
A la mode de Carpentras. 

Or je demande icy ung cas ; 
Qui vouldroit, par bonne cautelle. 
Comprendre tous les Trois Estatz 
En une robbe bien nouvelle , 
Quel' robbe vous sembleroit belle, (1) 
Qui tous les Trois Estatz désigne ? 
— Par Dieu je n'en sçay point de telle (2) 
Que seroit une Galvardine , (3) 
Le Bicoquet , la Capeline 
Qu'on notte vray Religieux, 
Se vous en voulez veoîr le signe , 
Regardez l'habit des Chartreux : 
Leur habit de teste sont teulx ; (A) 
Puis la manche que on coupe et laisse 
Les bras hors ; cela est joyeulx , 
Et , qu'on note la gentillesse : 
Après , la robe qui s'abaisse 
Soubz le genoitil , par bonne guise , 
Large assez , dénote simplesse 
Et vray estast de marchandise. 

Or donc que homme ne s'advise , 
En festes, bancquetz et esbatz , 
Si il n'a sa Galvardine mise , (5) 
D'aller dancer les Trois Estatz. 

Je vous demande icy ung cas , 
En matière de paction : 

Ung applicquant , ung gorgias , 
Frisque , bien empoint et mignon , 
Ung habille homme , ung compaignon 



116 

Qui se veult mesler de dancer ; 
Or ne sçdt-il dancer, sinon 
Une : filleê à marier. 
Devant qu'il se voise ingérer 
A mener Dame à sa plaisance , 
Il va le Tabourin prier 
Qu'il ne luy sonne que sa dance , 
Celle qu'il sçet; puis s'advance 
Et entre ou parc , hors de la presse ; 
Et le Tabourin vous commence 
A sonner, et joue : ma maistresse^ 
Contre son dit et sa promesse. 

L'aultre se effemue et se trouble, (1) 
Et de fsdct quand la dance cesse 
Il demeure sur ung pas double : 
Dieu sçet se il songe creux et trouble I 
Le povre danceur s'excusoit : 
Mais quoy ! il n'avoit pas un double ; 
Pour cela cbascun s'en mocquoit. 

Je demande se selon droit 
On doit le Tabourin pugnîr ! 
Se pour le pacte on le pourroit 
Faire adjoumer ou convenir ? 

Les Vieulz droitz vouloient soutenir 
Que cela n'estoit pas injure : 
Mais les nouveauk veullent tenir 
Que c'est très grande forfaicture 
Au Tabourin, et chose dure 
Au mignon ; pour ce , par sentence 
De droit, de raison, d'escripture , 
On luy doit imposer silence , 
Le destituer de plaisance , 
Le dégrader par bon moyen 
De chaîne d'argent , de chevance , (2) 
De son tabourin , de son bien : 



117 

Car il devoit , sur tout rien , 
Tenir promesse sans esclandre. 
Tabourin , souvienne vous-en , 
Et vous gardez bien de mesprendre : 
— En oultre droit a fait deffendre (1) 
Aux maistres Jures; du mestier, 
Qu'ilz n'ayent à recepvoir ou prendre 
Aucun Bedon , ou Menestrier, 
Sans premier les foire jurer 
Que à leur pouvoir ilz garderont 
Povres danceurs de demourer, 
De foillir quant ilz danceront ; 
Mais qui plus est redresseront 
Tousjours ung povre gaudisseur. 
En foçon que les gens diront 
Que c'est ung notable danceur. 
Et si soubz moyen ou couleur 
Ne veuUent à cecy pourvoir, 
On les prive de tout honneur 
Que les Tabourins peuvent avoir. 

Aultre question fault mouvoir : 
Bourgeoise hante le gibier ; 
Et pour mieux faire son debvoir, 
Elle ayme ung plaisant Escuyer ; 
Et affin de son cas celler, 
Elle permet sa chamberiere 
Baiser, taster, faire et galler 
Au Paige Monsieur, en derrière : 
Et faict pact en ceste manière 
Pour garder tousjours ses honneurs. 

La paction est-elle entière ? (2) 
Doit elle obtenir ses vigueurs , 
Veu qu'elle est contre bonnes meurs? 

De raison , elle ne doit valloir : 



118 

Mais droitz nouveaulx sont plus seurs 
Et dient qu'il n'en doit challoir : 
En ceste matière pour voir, 
Il y a regard et faveur. 
Car l'intention et vouloir 
Estoit pour garder son honneur : 
Et pour ce est de bonne valleur 
Le contract et la paction ; 
Et s'il y a faulte ou erreur, 
U y chet vallable action. 

Je forme une aultre question : * 
Une courtière, ou maquerelle, 
( A proprement dire son nom ) 
Sert une Bague fort nouvelle , 
Gorgiase , plaisante et belle : 
Elle là prie pour ung Seigneur, 
Comme elle dit ; elle l'appelle 
Ung grant homme, ung homme d'honneur; 
Elle dit que c'est ung donneur 
De chapperons , de robbes fourrées. 
Hais c'est ung povre estargaveur (1) 
Qui les vouldroit toutes souppées. 

— Et dit qu'il a robbes fourrées , (2) 
Toutes neufves qu'il a faict faire : 
Hsds les siennes sont deschirées , 
Tant est povre etmmce de caire. 

— Elle dit qu'il est débonnaire , 
Bel homme , plaisant et mignot : 
Et c'est un putier ordinaire , 
Qui est aussi lait q'ung marmot. 

— Elle îuy dit , en ung brief mot , 
Qu'il est de bon lieu et est saige : 
Et toutesfoîs ce n'est q'ung sot. 
Filz de quelque huron saulvaige. 



119 

— Elle dit de luy que c'est raige , 

Qu'il est Archediacre , ou Chanoine : 

Et c'est un Prestre de village , 

Ou le clerc de quelque vieil Moyne. 

Au moyen de la Triolaine , 

Et qu elle en disoit des biens tant , 

La povre mignonne se pêne 

Et s'en va vers luy tout bâtant 

Elle cuydoit avoir contant 

Force monnoye et parpignoUes ; (1) 

Mais elle retourna pleurant , 

Et ne fut payée qu'en parolles. 

Elle cuidpyt user de bricoUes , 

Affin d'attraper et de mordre. 

Mais quoy ! elle fut aux escoUes : 

Elle apprint que c'est que de l'ordre. 

Elle avoit grant paour de se tordre , 

Tant y alloit viste courant. 

Je croy qu'il ne fallut rien sordre : (2) 

11 n'y eut riens de demeurant. 

Je demande s' aucunement 
Elle pourroit , veu la matière , 
Le conseil et l'enhortement, 
La façon d'elle et la manière, 
La déception toute clere , 
L'abus qu'elle fist de langages, 
Faire convenir sa courtière 
Affin de ravoir ses dommaiges. 

Le droit dit, aussi font les saiges, 
Veu le procès malicieulx 
De celle qui faict les courtaiges , 
Son conseil faulx et frauduleux, 
Cault, deceptif et captieux 
Qu' elle rendera le salaire 
A la mignonne," et en tous lieux 



120 
Privée à iousjours de ce faire i 
Oultre la declaire faulçaire (1) 
En son mestier, et souffrera 
Peine corporelle, arbitraire, 
Comme le Jugç advisera. 
Et par cç moyen ce souldra 
La question, puisque on s'y fiche : 
est ticop demeuré sur cela. 

De dolo. 

S'ensiMt donc après la Rubriche 
De Dolo. Il n'y a si riche, 
Si povre, tant soit simple, ou grue 
S'il estoit, si large ou si chiche. 
Qui sur ce pas icy ne rue. (2) 
Vecy comme il seconthmè ; 

En traictez et en pactions 
Souvent est la partie deçeuë 
Par frauldes, circomventions. 
Par après es conventions (8) 
Et aulx promesses je m'aplique, 
Qu tiltre des déceptions 
Lequel aujourd'huy on praticque. 

Et pensez vous tant en praticque. 
Que en amours, et en marchandise 
On use de grant Rethorique 
Pour venir à son entreprise ; 
De dol, de fraulde et de faintise (4> 
Chascun veult gloser le psautier;. 
Ghascun est à la convoitise ; 
Chascun est maistre du mestier. 

Aujourd'huy ung grant Chevalier, 
IJng grant Abbé, ung grant Seigneur,^ 



121 

Se yra franchement pourmener 
Avec ung petit Procureur , 
Et luy portera grant honneur, 
Pourveu que sa femme soit belle 5 
Et n'est que pour avoir couleur 
De hanter souvent avec elle. 
D'une habitude telle quelle , (1) 
On vient à Thabitation : 
Tulle en sa Rhétorique appelle 
La couleur fréquentation. 
N'est-ce pas grant déception » 
Grant tromperie et mauvaisetié , 
Soubz faulce conversation 
Faire avec femme son traictié ? 
niais au fort ce n'est qu'amitié ; (2) 
Ce ne sont que communs ouvrages ; 
C'est pour payer l'indennité , (3) 
pt fournir aux yiéulx arreraiges. 

Tous Prestres , Clerz , et folz , et saiges , 
Advocat^ et Praçticiens , 
Juges , Gentilzhommes et Paiges » 
Femmes , Amoureux et Marchans , 
Minces , riches , mignons , meschans 
Sçavent de ce tiltre la voye. 

n n'est propice à toutes gens 
Qui se meslent d'ouvrer de soye : 
En quelque maison que je soye , 
On les met tousjours en leur place : 

— Comme le noyr : et se y pensoye. 

— Le jaulne de : c'est vostre grâce. (4) 

— Le fauypau de : faulce grimasse. 

— Taint en bleu de ce vous en croy , 

Fait ung pers d'ung grant preu vous face, (5) 
Çt vmg vert de vêla dequoy. 



122 

— Ung tanné de legier octroy 
Vaolt ung gris d'un grant audivi. 

— Soubz ung blanc de pardonnez-moy , 
Dieu sçet se le monde est servy. 

Noz grans orateurs aujourd*huy , 
N'ont plus autre couleur en main. 
Toutes façons de gens aussi 
Maintenant ensuivent ce train. 
Déception court et sur grain , 
Sur femmes, et sur escuyers , 
Et sur le vin, et sur le pain, 
Et en effet sur tous mestiers. 
Ne voyons nous pas ces Drapiers 
Presser un drap ou gris ou jaune , 
Qui ne vauldra pas trois deniers ; 
Uz le vendront bien deux francz l'aune. (1) 

Galures portent escrevices (2) 
De velours , pour estre mignons ; (3) 
Et son deçeuz povres novices , 
Cuydans que ce soient hocquetons. 

Soubz grans robbes fourrées de martres , 
Noz Bourgeoises tiennent ces termes 
De façonner leurs culz de cartes , (à) 
Affin qu'ilz en semblent plus fermes. 

Elles ont visage frais et moite , 
Joues vermeilles et blanches dens ; 
Mais c'est Dieu mercy , et la boitte , 
Ou les drogues qui sont dedans. 

Une qui aura les yeulx rouges , 
Les lave au matin d'une eaue blanche , 
Tellement que sur toutes gouges , 
Elle semblera la plus franche. 

Mais ne sont-ce pas bonnes faintes (5) 



123 

D'aucuns imignons chenuz et yieulx, (1) 
Qui ont tousjours les testes paintes , 
Qu'ilz semblent jeunes par les cheveux , (2) 
Quoy qu'ilz soient povres et caduques » 
Et faignent qu'ilz ayent du content : 
Si voit-on que soubz grans parucques « (3) 
Ne croist pas voulentiers argent. 

Madamoiselle , par manière , 
Se façonne comme une gaule 
Et porte ung long touret derrière , 
Pour musser une faulce espaule. 

Quant noz mignons chaulx et testus ffi) 
Jouent au Glic ou à la Roynette , (5) 
Hz empruntent franc dix escus (6) 
Dessus la clef de leur bougette : 
Et baillent , quant ilz sont sur champs , 
Leur boite à T hôtesse à garder , (7) 
Et dient qu'il y a cent francz 
Où il n'y a pas ung denier. 

Nous voyons noz grans macquerelles , 
Barbues comme ung viel franc Archier ; 
Pour mieulx soutenir leurs querelles , (8) 
Elles font leur poil arracher : 
Si promettent habits Royaulx , {9) 
Des chapperons et robbes fourées ; 
Mais ce sont chapperons d'oy seaux 
Et aussi robbes à poupées. 

Femme qui a quelque mignon , (10) 
Tire de luy bague ou anneau , (11) 
Et use de retencion : 
Vous semble-il que le jeu soit beau ? 

Femme pour atraper martirs 



12A 

Et ruser quelque gaudisseur , 
Cette emprës luy de grans soUspirs , 
Pour luy faire triste le cueur. (1) 

S'ont taste les grandes joncheresses , (2) 
Celles qui hantent es escolles , (3) 
Elles serrent si fort les fesses 
Qu'on ne les sçauroit trouver molles. 

Femme à donner ung peu s'applique « 
Pour retirer ung plus grant don : 
C'est la couleur de Rhétorique, 
Que on nomme répétition. 

Noz mignonnes sont si très haultes (A) 
Que pour sembler grandes et belles « 
Elles portent pentoufles haultes 
Bien à vint-quatre semelles. 

Quelque une qui a fronc ridé ^ 
Porte devant une custode ; 
Et puis on dit qu'elle a cuidé 
Trouver une nouvelle mode. 

Si Damoiselle a gorge laide » 
Seiche et ridée soubz ses atours^ 
Elle portera , pour remède , 
Une cornette de velours. 

Par telles manières îndeuës , 
Par telle manière et façon , 
Sont souvent povres gens deçeuës 
Et ont une lourde leçon. 

Amours ce n'est que trahison : 
Aujourd'huy pour la contrefaire. 



Je Tequiparë à la maison , 
Ou ouvrouer d'un Apoticaire. 

— Une drogue à l'autre est contraire, 
Combien qu'en un lieu je les tiens : 

— Le mortier c'est : je veulx complaire. (1) 
Le pillon c'est : vous n'aurez riens. 

— La balance : je vous retiens ; 
Et le poix : vous vous abusez. 

— La batte : je vous aime bien. 
Le couverceau : vous me faschez. 

— La fiole : vous me plaisez ; 

Et l'escripteau : ce n'est qu'ordure. 

— Le dedans : c'est j'en pers les piedz ; 
Et le dessus : je n'en ay cure. 

— Autour d'une mesme closture 
Il y a roses et épines , (2) 

Bien et mal , chaleur et froidure , 
Composées de diverses mines. 
Puis y a de vieilles racines 
Qui ont la vertu de aymant , 
Et ne servent pour médecines , 
Sinon à tirer de l'argent. 

On peult donc jurer bonnement 
Qu'en amours , en toute façon , 
En tous estatz présentement 
Il ne court que déception. 
De dolo en faict mention : 
Notez ce que dict en avons. (3) 

• 

Je mettray une question , 
La quelle tantost narrerons. 
Le cas est : Ung de noz mignons 
Fut amoureux d'une fringante 
Qui demeuroit de-là les Ponts , 



126 

D*une Bourgeoise belle et gente; 
Et pour en jouir luy présente (1) 
Cent escus au commencement 
Toutesfoys c'étoit son entente (2) 
De joûyr d'elle loyaulment ; 
Et luy sembloit que « incontinent 
Après la première secousse , 
Il en pourroit finer souvent 
Sans plus mettre main en la bource. 
La mignonne prent et embource 
Les cent escus , et endura 
Ce bien , sans ce qu'elle se course 
De riens , au moyen de cela. 

Depuis le mignon s'en alla 
Dehors , et ne fist demeurée 
Que trois jours : quant il retourna , 
n la trouve toute changée. 
Elle contrefait la rusée 
Et dit pourtant s'elle a hanté , 
Qu'elle n'est plus délibérée 
D'estendre la fragilité. (3) 
Dit , oultre plus, qu'elle a esté 
A confesse, au bon Cordelier 
Qui l'a presché et enhorté 
De jamais n'y plus habiter : 
Brief elle luy dresse ung mestier. 
Une risée , une decepvance. 

Le povre homme cuyde enrager , 
Et ne sçet tenir contenance. 
Pour exception ou deiTence , 
Il repond que pas il ne croist 
Que ung Cordelier de l'Observance 
Le puisse priver de ce droit , 
Veuë Typotheque qu'il avoit 
Sur cette mignonne fringante : 



127 

Car la loy mesme ne pourroit 
Sans cause lu^ oster sa rente. (1) 

Je demande se Tapplicante , 
Pour frustrer l'autre et reculer , 
A quelque raison sui&sante 
De mettre en jeu le Cordelier. 

Les droitz nouveaulx , pour abréger , 
Respondent que on ne trouve mye 
Que ung Frère Mineur peult oster 
Le droit d'une tierce partie : 
Et , quoique la mignonne dye , 
Elle doit de toute raison 
Tenir loyalle compaignie, 
Foy et promesse à ce mignon. 
Mais s' elle alleguoit trahison 
Encontre luy « ou faulte grande , 
Elle auroit bonne exception 
Pour le frustrer de sa demande. 

Une aultre doubte je demande : 
Femme à son mary bas devant , 
Qui prend à d'autre lieu provende : 
Loit il de luy en faire autant ? (2) 
Se son mary s'en va hantant 
Aucunes mignonnes fillettes , 
Doibt-elle fréquenter pourtant 
Les Gordeliers ou les Billettes ? 
Pourtant s'il a façon doulcette 
Qui se voise ailleurs atteler , 
Peut-elle courir l'esguiUette 
Et s'en faire aussi harceller ? (3) 
Et cil qui voit sa femme aller (A) 
En lieu de gibier , à Tescart , 
A il cause de grumuler , 
Fraper ou luy donner sa part ? 



m 

Les droitz dicnt que tel souldari 
boit endurer en paix roffense. 
La raison du saige et de art : (1) 
Dolui cum (Mo se compense^ 
En ce cas Tung l'autre compense* 
Puisque chascun d*euk est en Ruyt, 
L'ung a les dez, l'autre la chance : 
C'est simplesse d'en faire bruyt. 

Une autre question nous duit ; 
Une qui sert de beaulx messages , 
Une courtière qui ne vit 
D'autre chose que de courtaige, 
En contrefaisant ces messages 
Une meschante deschirée, (2) 
Qui a couru bourgs et villages, 
Et est à tous habandonnée, 
Une morfondue, mal parée, 
Une meschant' bague ou gibier ; (3) 
Cette vieille l'a emmenée 
Et là vous mez sur le mestier ; (4) 
Et de faict la va appoinctier (5) 
De chapperon rouge, au surplus 
De corset, de soye baudrier, (6) 
De robbe : que voulez vous plus ? 
Tant que devant pour trois festuz 
Vous l'eussiez eue , ou pour du pam : 
Maintenant la couple d'escuz. 
Ou le noble luy pend au sain. 
Au temps de tout son premier train, 
Elle alloit par tout, loîng et près : 
Et maintenant c'est ung gros train, (7) 
Et ne va que aux porches secretz. 
Elle alloit devant et après, 
Toute seule, à mont et à val ; 



i 



120 r 

Maintenant c*est ung cas exprès 
Qui la fault conduire à cheval. (1) 
Quel* tromperie I propos fiQal , 
C'est déception et cautelle : 
Or rinventeur de tout le mai 
A esté cette maquerelle. 

Je demande conmient doit-elle 
Estre pugnie , veu qu'elle s'applicque 
De bailler si lourde marelle , 
Et tromper la chose publicque ? 

Selon droit et la tiieorique , 
On la droit pugnir voirement ; 
Mais , par mon serment , la pratique 
Est au contraire maintenant. 

C'est que on la pugnist d'£u*gent, (2) 
Et de peine pécuniaire, 
Au profit de quelque Sergent, 
Qui en est le Juge ordinaire. 

Mais que on luy fonce le salaire : (8) 
Elle aura son gaige exprez ; 
Et si n'y aura Commissaire, 
Qui en parle jamais après. 

Une aultre question je mete : 
Que vous semble il d'une ymage 
Qui s'acointe d'aucun nyais, 
Et vent troys foys son pucellage 7 
Quelque gros grain, faiseur du saige, 
La vient ung petit manier : 
Celuy là paye l'apprei^ssaige 
Et le pucellaige premier. 
Depuis survient quelque escoUier 
Gorgias, de bonne maisoi;!, 
Qui se met à en essayer 
Et est le second échanson. 



ISO 

Apfës revient quelque mignon 
Qui paye et passe les destroitz. (1) 
Vous semble il que ce soit raison 
Vendre une seule chose à trois ? 

Quelque vendage toutesfoys 
Qui soit faict , ou qui ait esté , 
Telle marchande contre noz droitz (2) 
Retient la propriété. (3) 

Je demande se d'équité , 
Il est saige ou fol qui si fie , 
Et se pour telle faulceté 
La nymphe doit estre pugnie ? 

Les droitz décident , quoy qu on dye : 
Se la faulceté est congneuê , 
Celle qui faict la tromperie 
Sera fustigée et batuë , 
Demy vestuë et demy nuë , 
Pour recongnoistre son delict, 
Non pas en carrefour, ne en la rue , 
Maûs aux quatres cometz d'ung liçt , 
Les dents contremont , Fesperit 
Pensant , ravy en amourette , 
La teste au bout du châlit , 
En lieu du cul d'une charette : 
Et l'exécution parfaicte , (â) 
Après quatre ou cinq moys passez , 
Par ceulx qui la despeche ont faicte , 
AflSn d' estre recompensez. 

C'est trop caquette ; c'est assez 
Sur le dolOy ce m'est advis. (5) 
S'ensuit donc , pour estre avancez , 
La rubriche de impensis. 



131 

BUBKIGHE 

De Impensis. 

Des Impenses. — Selon tous dictz , 
S' on tache à decepvoir les gens 
Et tromper par moyens subtilz , 
Ce n'est que à fm des despens. 

Pour ce, après de Dolo}e prens 
Des Impenses. — En bonne foy , 
Ceulx, qui font Tarquemie aux dens. 
Ne practiquent point ceste loy : 
Ceulx, aussi qui n'ont pas de quoy , 
Ne peuvent telz grans despens faire. 

Pour ce c'est le pis que je voy. 
Quant ung homme est mince de caire : 
Se ung amoureux n'a que traire. 
Ne que mettre en production , 
Il n'y fault point de Commissaire 
Pour faire la taxation. (1) 
Trop inutille est l'action 
Celuy qui à povreté tire ; (2) 
Encore pis l'exécution , (3) 
Là ou on ne treuve que frire. 
Or n'est-il riens au monde pire , 
Quant ilz ont ensemble leurs Cours , 
Pour ung povre mignon destruire , 
Que faulte d'argent et amours. (4) 
On a veu , les anciens jours , 
Qu'on aimoit pour ung tabouret , 
Pour un espinglier de velours , 
Sans plus pour ung petit touret. 
Aujourd'huy, il fault le corset , 
Ou la troussoire d'ung grant pris , 



132 

Ou bailler dix eacus d'ung tretz. 
Ou la robbe fourrée de gris. 

Or voicy ung cas qui est mis : 
Ung mignon ayme une mignonne , 
Et sont ses esperitz ravis « 
Tant luy semble-elle belle et bonne. 
A elle du tout s'abandonne ; 
Et pour la faire plus mignotte , 
Quatre aulnes de satin luy donne , 
Pour luy faire faire une cotte. 
C'étoit satin de belle sorte , 
Sendré , ung satin de Fleurence : 
Et de faict la prie qu'elle porte 
Cette cotte « pour sa plaisance , 
Pour avoir de luy souvenance. 

La Bourgeoise eut ung autre amy, 
A qui elle dcmne et advance 
Les quatre aulnes de satin cy ; 
D les prent et est rejoûy ; 
n fringue et en faict sa fredaine. 

L'autre songe et est esbahy, 
Qu'il voit qu'il a perdu sa peine. 
L'ung est tondu , l'autre a la laine ; 
L'ung eschetlate , l'autre. la tojme ; (1) 
L'ung est celuy qui semé avoine, 
Et l'autre est celuy qui moissoue. 

Assavoir que raison ordonne , (2) 
Si je voys quelque sot fringuer 
De chose que à femme je donne , 
Se je la pourroye vendicquer. 
Reprendre , ou à moy appliccpier ? 

Le droit nouveau est résolu 
Que on ne sçauroit tant topicquer. 
Que le satin ne soyt perdu 



133 

Pour moy : mais bien au résidu , (1) 

On ne peult la Dame appréhender. 

Et se mon drap ne m'est rendu , (2) 

C'est assez pour la dégrader (3) 

De son honneur, et procéder 

Contre elle à dégradation. 

Le prélat qui sera l'ouvrier, 

Sera quelque mauvais garson. 

Telz motz qu'on dict une chanson 

Qui court par les rues et sentiers : 

Ce que on oste c'est bon renon. (A) 

Le registre aux mauvais Greffiers , (5) 

Et tous les menuz Officiers , 

Comme Scribes et Promoteurs , 

Sont Pages , et pallefreniers , (6) 

Applicquans, marchans, Gaudisseurs, (7) 

Que sçay-je , un tas d'Afistoleurs, 

Qui ont oûy le faict compter. 

Qui jetteront gouUées plusieurs (8) 

Et l'yront partout esvanter. 

En ce point voit-on dégrader 

Celles qui trompent leurs amys. 

C'est assez dit : il faut traiter 
Le titre de injuriis. 

RUBRIGHE 

De Injuriis. 

Des injures le tiltre est mis , 
Ou y a de grandes matières. 

Pensez que ce tiltre est bien pris 
Entre ces vieilles harangieres : 
Les estaux de ces poissonnières , 
Les coffres de la lingerie , 



ISA 

Et les bacquetz de ces trippieres. 
Ne sont plaine d*aultre mercerie. 
Les crodietz de la boucherie. 
En Chastcllet ung tas de sacz , 
Et au surplus la plaidoyrie 
De tous les plus grans advocatz , 
Injures trop, à tas , à tas. 

Dieu sçet se bien sont esplucbées 
ParoUes et menus fatras 
Aux chambres de ces, accouchées : 
Les fenestres ne sont bouchées 
Que à faulx et à manches d'estrilles : 
Les couches ne sont attachées 
Que de grands lardons pour chevilles : 
Les carreaulx , surquoy seent les filles , 
Sont pains d'ung tas de semist Dieux : (1) 
Les tapis, se sont evangilles 
Et vies à povres amoureux. 

Au chevet du lit pour tous jeux , 
Pend ung benoistier qui est gouid, 
Avec ung aspergés joyeulx 
Tout plain d'eaue benoiste de cour. 
La garderobbe c'est la court , 
Là où on traicte noz mignons ; 
Là on n'espargne sot , ne sourt ; 
C'est là où on les tient sur fons. 

L'une commence les leçons 
Au coing de quelque cheminée ; 
Et l'autre chante les respondz , 
Après la légende dorée. 

Si-tost que mâtine est sonnée , 
11 n'y a ne quignet ne place 
Que on n'y carillonne à journée : 
Il est tousjours la Dédicace : 



1S5 

• 

En la messe il y a préface , 
Mais de confiteor jamais. 
Oncques , puis le temps Boniface , 
Aussi on n'y bailla la paix. 

Car il y a entre deux ais 
Tousjours quelqu'une qui grumelle 
D'entre sa voisine d'emprès , 
Qui veult dire qu'elle est plus belle. 

Bref, c'est une droicte chappelle ; 
Et si n'y a Prélat d'honneur 
Qui ne tache bien , sans séquelle , 
D'avoir place d'enfant de cueur. 

L'une comptera de Monsieur; (1) 
Et l'autre d'une créature 
Qui a cul de bonne grosseur : 
Mais il ne vient pas de nature : 
L'une dict que c'est enfanture ; 
L'autre dira qu'il n'en est rien ; 
Et pour ester la conjecture , 
Chascune faict taster le sien , 
S'il est fagotté , s'il est bien ^ 
S'il est troussé , s'il est serré , 
S'il est épais, quoy et combien , 
S'il est rond , ou long , ou carré ; 
Tel y a, s'il estoit paré 
Et qu'on luy vist ung peu la cuisse , 
On le trouveroit bigarré 
Comme ung hocqueton de Souysse. 

Celuy si me semble est bien nice. 
Qui fonde dessus une maison ; 
Car quelque chose que on bastisse , 
Le fondement n'en est point bon. 

Après qu'on a dit ce jargon , (2) 



136 

Tantost après arrivera 
Une grande procession 
Qui d'aultre matière lyra. 

L'une d'elles commencera 
A resgaudir ses esperitz ; 
Dieu sçet s'elle praticquera 
Le tiltre de InjuriU. 

Quelqu'une par moyens subtils 
Ira semer de sa voysinne , 
Qu'elle suborne les amyes 
Et les chalans de sa cousine. 
D'une autre , on dira que c'est signe 
D'une parfaicte mesnagiere , 
Prester « pour garder sa cuisine , 
Son cul plustost que sa chaudière. 

S'on touche de quelque compère , (1) 
L'une dit qu'il est trop faschant : 
L'autre qu'il a béQe manière ; 
Mais il se panche ung peu devant. 

D'ung tel , il sçet son entregent y 
Et si luy siet bien à dancer : 
Hais il n'a pas souvent argent ; 
Il ne sçet que c'est que foncer. 

Quelque vieille va commencer 
A filler , qui empongnera 
Sa quenoille de hault tencer , 
Son fuzeau de — tout se dira. 
Les estoupes de — on le sçaura , 
Le rouet de — j'ay bec ouvert , (2) 
Le vertillon de — on verra (3) 
Le pot aux roses découvert. 
Le fil de la quenoille est vert 
Et si délié pour s'enfiler , (â) 
cjue le grant diable de Vauvert 



137 

A peine s'en peut desmesler. (1) 

Pour mieulx à Taise vaneler , 

On met estoupes par dedans 

La saincture de trop parler , 

Et la couche Ton des plus grans. 

On empescbe langues et dents « 

Et mettent leuts toings et leurs cures 

Par lardons , broquars , motz piôquftns 

A exposer les escriptures. 

C'est ainsy que tek créatures , 
En parlant de l'autre et de Tung , 
Lisent le Tiltre des Injures. 

C'est aujourd'huy le train commun 
De noz Gentilz-hommes : quelque ung 
Un banquet n'entendra langaige 
Que de mesdire sur chacun , 
Sur quelque Bourgeoise ; que say-je ? (2) 

— L'une est abillée en villaige ; 

— L'autre est dangereuse au frain ; 

— Et l'autre deveroit estre saige , 
Car elle a ung très grant engin. 

— D'une on dit qu'elle ayme hutin , 
Et a l'instrument compassé 
Comme ung houseau de biscain , 
Quant a le ventre deslassé. (3) 

— L'une a couru, l'autre a trassé : 

— L'une a les grans, l'autre a les gros : 

— L'autre a l'estomac renversé 
Et a l'entendement au doz. 

— L'une a visaige de marmotz 
Enluminé de vermillon : 

— Et l'autre sont l^ombre des brotis , 
Ou la graine de morillon. 



1S8 

— L'une est rognée par le talon , (1) 
Et cloche ung peu quant elle dance : 

— L'autre a le corps à reculon ; 
Et cuide Ton du cul la pance. 

Brief , c'est une droicte plaisance 
Que d'ouyr mignons en bancquetz. 
Car en celle où Ton met l'advance , 
Il y a tousjours sy , ou mes. 
Sotz , saiges , drups , dupes , ny ais , 
En playdoyés , en escriptures , 
Tous Advocatz , et Clercz , et Laiz , 
Sçavent ce Tiltre des Injures , 
Et parlent souvent sans mesures , 
Et injurient gens sans raison. 

Et pour achever noz lectures , (2) 
Je veulx mouvoir deux questions ; 
Et puys ho ! — Tune est : noz mignons 
Vont quelque Bourgeoise hanter , 
Et la tiennent si bien sur fons 
Qu'ilz parviennent à habiter. 
Ont ils faict, ilz s'en vont vanter (3) 
Par tout , à Gaultier et à Sybille : 
Et , s'on ne les veult escouter 
Aux champs , ilz le crient en la Ville. 
Je demande par voye subtille , 
Se la femme aura action 
De l'injure? et par rigueur du stille. 
S'il y chiet grant punition ? 

Je respons par distinction : 
Ou celle , dont on dict ce bien , 
Prent des mignons argent ou non ; 
Ou elle le faict et n'en prent rien. 
Se elle prent argent , tout moyen , (A) 
Tout remède , le droit Iny fault. 



139 

Et s* elle n'en prent point, trop bien 
Elle a Faction ; et ne cbault 
S' elle a eu chose qui le vault : 
Car se vanter, c'est mal rendu. 
Et dit pour ce , que ung tel ribault 
A bien gaigné d'estre pendu. 
Par ainsy est le cas solu. 

L'autre question en efFect 
Est telle : — ung Macé goguelu 
Trouve sa femme sur le faict. 
Assavoir mon , se s'est mieulx faict 
A luy d'appeller ses voisins , 
Les gens de la rue , ou le guet , 
( Que sçay-je ? ) ung tas de maillotins , 
Ses oncles , parens et cousins 
Pour sa povre femme escomer , 
Et affin qu'ilz soyent plus enclins 
De consentir la séparer ? 
Ou , se c'est mieulx faict d'endurer 
Et luy dire par bons rtioyens : 
— Au moins deviez vous l'huys serrer ; . 
S'il fust venu des aultres gens , 
Se quelq'ung fust entré céans 
Il n'eust pas falu rompre l'huys. 

Lequel est plus saige ? je tiens , 
Aussi les droitz sont à ce duys 
Et à ce résolu , que puis 
Qu'il sçet qu'on besongne ou qu'on baise, 
Devant qu'entrer doibt dire : et puis , 
Qui est leans ? ne vous desplaise ! 
Ne bougez ! faictes à vostre aise ! 
Sans luy demander : que fais tu ? 

Car qui se course , si s'appaise : 
C'est grant peine d'estre testu. (1) 



uo 

Pensez, pour ung gentil coqu 

Qui veult vivre en persévérance , 

11 n* y a si belle vertu 

Au inonde que de patience. 

Car posé qu'on parle , ou qu'on tance/ 

On n'en tient riens ; ce n'est que glose : 

Pour parler ne se nraë plaisance : 

Brief , on n'en aura aultre chose. 

Mes mignons , sans plus longue prose 
Aussy quant serez avec gens , 
Tenez tousjours la chambre close , 
Pour doubte d'aultres survenans. 
Par ceste response je rens 
Solu le cas qui est c'y mis. 
Et finissent icy les moyens 
Du Tiltre de injuriis. 

Des droitz nouveaulx avez oûys 
Sept Tiltres : c'estoit mon entente 
D'en lire encore cinq ou six , 
Voire dix , voire vingt , ou trente ; 
Mais brief pour ceste année présente ^ 
C'est force vous tenir à tant : 
On ne peult faire que en faisant 

Toutesfoys pour finer ces droitz , 
J'entens lire tous les ans 
Des tiltres quelques deux ou troys , 
Par manière de passetemps. 
Pour ceste heure soyez contens ; 
Peu à peu fault ronger ou paistre ; 
Petit à petit on est maistre. 

Se le temps n'eust esté estroict , 
En bref je sçavoye les manières 
A faire les reigles des droitz 



141 

Qui eussent esté singulières : 
Mais d'embrasser tant de matières 
En ung coup , tout u'est pas empraint : 
Qui trop embrasse , mal estraint. 

Par Dieu , mes Dames , mes Bourgeoises , 
A tous voz maintiens gracieux , 
Ne prenez pas mes dictz à noises : 
Mes motz ne vous soient ennuyeux. (1) 
En mes ditz , n'y a que tous jeux , 
Et ne quiers à personne guerre : 
Qui l'entend aultrement il erre. 

Aussy , très redoubtez Seigneurs , 
Vers vous me veulx humilier : 
Et vous mercye de voz honneurs 
Ce povre petit Escolier , 
Que daigné avez escouter. 

Mais en tous lieux et bas et haulx , 
Souvienne vous des droitz nouveaulx. 

Cy finissent les Droitz nouveaulx. 



LE MONOLOGUE 

DU 

€iElin>AR]IIB CASSÉ. 



AXLGtXmaasTi 



Pendant le XV« siècle, les gens d^armes de» ordon- 
nances du roî furent aussi redoutables à l'étranger 
qu'odieux i la France. Leur indiscipline bravait Tautorité 
des officiers et le respect dû à la loi. Vol» et débauches 
formaient le fond de leur existence ; leur insolence bra- 
vait tout. Si parfois on osait les dénoncer, les capi- 
taines ne se souciaient des accusations portées contre 
eux ; les magistrats craignaient de sévir, de peur de voir 
leur caractère méconnu ; le roi faisait mine de ne rien 
Mvoir. Cependant , quelquefois les clameurs des popu- 
lations parlaient si haut, que la Cour était forcée d'f 
(aire droit; alors paraissaient des ordonnances destinées 
à rétablir Tordre dans Tarmée : on pendait quelques 
coupables; des bandes entière d'bommes d'armes étaient 
licenciées ; des gens de guerre étaient cassés de leurs 
gages, c'est-i-dire dégradés et expulsés : c'est une de 
ces victimes de la réaction disdplinaire que Goquil- 
lart met en scène. Le béros de ce monologue a été ruiné 
par sa débaucbe : on Ta chassé de sa compagnie ; il est 
sans ressources. Aux prises avec la misère , il passe en 
revue tous les plaisirs dont il a Joui , tous ceux qu'il 
^ souhaite encore. En vantant ses désordres , ses folles 

dépenses^ ses habitudes de maraude et de violences, 
il peint fidèlement la vie que menait les gens de guerre. 
Il suffisait au poète de narrer des faits réels , des abus 
sérieux et des scandales flagrants pour en foire la sa- 
tyre. A la fin ) l'homme de guerre, las de laisser son 
imagination errer dans le vide , et voltiger d'un rêve 
de mémoire à un- rêve d'avenir, comprend que ses 
beaux Jours sont passés sans retour; alors la colère 
le prend, et il attaque sans pitié ce monde qui le 
condamne, et dont, après tout, il n'a fait que suivre 
l'exemple.. Il immole à son ressentiment l'inconduite des 
femmes^ celle des prêtres et des moines^ le luxe ridi- 
cule et ruineux des journaliers , et finit par maudire les 
vices et les travers de son siècle. 



10 



Cy eommenee le Honologae do Gendarm* 

cassé. 



Hommes d*armes câssez de gaiges 
Comme moy par mont et par val , 
Sur les champs portant leurs bagages 
A pied, par faulte de cheval, (1) 
Fortune me tient son vassal : 
Povreté m'a en ses abois ; 
Et suis , pour brief propos final , 
En point comme img brigant de boys. 

J'ay perdu chevaulx et hamoys (2) 
A trois beaulx dez , par mons et vaulx ; 
Ma lance est au grenier aux noix , 
Qui sert à seicher les drappeaulx ; 
J*ay mangé espée et houseaulx : 
Qui n'a point d'argent, rien ne paye^ 
Rendre me fault, par mes aveaux, 
En quelque vieille morte-paye. 

Mon pourpoint est de vieille soye, 
Desrompu et tout decassé ; 
Et me nomme-on, où que je soye, 
Le gendarme fumeux cassé. 
Mince d'argent, povre endossé, (3) 
Nu et espris pour tout comprendre; 
PQur treaor que j'aye amassé, (â) 



1A8 
Larron ne se fera ja pendre, . 

Tous les jours cens francs à desprendre ; (1) 
Monte de coursier et de Dame ; 
Emprunter assez et rien rendre ; 
Estre saulvé de corps et d'ame ; 
Vivre de hait sans estre infâme ; 
Tousjours sain et jamais malade ; 
Cihascune nuyt nouvelle femme , 
C'est le refrain de la ballade. 

Tous les matins la belle aubade ; 
Visaige frais et non halle ; 
Bon .corps pour faire la gambade , 
Saillir , saulter : par long parlé , 
Vivre autant que Mathussalé , 
Sans enveillir ; (vêla le point ; 
Le galant seroit bien pelé. ) (2) 
Et puis chanter à contrepoint ; 
De drap de damas le pourpoint , (3) 
Chausses de trois escuz la paire ; 
Le mignon seroit bien en point (h) 
Fust pour aller veoir son grant père. 

Caqueter avec la commère , 
Nu à nu dedans le beau baing ; 
Ce seroit , par Tame ma mère , 
Ma charge sans aller plus loing. 

Chascun son beau pasté de coing ; 
Mettre la main sur la mammelle , 
Puis se tirer en quelque coing 
Pour apprivoiser la femelle ; 
Beau lict paré , la chambre belle , (5) 
Les draps bacinez à souhait , 
Hypocras ; chevaucher sans selle, 
River et habiter de hait. 

Corps advenant, souple jarret ; (6) 



j 



1A9 

Secourre; gantel et mitaine; (1) 
Cing six coups la lance en Tarrest (2) 
Pour jouster contre la quintaine. 

Le matin , comme ung Capitaine , 
Le fagot , la belle bourrée , 
Puis la forte fiebvre quartaine 
Pour faire une gauffre fourrée : 
Le chaudeau flamant , la purée 
Pour reconforter le cerveau ; 
Puis se prendre à la marée 
Et recommencer de nouveau. 

Ghascun son beau pasté de veau 
Aux moyeux d'œufz , le beau vin blanc. 
Que fault'il de plus? ung cordeau 
De la valeur d'ung petit blanc , 
La nappe mise au long d*ung banc ; 
Faire la perrucque au bacin , 
Rire, chanter, deviser; franc 
Ce n'est meurtre ne larrecin. 

Ung tour de bec , dire un tatin : (3) 
Soubdain que la gouge en emmanche 
Luy rebailler le picotin , 
Si r instrument ne se desmanche. 

De fm lin la chemise blanche 
Soy vestir, le beau feu aux raina ; 
Et puis le gueux à quelque branche (à) 
Pour monstrer le chemin de Rains. (5) 

La belle eaue rose à laver mains ; 
Trencher du caresme prenant ; 
Cornette fourée , du moins 
Cela est bien goûte prenant. 

Soy pigner demy heure ou tant ; 
Pantoufle haulte qu'on ne grille; (6) 
Payer la gouge tout contant , 
Sequin sequet, sur une grille : 



150 

Partir , dire adieu à la fille. 
Est-on prest 7 la bouche laver : (1) 
De mesme le trou , la cheviUe 
Tenir ferme , pour enterver. (2) 

Courre de nuict , ribler , resver , 
Porter ungz cheveulx d'Absalon, 
Et tous les jours de cest yver 
Deux mules à cbascun talion. 

Habitz neufz selon la saison , (3) 
Jusques en terre longue cotte 
Et rapporter en la maison 
Du moins pied et demy de crotte. 

Planter ung beau rosier cbeux l'hoste ; 
De rhostesse avoir la coppie ; 
Le bonnet renversé de coste (A) 
Et au bout du nez la rouppie ; 

Pomper , faire la queue de pie ; 
Avoir d'or et d'argent à foison ; 
Pier de la plus gourde pie ; 
Trencher du gourt ; avoir renom 
De bouter courroucez , marris ; 
Et tant à Mente , qu'à Vemon (5) 
Fidre cocuz plusieurs maris : 
Mon souhait serait il pas bon ? 

C'est trop souhaité , je m'en ris ; (6) 
Autant d'escus que de festuz ; (7) 
Soit à Tours , Moulins , ou Paris , 
Les escuz font battre les culz. 
Par cy , par là , telz sont cocuz; 
Chascun n'a pas argent à tas ; 
Il fault porter doré Bacuz (8) 
Pour entretenir les estatz, 
Livrer la pièce hault et bas. 



151 

Uaultre a failly de sa promesse : 
Femme pour embourrer son bas 
Perdra plainement la grant messe. 
Telle dit : je viens de confesse ; 
Telle vend sa denrée en gros ; 
L'aultre à un coussin soubz la fesse , 
AfiSn qu'elle ayt le cul plus gros. 

Jehanne fait la beste à deux dos ; 
Perrette est ung peu trop pansue ; 
Uaultre est feutrée sur le dos , 
Pource qu'elle est ung peu bossue : 
Alix a si chault qu'elle sue. 

Bellot à ses deux filles grosses ; 
Quel descharger d'une massue 
Et d'ung ravault sur leurs endosses ! 
Saphis , dyamans , telz négoces ; (1) 
Ribler , pomper soir et matois ; 
Pour estre plus jolyes aux nopces , 
La robe fourrée de putoys. 

Ceste-cy marche à contrepoix. 
J'ay veu ceste-là en tel lieu ; 
A telle purée , telz pois. 
Tout n'en vault rien , par le sang bien î 
On rit 9 on faict le babeleu : (2) 
Soubz manche fourrée , longue chappe : 
Breviter, c'est le mal sainct Leu ; 
Il est heureux qui en eschappe. 

On guygne , on rit , on fiert , on frappe» 
Je vous dys , par saincte Susanne : 
Sans estre armé » ne pié , ne cape 
Ghascun le faict , et je maine l'asne. 

Nostre curé viendra au sanne 
Pour veoir comme on aura vescu : 

— Bon jour. Monsieur — Dieu vous gard*, Jehanne. 

— Pour soupper il fonce ung escu. (S) 



152 

Messire Jehan, Maistre Loou (1) 
De ces offrandes et pardons (2) 
Faict trop tost marié cocquu , 
Soubz umbre de faire telz dons. 
Jennin espleuche des chardons ; 
Mûstre prebstre se va jucher : 
Le dandù tranche des lardons , 
Quant on va sa chûre embrocher. 
Robe fendue à chevaucher. 
Par devant le sercot ouvert, 
11 ne la fault que racrocher ; 
El n'y pert, tout est recouvert. (3) 
Au beau preau la cotte vert*. 
Le dando faict bouillir le pot 
Brief, c'est le Diable de Vauvert; 
Sainct Anthoine arde le tripot ! 
Maistre prebstre donra tantost 
Dix escus, d'argent la saincture : 
Il ne les donroit pas si tost 
Pour faire une cloche à sa cure. 

De la mode, estroicte vesture, 
Le sein ouvert, serrée, joîncte ; 
Sainct Anthoine arde la monture ! 
Je n'y congnois ne cul, ne pointe. 

L'aultre faict semblant d'estre eosaincte. 
Disant quel* est preste à gésir ; 
Et l'aultre soubz umbre de fainte 
Est preste de faire plaisir. 

L'une pour ung millourt saisir , 
De l'œil gettera mainte larme ; 
Et l'aultre prent bien le loysir 
De partir , quant et le gendarme. 

Mes Daines , sans aulcun vacarme , 



153 

Vont en voyage bien matin 

En la chambre de quelque carme, 

Pour aprendre à parler latm. 

Frère Berufle et Damp Fremin 

Les attendent en lieu celé ; 

Sur la queue de leur parchemin 

Leur baillent leur beau blanc scellé. 

On ilz bien gaudy et galle , 

En lieu de dire leurs matines , 

Le vin blanc , le jambon salle (1) 

Pour festoyer ces pèlerines. (2) 

Après on reclost les courtines ; (3) 

On accoUe frère Frappart ; 

En baisant , ils joignent tétines ; 

Le grant Diable y puist avoir part I 

Le jour poîngt , on faict le départ; ,c 
La cloche sonne le retour ; 
On s'abille de part en part : 
— Adieu. — Bon jour , jusques au retour. 

Mes bourgeoyses , sans nul séjour , 
Partent et se mettent en voye 
Ung peu devant le point du jour , 
AflSn que nesung ne les voye : 
Et sans prendre charbon ne croye , 
Au ruysseau crottent leurs souliers 
Aflin que Jennin Dada croye 
Qu'ilz viennent de Haubervillîer. (A) 

Moynes, prebstres et cordeliers 
Prennent avec elle deduyt , 
Sans craindre en riens les escolliers ; 
Car ilz ont leur beau sauf-conduyt. 

On vient à Thostel , c'est bien dit. 
Jennin dit : vous mettez assez I 
Ma bourgeoyse sans contredit 
Piespondra : tousjours vous tensez ; 



154 

Ennement que bien le sachez , 
De travail le fronc me dégoutte ; 
Je viens de sainct Mor des Fossez ^ 
Pour estre allégée de la goutte. 
Le mary la croit , somme toute. 
Vêla, en recepte et en mise « 
Plusieurs niays s*y ont sans doubte ; (1) 
Ainsy du vent de la chemise. 

Après disner , par bonne guise , 
S'en va veoir quelque atdtre escollier , (2) 
Disans : je m'en voys à l'Eglise , 
Au sermon du bon cordelier. 
Puis après « on monte au solier : 
— Bien venez , car je vous attends. (3) 
Avec le chien au grant collier 
Elle se donne du bon temps. 

Tel et tel si mâche du sans ; (A) 
On donne à leurs femmes tissus , 
Et en sont aussi innocens 
Que Judas de la mort Jésus. 

Coquins , niays , sotz , joquesus , (5) 
Trop tost mariez en substance » 
Seront tous menez au dessus , 
Le jour sainct Amoul , à la dance. 

Telles sans prendre desplaisance y 
Si ont à leurs fines querelles , (6) 
Pour mieulx ribler à leur plaisance , 
Toutes propres leiu^ macquerelles. 

Quand au r^uard des Damoyselles , 
Grosses bourgeoyses, Gentilz-femmes , 
11 n'y a que redire en elles ; 



155 , 

Elles sçavent trop bien leurs games. 
Tout bien , tout honneur est en Dames ; 
A ung chascun je Tadmoneste. 
Ceulx qui les blasment sont infâmes ; 
En eulx n'a façon deshonneste. (1) 

Tant aux jours ouvriers qu'à la feste , (2) 
A Paris , ung tas de bejaunes 
Lavent troys foys le jour leur teste , 
Affin qu'ilz ayent leurs cheveulx jaunes. 

Varletz , coilsturiers , pelleurs d'aulnes , 
Paveurs et revendeurs de pommes 
Ont longue robe de cinq aulnes , 
Aussi bien que les Gentilzhommes. 
Les ungs dient qu'ilz en ont à sommes ; 
Les aultres s'abillent tout ung ; (3) 
Plusieurs fringuereaulx , briefves sommes, 
Fringuent , et si n'en ont pas ung. (4) 

L'ung mengue le povre commun ; 
L'aultre porte estât non pareil ; 
A leur parler tout est commun ; 
Tierry dort sans avoir sommeil ; 
Robin est vestu de venneil ; 
Chariot a une verde hucque ; 
Hector se pourmaine au soleil 
Pour faire sécher sa perrucque : 
Richard tronche du vaudelucque ; 
Simon a du drap figuré ; 
Michault a pourpoint si caducque 
Que le corps est tout dessiré. 

C'est on pigné, c'est on miré, 
Les cheveulx tressez nous portons, 
( Le bonnet dessus l'œil tiré,) 
Estendus comme hérisson. 



156 

Les ungs si ont les cheveuk blonds» 
Pignez et frandex à merveilles ; 
Ht les aultres si les ont longs , 
Pour ce qu'ilz n'ont nulles oreilles. 

Habitz de modes non pareilles , 
Pourpoins de drap d'or longs au cours , 
Chûsnes, coliers, plumes vermeilles , 
Appartiennent à gens de cours. 
Mais ung tas de merdereaulx lours , 
Ung oultre cuydé « ung folastre « 
Aura ung pourpoint de velours » 
Contrefaisant du gentillastre. 

Tisserrans, mesureurs de piastre 
Fringuent et font des Capitaines : 
Je leur donne , pour faire emplastre , 
Les sanglantes fièvres quart^es. 

D'aultre part fringeurs à huitaines 
Ont chaînes d'ung marc , d'une livre, 
(Pour faire valoir leurs fredaines) 
De beau laiton » ou de cuyvre : 
Us n'ont point de page à les suyvre , 
Robbe doublée de tafetas ; (1) 
Chascun d'eux si n'a de quoy vivre , 
Et veulent porter telz estas. 
Hz se pourmainent hault et bas ^ 
Fringuans , faisans les perruquins : 
Quant la chause est rompue par bas , 
Hz chausent ungz vielz brodequins : 
Trie y trac , on traisne les patins. 
C'est à tel brouet , telle saulce ; (2) 
Et desjuner tous les matins 
Comme les Escuyers de Beaulce. 

Qui se courrouce , se descliausse ; (3) 



157 

De bras je n'en trousse ne pousse : 
Devant que nul ne se desbaucbe, (1) 
Sur les Gentilzhommes ne touche. 
Il jouera mieulx que maistre Mouche, 
Qui me prendra en desarroy. 
Qui sera morveux, si se mouche, 
Je ne crains que Dieu et le Roy. 

Sans demander ne qui ne quoy 
Plusieurs coquarts sont bien en point, 
Et ne sçauroyent tenir dequoy 
Payer la façon d'ung pourpoint : 
Hz n'ont d'argent ne peu ne point 
Par pour leurs vieulx houseaulx refaire. (2) 
Fringuier, faire le contrepoint, 
C'est aux Gentilzhommes à faire : (3) 
Mais cuydant qu'ilz ayent de quoy faire, (4) 
Mal repeuz , maintenant saoulez , (5) 
Pour mieulx la fringande parfaire , (6) 
L'eaue passe parmy leurs souliers. 
Ilz sont fringans du bois levez ; (7) 
Et puis pour hanter entre gens , 
Leur bource plaine de gettoers (8) 
Pour dire qu'ilz ont de l'argent. 
Tel pompe et faict du régent. 
Disant : j'ay des escuz une pille. 
Tel est bien paré , frisque et gent 
Qui ne sçait ne croix ne pille. 

Les aultres, sans oiTence ville, 
Se pourmainent par mons par vaulx 
Et sont housez parmy la Ville , 
Pour dire qu'ilz ont des chevaulx. 
Tant de peine , tant de travaulx 
Pour en faire plus largement : (9) 



168 

Par Monsieur sainct Briol des Vaulx ! (1) 
Ilz n*ont ne cheval ne jument. 

Devant 1* estomac proprement , 
Le beau fin mouchouer de lin ; 
Mais la chemise est souvent 
Grosse comme ung sac de moulin. 

Les ungz par leur fin jobelin 
Fournissent à l'apoinctement ; 
Les aultres par leur pàthelin (2) 
D'un cedo bonis nettement. (3) 

Telz sont vestuz honnestement « 
Ilz fringuent trop et si n'ont riens : 
Pour avoir du drap largement , 
Il faut obliger corps et biens. 

En effect vêla les moyens ; 
Plusieurs sont , par leurs haulx babiz , 
Après menez comme beaux chiens , 
Pour faire leur pain de gros bis : 

Les aultres par folz appetiz , 
De la queue d'ung cheval painte 
(Quant leurs cheveulx sont trop petiz, ) 
Ilz ont une pemicque fainte. 

Puis qu'ilz ont la teste si ceinte , 
Vrayement j'ay bonne intention 
Que aucun d'eux seront d'une faincte \ 
Mais qu'on joue la Passion , 
Et s'on fait quelque fiction 
Le jour du Sacrement, l'ung d'eux 
Jouera l'Annonciation , 
Pour ce qu'ilz ont si beaux cheveulx. 

Guidez vous qu'ilz seroient peneux , 



159 

(S' eu salvent Dieu et ses Sains , ) 
Se le yent emportoit par neux 
Leur perrucques de cheveux fains. 
Ainsy que Lombars et Romains , 
Ilz portent ungz cheveuk de laine » 
Tous propres , pignez et bien paingz 
Pour jouer une Magdaleine. 

En priant que très bonne estraine (1) 
Vous veuille octroyé le vaudelucque , 
Et qu'il veuUe envoyé la teigne 
A ceulx qui ont telle perrucque. 

Fin du monologue du Gendarme cassé. 



BALUDES HISTORIQUES. 



BLASON 



des Dames et des Armes. 



11 



ARGUMSNT. 



Louis Xf avait laissé rh^rilière de Bourgogne épousef 
Maiimiiien d^Autriche : c'était une faute. II voulut la 
réparer , et y réussit en partie. Ses négociations ame- 
nèrent la conclusion d'un traité qui donnait pour femme 
au dauphin Marguerite d'Autriche , fille de Marie de 
Bourgogne (1481 - 1482)} elle apportait en dot l'Artois » 
la Bourgogne , Auxerre , Mâcon et le Gharolois ; de plus 
la paix était conclue entre la France et PAutriche : on 
la devait à Finsistance des communes de Flandre, qui 
voulaient aCbiblir l'Empire. Louis XI ordonna de grandes 
réjouissances dans tout le royaume. A Reims on chanta 
un Te Deum; le peuple dansa j Goquillart fît une ballade : 
nous Ta publions. Elle parait faite pour expliquer un 
groupe composé de trois figures , représentant la Paix , 
la France et la Flandre. 11 est élevé sur une des places 
publiques de la ville. 

Peu de temps après (30 août 1483), le vieux roi s'en 
allait de ce monde. Aussitôt les murmures , longtemps 
comprimés, se font entendre : les princes, les com- 
munes, le clergé relèvent la tête ; tous demandent la 
convocation des Etats-généraux. Anne de Beaugeu les 
réunit à Tours, et les séances s'ouvrent le 5 jan- 
vier 1484. La régente et les princes se disputent la di- 
rection des affaires. Elles sont confiées à un conseil su- 
périeur : chacun veut y mettre ses créatures ; les Etats 
demandent à y être représentés. Au milieu de ces in- 
trigues, les grands vassaux , dépouillés par Louis XI, 
viennent réclamer la réparation du mal qu^il leur a fait : 
on oublie les plaintes du peuple. Goquillart voit les mau- 
vaises passions agiter le flambeau de la guerre civile 
et les grands prêts à sacrifier à leur égoïsme le repos 
de la France et les intérêts généraux ; il s'indigne , et sa 
Juste colère se fait jour dans quelques ballades. La pre- 
mière est dirigée contre la coupable ambition des princes . 

• 

le poète les maudit et les envoie au puits d'enfer. Dans 
la seconde ballade , il plaide pour les princes , et attaque 



If ara advenaires. Dans les deui dernières, il paraU 
parier au nom des États : il dénonce et menace de la 
potence les courtisans , les seigneurs et tous ceux qui 
mettent la chose publique en péril. Nous renvoyons aux 
glossaires les notes qui complètent ce bref résumé. 

Au milieu de toutes ces discussions , quelques députés 
avaient parlé avec énergie des droits du peuple et 
avaient nettement proclamé sa souveraineté. La Cour 
s'effraya, et, le 14 mare J484, elle congédia les États- 
généraux. Charles VIII avait alore près de quatorze ans : 
I voulut se faire sacrer , et le 29 mai il entrait à Reims. 
Les clefii de la ville lui furent présentées par une jeune 
fille aux blonds cheveux ; elle lui dit quelques vers com- 
posés par Coquillart : le lecteur va les lire. 

Après les avoir écoutés , le roi continua sa marche vers 
Parchevèché. La place du Parvis était richement décorée; 
le drapeau national flottait à toutes les fenêtres ; de bril- 
lantes tentures, des fleurs, des guirlandes de feuillage 
couvraient les maisons. Là se pressaient hommes d^armes, 
milices citoyennes, nobles demoiselles, riches bour- 
geoises, Jouvencelles gracieuses. Au milieu de la foule s'é- 
levait une estrade couverte de tapisseries : elle portait le 
poète rémois. Coquillart eut l'insigne honneur de haran- 
guer Sa Majesté. Cette fois^ le satyrique fut courtisan. 
Charles VIII, enbnt, s'était passionné pour Alexandre- 
le-Grand. Depuis son avènement au trône, ses compagnons 
le poussaient à la conquête du royaume de Naples. Le so. 
leil des coure fait rapidement d'un enfant u n homme y le 
jeune monarque rêvait , ma is ce n^était pas toujouredes 
lauriers qu'il croyait couper : fleure d'amour lui sou- 
riaient aussi. Coquillart lit dans son cœur , il le voit aux 
prises avec les deux grandes passions qui dévorent les 
rois : il les met en présence. Il évoque devant lui 
l'image de la gloire militaire ; il lui montre Tamour e^ 
ses gracieux plaisire ; puis il lui conseille d'aimer les 
dames et les armes. Le poète , en homme sage et pré- 
voyant , Gnit par faire entendre au prince que , si Tépée. 
doit se tirer , ce n'est pas pour faire des conquêtes , mais 
pour défendre son pays. Ce bon conseil fut sans portée 
sur Charles VIll et ses amis : il voulut être conquérant , 
et mourut bientôt au milieu des rêves qui avaient fait le 
bonheur de ses belles aonées. 



Ballade qnand on cria la Paix à Reims. 



Vous espritz et vertueux courages, 
Plaisans , honnestes , royaux et pacifiques. 
Saliez à cop de voz nobles bemages 
Engins subtilz , caulx et scientiques , 
Et regardez les œuvres déïfiques 
Dont Dieu nous a si grandement douez , 
Que tous nos deux sont aujourd'huy muez (1) 
En joyes, en chantz, en plaisirs et jeux 
Par ces trois Dames lesquelles cy voyez ; 
C'est France et Flandres, et la paix entre deux. 

Vouloir divin a produit ces ouvrages ; 
Par luy sont faitz ces œuvres mirifiques ; 
Du ciel sont cheutes ces plaisantes ymages, 
Doulx maintiens et humains Angéliques ; 
Ne sont-ce pas précieuses reliques? 
Pensez que ouy ; ainsi fault que croyez ; 
Et pour ce, enfants, soyez tous envoyez (2) 
De rendre loz à Dieux celestîeulx, 
Pour ces trois corps qui vous sont envoyez ; 
C'est France et Flandres, et la paix entre deux. 

Tremblez à coup, envenimez langaiges, 
Cueurs desloyaulx et gens diabolicques, 
Pervers, maulditz, plains de crueux outraiges; 



166 

Ne descordez à ces joyeux canticques. 
Muer vous fault voz lances et voz picques» 
Et que d* armures vous soyez désarmez, 
Aflin que mieux cest paix advoûez, 
Et que de cœur loyaux et vertueux 
Vous maintenez tousjours ces pointz liez : 
C'est France et Flandres, et la paix entre deux. 

Prince François, tes faitz glorifiez 
Nous gratulons d'ung désir convoyteux, 
Puisque ces trois ensemble a liez : (1) 
Cest France et Flandres, et la paix entre deux. 

S'ensuivent les Vers que la Pucelle dit au 
Roy^ en luy présentant les clefs de la Cité 
de Reims, quant il y vint prendre son Sacre 
tan ihSk, et entra audit Reims le Zd'^jour 
de May. 

ET PREMIÈREMENT. 

Nostre "Roy, Prince et Souverain Seigneur» 
Trës-chrestien nonuné par excellence, 
A qu'il est deuë gloire, louenge, honneur, (2) 
Subgection, amour et révérence ; 
Vostre Cité de Reims, obeyssance 
Vous fait pour moy , qui cy la vous présente ; 
Et de franc cueur, en vraye confidence. 
Les clefz des portes humblement vous présente. 

TRADOGON. 

Roy très puissant, mon Souverain Seigneur» 
Reims très ancienne, par grande humilité. 
Son cueur vous œuvre par excellent honneur. 
Vous promettant garder fidélité. 



167 



Ballade contre les Princes. 



Princes, qui tenez les très grans Estatz 
Sans regarder la façon et manière, 
Vous courroucez tant de gens en un tas, 
Que pour vous va çen devant derrière : 
Pour ce maintenez pour raison droituriere ; 
Car, en ce printemps et nouvelle saison. 
Les Vers Manteaulx en feront la raison. 

Que pensez-vous ? prenés vous voz esbatz 
A mettre sus une telle matière ? 
Pour ce moyen, vous forgez grans debatz 
Qui dureront au moins Tannée entière. 
Et vous dis bien se ce temps dure guère, 
Jlt Dieu reçoit de chascun l'oraison. 
Les Vers Manteaulx en feront la raison. 

Vous faictes tant de gens crier : helas ! 
En haulte voix faisant à Dieu prière. 
Qu'ensemble tous puissez descendre en bas (1) 
Au puis d'enfer, la teste la première 1 
Car aussi bien s'ont met aulx champs baniere 
Ce temps d'iver, vous verrez qu'à saison 
Les Vers Manteaulx en feront la raison. 

Prince, regarde à qui baillé tu as 
Toute la charge de ta noble maison, 
Et pense bien comment garder pouras : (2) 
Les Vers Manteaulx en feront la raison. 



168 



lépMM fMT les Priiees. 



Tous qui parlez des Princes et Seigneurs 
Qui aux Estats ont leur haulte main mise. 
Et les chargés de plaintes et clameurs 
Que cbascun fait endroit soy à sa guise. 
Au grant Conseil est la chose remise : 
llaistre Denis, qui a tousjours saison, 
Aux Vers Manteauk ostera la toison. 

Puis serez en toutes vos erreurs, (1) 
Et congnoistrez que c'est folle entreprise : 
11 n'y aura grans, petis ne greigneurs, 
Que leur delTence ne soit tousjours amise ; 
Hais se l'en voit que raison soit desmise, (2) 
Cestuy bon maistre, qui sçet plumer l'oison, (S) 
Aux Vers Hanteaulx ostera la toison. 

Vous menasses soubz couvertes couleurs 
Ceulx qui craignent les grans vent de la bise, 
Et proposez que vous font vos douleurs. 
Pour mal entendre le tout à vostre guise ; (A) 
Mais se par vous bannière est aux champs mise» 
Le vray ouvrier qui congnoist la maison , 
Aux Vers Manteaulx ostera la toison. 

Princes, pensez à toutes ces aigreures (5) 
Pour tous ceux-là qui ont la desraison 
D'entretenir qui mieulx à ces rigueurs : (6) 
Aux Vers Manteaulx ostera la toison. (7) 



169 



Ballade contre les Seigneurs. 



S'il advient les Manteaulx Vers 
Ayent cours comme chascun pense , 
Et que tout voise de travers , (1) 
Je dis : ainsi que Ten commence , 
Mal content, ayez espérance; 
Congnoissez que le temps Tappllcque 
De ramener , sans différence , 
Ung autre nouveau bien publique. 

Soubz umbre de sermens couvers , 
On baille à qui l'en veult puislance; 
Mais les faitz seront descouvers , 
S'il plaist à la divine essence : 
Lors on verra la conséquence 
De leur faulce et dampnée pratique : 
Car par eulx reviendra en chance 
Ung autre nouveau bien publique. 

Ung tas de rassotez couvers (2) 
Ont voulu par leur alliance , 
Fraper à tort et à travers 
Sur les bons serviteurs de France ; 
Qui fut la vraye cause et substance 
Du jadis mauvais bien inique ; 
Et les Seigneurs plains d'arrogance 
Forgent ung nouveau bien publique. 

Ha I Prince de haulte excellence , 
On te met en ung grant picque ; 
Car soubz ton manteau d'ignocence 
Se forge ung nouveau bien publique. 



170 



Billide eoitre les lanteiulx. 



Vous verrez, Manteaulx appeliez vers de terre , 
Qui sans raisons vous plaignez des £statz , 
Advisez se la paix ou la guerre , (1) 
Lequel des deux pour prendre vos esbatz 
Vous vauldra mieulx ; car je croy qu'a ung tas, (2) 
Se n'y pensez par bonne occasion , 
Arbres et fourches en feront la raison. 

Quant on vouldra , serez tenuz en serre 
De si très près, que vous crierez : helas ! (3) 
Que vous faut-il ? querez vous la desserre (à) 
Des malheureux tombés jusques au bas ? 
Je vous prometz que desditz et debatz , 
Que vous menez en royale maison , (5) 
Arbres et fourches en feront la raison. 

Aller vous fault , gens paoureux , ailleurs querre 
Que ceste Court ; ce n'est pas vostre cas. (6) 
Tirez avant et cheminez autre erre , (7) 
Et que ce soit plus viste que le pas : (8) 
Ou autrement pour le juste compas , 
Pour le plus tard , celle noble saison , (9) 
Arbres et fourches en feront la raison. 

• 

Prince Royal , qui devez tous conquerre, 
Ne pardonné si grande desraîson 
A telz mignons , qui pour devoir aquerre : 
Arbres et fourches en feront la raison. 



Cy eoiflmenee le Blason des Armes et des 

Dames. 



Or , est le temps passé , passé ; 
Le bien pourchassé, pourchassé; 
Et ce qu'on a trouvé , venu. 
C'est grant chose d'avoir pensé , 
Mais plus d'avoir contrepensé , 
Encores plus d'avoir retenu. 
J'ay sçeu , veu , leu , aprins , congneu , 
Noté , entendu , souvenu , 
Epilogue mille traficques : 
Mais peu , quoy ! qu'est tout devenu ? (1) 
Bien assailly , bien soustenu : 
Tout n'en a pas vallu troy nicques. 

J'ay mis en jeux et praticques 
Mille couleurs de rhetoricque , 
Mille motz , mille dictz d'ouvriers , 
Mille paroUes sophistiques , 
Pour estre couché en cronicques 
Ou nombre des adventuriers : 
J'ay mis chevaulx et lévriers, (2) 
Heraulx , eschansons , escuyers , 
Gens druz , à tout habandonnez. 

Le nom de noz aultres gorriers 



172 

Est escript aux huys par fourriers : (1 ) 
Mon nom THonneste fortuné 
Souvent gourd et bien guerdonné , 
Souvent tout mal assaisonné , 
Souvent entoûillé par meslure, (2) 
Souvent recreu , fasché , tenné , (3) 
Lasche comme ung cheval estonné 
A qui fault une emmieuslure. 

Train, court, amour, telle embouclure (A) 
M* ont engendré mainte affistolure, 
Et faict faire maintes moëttes. 
Car pour repos, j*ay eu foulure ; (5) 
Pour le beau temps , j'ay eu greslure ; 
Pour provision , des jonnettes; (6) 
En lieu de faisans , alouettes ; 
Pour chariotz branslans , brouettes : 
D'entretien mal utensile. (7) 

« 

Brief , quoy que Dames soyent flouettes, 
Autant vault chasser aux suettes ; 
On ne les prent pas au fiUé. 
Qui n'est rusé, duyt, ou stillé , 
Ja n*y proffitera à foison. 
Car pour moy , c'est mal compilé , 
Mal entendu , et mal filé 
De prendre fuseau sans peson. 

D'amours ce n'est que trahyson ; 
De court (poac !) ce n'est que blason ; 
De train d' estât , ce n'est que ennuy. 

J'ay fréquenté mainte maison , 
Où j'ay perdu temps et saison , 
Posé que j'eusse bon appuy. 
Au fort , j'ay hanté et suivy ; 
L'Honneste fortuné je suis : 
Tousjours honnesteté m'a pris. (8) 



173 

Se j*ay trop longuement servy 
Sans avoir eu grand audivit. 
C'est fortune qui me surpritz. 

Si ay je noté et escript 
En mon sens, et en mon escript, 
Les deduytz, plaisances et jeux 
Des grans Seigneurs, le choix et bruyt, 
Le passetemps et le deduyt 
L'effect et le prouffit d'iceulx. 

A Princes jeunes et joyeulx 
Il y a des passetemps deux 
Qui les peuvent tourner et mouvoir : 
L'ung les rend doulx, begnins, piteux; 
L'autre les rend vaillans et preux, (1) 
Puissans de povoir et d'avoir. (2) 

Et affin de faire debvoir, 
Se vous desirez le sçavoir, (3) 
Ce sont les Armes et les Dames ; 
En ce parc vous en povez veoir 
Les signes , et appercevoir 
Les démonstrations et les games. (A) 
Là sont les Armes, là les Dames ; 
L'une se plaint, et l'autre rit; 
L'une s'y donne à l'autre blasme 
Pour avoir, ou temps qui court, bruyt* 

Le Procureur des armes dit (5) 
Qu'en cest aage qui est doré, 
Ung Prince doibt prendre deduyt 
A estre des Armes paré. (6) 

Cest autre, qui est séparé. 
Pour les Dames dit le contraire, 
Qu ung chascun s'il n'est esgaré 



174 

Doibt tascher aux Daines complaire. 

Armes et Dames chascun veult plaire ; 
Ce sont deux passetemps mondains, 
Qui se debatent pour bruyt faire 
Aujourd'buy entre les humains. 

LE PROCUKEUK DES ARMES. 

Quoy I disent les Armes je me plains, 
Se je n'ay le bruit par dessus 
Les Dames; car j*en ay faict maintz 
Petis, et de bas lieux yssus, 
Monter, eslever, mettre sus 
De terre, ou de fond d*ung celier : 
Je les rens grobis et moussus. 
Tout au fin feste d'ung solier. 

Fay-je pas ung simple escuyer, 
S'il se sçet aux armes conduyre, (1) 
Tout incontinent chevallier. 
Que chascun l'appelle messire 7 

Se ung grant Flince se veult aduyre 
Qu'il soit tant soit peu courageux, 
Je luy faitz tous ses faitz descripre 
Et mettre du nombre des preux. 
S'il est hardy chevaleureux. 
Et eust-il petite puissance. 
Je l'eslief jusques aux cieulx : 
Tout vient à son obéissance. 

Voulez vous plus belle plaisance 
Qu'en ung destroit, en une guerre, 
Voulter, jouster, rompre la lance 
Et mettre ung homme cul par terre ? 
En ung champs, en une deffere 
Monter sur ung genêt d'Espaigne, 
Pour loz avoir et bruyt conquerre ? 



175 

Là combatre Flandre ou Alemaigne, 
Porter Testendart ou renseigne, 
Soupple comme ung bel escourjon, 
Et bondir en plaine cbampaigne 
Comme les os d'ung escourjon ? (1) 

Mes njoynes portent haulberjon 
En leur grant messe, en lieu de froc- 
Leur cloistre, c'est quelque donjon 
De pierre, juché sur ung roch : 
Tirer, luiter, jouster au crocq 
Sont les cerimonnies et signes. 
Ung coup d'espée taille ou d'estoc. 
C'est la beneisson des matines. 
Leurs orgues se sont serpentines 
Qui s'en vont vif comme le vent : 
Les gros bouUetz à coulevrines, 
Ce sont les miches du couvent : 
Le grant Prieur de Passe-avant, 
Et l'Abbé d'Eschappe qui peult 
Les viennent visiter souvent : 
Mais il ne les a pas qui veult. 
Pour ung qui se plaint, ou qui deult- 
Vingt en y a, s'ilz sont mandez, 
Que jamais on ne les desmeult. 
Puis qu'ilz y sont affriandez. 

Ces archiers ont leurs arcz bendez, 
Et ces mortepayes leurs picques : 
Gascons trappes et bien fondez 
Jouent là leurs nouvelles praticques : 
Les Ecossoys font les repUcques : 
Pragoys et Bretons bretonnants, 
Les Suysses dancent leurs morisques 
Atout leurs tabourins sonnans. 



176 

Holandroys, Rrebançons, Flamans, 
Ilz tiennent ung cruel chappitre : 
Hongrps, Florentins, AUemans, 
Ilz y trouve sans eschelistres. (1) 

Qui veult estre ourdy sans tiltre 
Et sçavoir que c'est de soupirs , 
Y voise ; car pour tout epistre 
On y chante que des martirs. 

Hais quoy ! va , à gens de loisirs , (2) 
Gens haulx , de vertueulx couraiges , 
Ce sont passetemps et plaisirs , 
Quant ilz y sont bien caulx et saiges : 
Cent mil combatans (sans les Qaiges) 
En une course , en ung assault; 
Saillir de buyssons et bocaiges , (S) 
Et se rencontrer sur ung hault , 
En moins que n'aurez faict ung sault ; 
On crye haro — qui vive — tuë ! 
A Tanne — au guet — rens toy ribault! (4) 
Torche , lorgne — depesche — rue ! 
Frappe — combat — taille — remue ! 
En point — avant — tost au montoir 1 
Bref c'est ung port; quant on y buë , 
On n'y entend que le batoir. 

Se ung Prince , qui a hault vouloir , 
S'exercite ung peu à la peine ; (5) 
Si mest repos en nonchaloir , 
Aussi que ung vaillant Capitaine ; 
Toute sa plaisance mondaine 
Ce sont haches , lances , gros boys , 
Le heurt, la rencontre soubdaine, 
Chevaulx , cliquetiz de hamoys , (6) 
Bardes , genetz , grans palefroys , 



177 

Vousges , sallades , mentonnières-, 
L'estendart à la blanche croix , 
Trompettes, clerons et bannières, 
Souffres , salepestres et poussières , 
Bastons bescuz comme bistardes , 
Guet et garnison sur frontières 
Pour festoyer les avantgardes. 

On reschausse , au son des bombardes , 
Povres couardz lasches et vieuk ; 
Car fort vertjus , aspres moustardes 
C'est ce qu'il fault à rouges yeulx. 
Armes font croistre cueurs joyeulx 
Et multiplier en lyesse , 
Aux robustes et vertueux 
Augmentant force et hardiesse , 
Aux magnanimes la proesse , 
Aux confederez l'aliance , 
A courages haulx gentilesse , 
A gens résolus asseurance , 
Aux constans la persévérance , 
Aux larges libéralité , 
Aux rudes prompte intelligence , 
Engin cler et subtillité. 

Aucun exhibe activeté 
Par invincibles argumens : 
Aultres monstrent l'agilité 
De leurs corps , par experiens. 

Sans accolées ne blandimens. 
On passe par hic ou par hec. 
Sans courratiers ne truchemens , 
On se rencontre bec à bec. 

Qui s'endort au son du rebec 
En la flotte , il n'est pas saige : 

12 



178 

Car de tous boys , et verd et sec , 
I^ plus souvent on faict paissaige. 

S'on sçet par heraulx ou message 
La puissance des ennemys , 
Ung chief de guerre de couraige 
Presche son ost : sus , mes amys ! 
Enfans , ne soyez endormys : 
Frappons dedans ! il est notoire 
Que en nombre des gens munis (1) 
Ne gist pas tousjours la victoire. 
Et là, leur réduit en mémoire 
Les gestes des très Chrestiens Roys , 
Qui par armes ont donné gloire 
Au noble Royaulme Françoys. 

Ne passa pas plusieurs destroitz 
Le Roy Philippe le conquérant , 
Qui combatit troys Roys Angloys 
Et aussi le Conte Ferrant , 
Oton Empereur chassa errant , 
Subjugua Poitou et Touraine , 
Et conquist en ce différant 
Anjou , Normandie et le Maine ? 

Le très glorieux Charlemaigne , 
Qui par armes et par bon moyen 
Vainquit la nation Rommaine , 
Lombars , le peuple Italien , 
Et remist le Pape Adrian 
Tout paisible en sa Papaulté ? 
Roy n'y eust , Chrestien ne Payen , 
Dont il ne fust craint et doubté. 
Charles le Chauve a pas esté 
Celluy qui conquist les Nonnands? 

Charles le Simple a conquesté 
Les Angloys et les adherans. 



179 

Infinys Princes terriens , 
Aux armes se sont adonnez ; 
Lesquels ont eu de très grans biens , 
Et ont esté bien fortunez. 

Aultres se sont déterminez 
Aux Dames , lesquelz ont eu nom 
D'estre lasches , effeminez , 
Sans bruyt , sans acquérir renom. 

Semble doncques pour conclusion , 
Que ung grant Prince , de son oflBce 
Doibt prendre récréation 
Aux Armes et à l'exercice ; 
Que tel passetemps est propice 
A son hault et bruyant maintien ; 
Et qu'il y doibt, quoy qu'on obice, 
Soy adonner sur toute rien. 

LE PROCUREUR DES DAMES. 

Les Dames , par aultre moyen , 
Dient que ung prince aymant honneur , 
Tant soit noble ou grant terrien , 
Doibt aux Dames mettre son cueur. 
La raison , car toute doulceur 
Y gist , toute J>enignité ; 
Et aux Armes toute rigueur , 
Tout desroy , toute austérité. 

Dames font croistre honnesteté ; 
Dames font les cueurs resjouyr ; 
Dames font aymèr loyaulté ; 
Dames font cruaulté fouyr. 
Veiller , oreiller , taire , oiiyr , 
Estre prompt , prest , prudent et saige , 
Cela faict des Dames joûyr 



180 
Ung noble et vertueulx couraige. 

Quoy 1 dient les Dames , mon langaige 
Seullement , mon doulx entretien 
Vault mieulx que des Armes Toutraige 
Qui pille et ne supporte rien. 

Par mon hault et bruyant maintien , 
Par bon et gracieulx accueil , 
J*ay mes mignons en mon lien , 
Qui ne quierent que mon receUil. 

J'oste à mes ennemys l'orgueil , 
Et se rendent sans coup ferir , 
Par ung ris de la queue de Tœil 
Qui les maine jusques au mourir. 

Je fûctz mes gorgias courir , 
Dancer , bondir , tourner , virer , 
Trasser , fureter , enquérir , 
Fringuer, pomper, chanter, saulter, 
Puis rire , puis tost souspirer , 
Puis résolus , puis variables , 
Puis amender , puis empirer , (1) 
Puis incongneuz , puis agréables. 

Prebstres , Nonnains , gens recepvables , 
S'aux Dames mettent leur deduyt , 
Posé qu*ilz ayent diverses tables , 
Je ne leur faictz faire qu'ung lict. 

n est doncques heureux qui eslit 
Mes jeux et mes esbatemens ; 
Ha guerre par moy se conduyt 
Sans picques ne sans ferremens. 

Menues pensées, marmousemens , 
Songer creux , muser à part soy , 
f/est le traict et les instrumens 
Dont on sert quant vient ung effroy. 



181 

J'ay mignons prestz autour de moy , 
Avitaillés pour le hutin : 
Soubz umbre d*ung tenez-vous quoy , 
Embler ung coup , c'est le hutin. (1) 

La haulte pièce , c'est ung tetin 
Dur , joinct , joly , selon le cas ; 
Armures , pourpoint de satin , 
Ou quelque corset de damas ; 
Les salades des gorgias, 
Cheveulx longs , perruques de pris ; 
Pour harnoys des jambes d'embas , 
Quelque cul troussé de Paris. 

Mes grandes masses , se sont ris : 
Yeulx affectez sont mes heraulx , 
Portans , pour doubte d'estre pris , 
Bastons à feu roydes et chaulx. (2) 

J'ay souldars et jeunes vassaulx , (3) 
En tous Royaulmes transmarins : 
Mes trompes qui crient mes assaulx 
Sont fleustes , rebecs , tabourins : 
Mes soulfres ce sont romarins , 
Girofiers , lavandes , muguetz 
Pour emprisonner bustarins , 
Qui viennent muser aux banquestz. 
Mes rançons , se sont afficquetz 
Qu'on prend sur pouvres esgarez : 
Mes joustes se font en parquetz 
D'herbe vert' , ou en litz parez. 

Telz sont mes instrumens ferrez , (4) 
Telle est ma bataille oultrageuse , 
Telz sont mes engins préparez 
Quant je faictz guen'e rigoreuse. 

Dames de pensée amoureuse 
Font faire mille singeries , (5) 



182 

Aux maiT) 8 ckcre mariniteuse , 
Aux fringans mille fringueries , 
Aux fins espritz les joncheries , 
Les ruses , les termes uouveaulx , 
Aux lourds les grandes fâcheries (1) 
( Dont on dit : ce ne sont que veaulx ) 
Musser soubz tonnes « soubz cuyeaidx , (2) 
Grimper pignons et fenestrages, 
Soupples comme queuSs de naveaulx 
Et mornes comme gens saulvaiges. 

Est-il plus gracieux ouvrages 
Ne passe-temps plus magnificques 
Que veoir ces plaisantes ymages , 
Ces pourtraictures deificques , 
Si cointes , si polies , si frisques , 
Si plaines de doulces amours « 
Si propres pour trouver replicques , 
Si promptes pour donner secours , 
Si humaines à gens de Cours , 
Si usitées de leur babil , (3) 
Si duictes pour trouver des tours , 
Si accoustumées à Foustil ^ 
Si soubdaineB quant vient que s'il (A) 
Et qu'on rencontre gens dehaict : 
S'on touche la pierre au fusil , 
Il n'y fault qu'ung mot que c'est faict. 

Il n'est au monde tel souhait. 

Tel heur , tel passe-temps , tel bruit : 

Car jamais homme n'est parfaict , 

Si n'a fréquenté ce déduit. 
On rit, on raille, on some, on dit, 

On escoute , on preste l'oreille , 

On'se degoyse , on s'esgaudit;, 



183 

On se resjoiiit, on se resveille , 
On va , on cherche , on se travaillé , 
On fume , on a poste à Gaultier , (1) 
On songe et pense , et on s esveille , (2) 
On glose sur le gros psaultier. (3) 
Deux fréquentent en ung Monstier , 
Dont Tun y pert , Taultre y proffite ; 
L'ung sert de sel au benoistier , • 
L'aultre hume de l'eaue benoiste. 

Dames ont prudence , conduite , 
Soing , sens , sçavoir , langaiges ferme : 
Mais quoy , s' on leur offre la luicte , 
Elles n'ont pas tousjours le pied ferme. 
Au fort , se par force de charme 
On tombe , on glisse , on chet , on chope , 
Quant on a pleuré demy lanne , 
C'est faict ; il n'y pert ^ l'eschope. (â) 
Une parenteze ou sincope 
Fait venir l'heur ou le malheur ; 
Le malheureux est qui s'y coppe , 
Et quiert escumer sans chaleur. 
L'aultre qui paint et a coulleur , 
Et ferme de discrétion, 
( Au monde n'est point de tel eur ) 
Il a toute provision. 

Dames ont jurisdiction , 
Assise , Conseil , Court ouverte , 
Là où mainte appellation 
Souvent est declairée déserte. 
Les Conseillers ont cotte verte 
A qui on baille les placetz : 
Huissiers ont la teste couverte 
De chappeaulx de fleurs de houssetz ; 



i8A 

Greffiers distribuent les procès , 
Les registres memoriaulx ; 
Advocatz plaident les excès , 
Et aUeguent les droitz nouveaulx ; 
Dames visitent les linceaulx 
En chambre ou en quelque toumelle ; 
Aux buis infiniz fringuereaulx , (1) 
Chascun soustenant sa querelle : 
Telle ayme ung tel , tel une telle. 
— Tel a promis — telle se plaint. 
Tel fringue à la mode nouvelle. 
Tel est rusé — telle se faint , 
Tel ou telle en est le mieux saint. 
Tel et telz brassent telz ouvrages. 
Tel est menasse — tel est craint. 
Tel et telz sèment telz langaiges. 
Telz sont farouches et sauvages , 
Tel est riche — tel se marie : 
Et tel doibt ung tas d'arrérages 
Du temps de la Royne Marie. 

En ceste Court et playdoyerie , 
Tousjours survient ung cas nouveau ; 
Et n'est pour grande seigneurie , 
Car on met en jeu son plus beau. 
Homme n'est exempt du sceau ; (2) 
Chascun y faict la maille bonne : 
Aussi on hume à grant monceau 
L'honneur, comme raison l'ordonne. 

Prince qui aux Dames s'adonne , 
Souvent est doux et gratieux ; 
A grâce , doulceur s'abandonne ; 
Est begnin , courtois et piteux , 
Large , débonnaire , joyeulx 
A conseil , conduicte et police : 



185 

Son peuple soubz luy est heureux ; 
Car il garde à chascun justice. 

Qui s'adonnent aux Arnies, tout vice : (1) 
Desroy, toute sédition , 
Cruaulté et toute avarice 
Y gist , et toute ambition. 

Semble donc , par conclusion , 
Qu'aux Dames est bon s'adonner, 
Prendre la récréation , 
Et les Annes abandonner ; 
Qu'ung jeune Prince , pour régner 
Et bien passer ses jeunes ans , 
Pour en plaisance dominer , 
Doibt eslire ce passe-temps. 

CONCLUSION. 

Divers pointz , divers argumens , 
Divers effectz et qualité , 
Diverses façons et moyens 
Nous mettent en perplexité. (2) 

Aux deux gist contrariété 
Qu'à peine peult-on décider ; 
Aux deux gist ambiguïté 
Assez difficille à vuider. 

Reste doncques à regarder 
Des Armes , des Dames aussi , 
Se leurs faictz peuvent concorder, 
Et lequel doibt estre choisy. 

L'ung veult ainsi et l'aultre ainsi ; 
L'ung veult telle opération ; 
L'ung veult joye et l'aultre soucy : 
Aux deux a diverse action. 
Et s' on pouroit selon raison, (3) 
Veu d'ung et d'aultre les effectz , 



180 

Dire que Vung et Vaultre est bon , 
Ou que Fung et Taultre est maulvais ? 

Pour décider ces pointz je metz 
En jeu le dit de FEmpereur , 
Qrx^utrumque tempus désormais 
Dit avoir biiiit , force et vigueur : (1 ) 
Ce que ung Prince ou ung grant Seigneur (2) 
Peult mettre , tant soit noble ou preux , 
Aux Armes, aux Dames son cueur , 
Et bien exercer tous les deux ; 
Aux Dames , pour estre piteux 
Et de complexion bénigne , 
Doulx , traictable , courtoys , joyeulx , 
Selon la façon féminine ; 
Aux Armes , pour ce qu'il domine 
Sur son pays et région. 
Il est bon qu'aux armes s* encline : 
Pourquoy ? pour sa tuition. 

Et pourtant la conclusion 
Est telle , de tous ces argus , 
Qu*ung Prince de noble renom 
Doibt sçavoir utrumque tempus , 
L'ung et Vaultre temps sans abus , 
Avoir le costé dextre armé : 
Le senestre et tout le surplus 
Aux Dames doibt estre donné. 

Sire , par vous soit pardonné 
Au rude engin et simple sens 
Du povre honneste fortuné , 
Qui a leu les deux passe-temps. 

Fin du débat des Dames et des Armes. 



HONOLOGllË 

de la Botte de Folng. 

lONdLOGUE DU PUYS. 



Œuvres diverses. 



Cy eommence le Honolope de la Botte 

de Foing. 



Vous semble-Upoint que pour dancer, (1) 
Fluster , ou pour paroUes faintes , (2) 
Pigner, mirer, ou s'agencer. 
Un homme se peult advancer 
A parvenir à ses attainctes ? 

Vous semble-il que pour mignotis , 
Aubades , virades et tours , 
Entre nous mignons fringantis , 
Plaisans , gorgias et faictifs , (3) 
Puissions jouyr de noz amours ? (4) 

Est-il possible pour servir 
Reveille-matin ou aubade , 
La grâce s'amye desservir , 
Sequin sequet , sans mal sentir , (5) 
S'esbattre pour une passade? 

Est-il possible d'avoir bruyt 
Pom: bagues , gorgiasetez , (6) 
Bailler aux Dames le deduyt , (7) 
Ferme , comme ung sanglier en ruy t , 
A faire les joyeusetez ? 

De francz courages et voulentez , (8) 
Soyez enclins et apprestez , 
Franc pour dire : qui est céans ? 



190 

Baves , gallez , raillez , saillez ; (1) 
Et puis on dira : telz et telz 
Ont grant accointance leans. (2) 

Danceurs , mignons , fringans et gentz , 
Chasseurs 9 volleurs, tous telles gens, (3) 
Ung songe , ung bruyt , ung angelot 
Vous «emble-il que ce ne soit riens ? 

Ha ! par le corps bien je m'en tiens 
De ceuh-là ; mais n'en dictes mot. 
Je suis tousjours gent et mignot , 
Sus mon cheval qui va le trot , 
Pour faire le sault cop à cop. (A) 
Je faictz moy cela à tous cop : 
C'est ce qui me faict estre en grâce , 
Ung fin mignon , ung dorelot , 
Arrière satin , camelot , (5) 
Puis que le veloux vient en place : 
Plustost passe , plustost râpasse. 
Voulentiers je deisse se j'osasse ; 
Mads qu'on se tinst de cacqueter , 
Quant je la voy , tant je parlasse ; (6) 
Mads, par le corps bieu , je m'en lasse, 
Car el' ne me veult escouter. 

Avez vous point veu cy entrer 
N'agueres une godinette , 
Qui vient rire , esbatre , dancer ? 
C'est une petite noyrette , 
Non pas noyrette , mais brunette, 
Une mignonne tant sadine ^ 
Une robe d'ung gris bien faicte , 
D'ung fin gris changeant, bonne mine , 
La belle pièce à la poictrîne 
Tissu cramoysi , large au tronc , (7) 



191 

Et du hault jusque au bondon 
Elle est aussi droicte que ung jon. 

— Pardonnez moy , elle n'y est don ? 
Je cuydoye qu'elle fust céans. 

— Il y a je ne sçay quantz ans 
Qu'ilz furent mariez ensemble 
Elle et Monsieur. Mais il luy semble 
Estre tout pesant, tout remis ; 

Il vous a les yeulx endormis , 

Rouges , et le corps tant maussade , (1) 

Penchant devant , la couleur fade , 

Les jambes aussi menuettes 

Comme fuseaulx , les joues retraictes : 

Il est si tendre et si flouet 

Qu'il semble , à le veoir bien souvent , 

Qu'il eust besoing d'img coup de fouet 

Pour le faire tirer avant. 

Il va tousjours traine gainant 

Sur son cheval emmy les rues. 

Tout en songeant , le bec au vent , 

Sçavoir s'il verroit nulles grues. 

Unes jambes tant mal fondues , 

Grant chapperon et large cotte , 

Les espaulles aussi boussuês 

Qu'il semble droictes moules à hoste; 

Et si a la mine si sotte 

Que quant il parle , qui vouldroit 

Dire qui songe ou qui radotte , (2) 

Je vous promets qu'on le croyroit, (3) 

Et sçavez vous quoy ? qui le verroit 

Sans sa longue robe fourrée , 

En pourpoint , on le jugeroit 

Une droicte souche couppée. 

Mais elle , poac 1 c'est une fée , 

Ung bon petit corset bien prîns , 



192 

Qui faict aussi bien la saffée (1) 
Que femme qui soit au pays. 
Tousjours ung tas de petit ris , 
Ung tas de petites sornettes « 
Tant de petitz charivaris , 
Tant de petites façonnettes , 
Petis gans , petites mainnettes , 
Petite bouche à barbeter ; 
Ba , ba , ba font ces godinettes (2) 
Quant elles veuUent cacqueter. 

Elle m'a faict souvent monter 
A cheval , faire mes efibrs , 
Aller, chevaucher, tempester 
Et courir à cry et à cors. 

Ung jour je venoye de dehors , 
Sur mon hacquenet, tout housé : 
Or estoys-je de son gent corps 
Desja surprins et abbusé ; 
Et de faict j'avoye proposé , 
Pour l'amour d'elle , d'estre fin , 
Mignon , gorgias , bien prisé 
Des Dames : là estoit ma fin. 

J'entendoye assez mon latin ; 
Car pom- estre plus fricquelet , 
J'avoye le pourpoint de satin , 
( J'entens satin parle colet) 
Et aux manches le chappelet , 
Joyeulx en la manche attachée , (3) 
De veloul-s à ung beau fiUet (à) 
Troys doibs de large , la belle espée , 
Robe à grant manche descouppée 
Affin que l'on veist là dessoubz. (5) 

Floc, floc faisoit ma hacquenée 
Quant elle vouloit marcher doulx : 



19S 

Elle cuyda tomber deux coups ; 
Non pas tomber , mais el' choppa. 
Les regardans estoyent là tous : 
J'en oiiy bien ung qui parla 
Et tout en raillant m'appella , 
Et me dist que je chevauchoye 
2n clerc , en latin , tout cela. 
Mais , par le sang bien , non faisoye , 
Car seurement je me tenoye , 
Genoux serrez , bien empeschez ; 
Et me semble franc , que j'estoye 
Pour faire bansler couvrechiefz. 
Si ma beste feist ces meschiefz , 
Et qu'elle cuyda faire ung sault , 
Que voulez vous , sang bien I sçachez 
Que je sçay bien ce qu'il luy fault. 
Je vous chevauchoys royde et hault : 
La pluspart des gens me suyvit 
Disans : vêla ung beau ribault ; 
Se n'est pas dommaige qu'il vit 

Une Damoyselle me vit 
A son huys , à tout son attours ; 
Mais elle rentra , car elle craignit 
Que ma beste ne luy feist paour : 
Et de faict , je feiz tous mes tours. 
On me veit de tant de maisons 
Que, s'il eust faict ung peu plus jour» 
On m' eust veu de delà les pontz. 

Or revenons à noz moutons : 
Ma personne fust descendue , 
Et , pour faire les comptes rons , 
Je veiz ma Dame emmy la rue. 

Je m'en voys la bouche tendue 
Là où elle estoit à sa porte ; 

13 



194 

Je la baise , je la salué , 
Demandant comme elle se porte. 
El' ne me fist pas chiere morte ; 
C'.ar tout au tel el' me rendoît, 
Et qu'il soit vray, je m'en rapporte 
Au page qui me regardoit. 
Ma Dame sçet bien ma venue ; 
Lors elle m'a getlé les doulx yeulx : 
Quelz doulx regards ! quelz ris joyeulx ! 
Quel maintien ! quel doulce manière ! 

— C'est vostre mignon, se m'aist dieux ! (1) 
Se va dire la chamberiere. 

— Dieu gard* ma Dame ! et puis : quel chère ? 
Que dist Monsieur ? est-il gaillard ? 

— Autant vaulsist une commère : 

Par ma foyl ce n'est que ung paillard. 

— Et si n'est-il pas si vieillard , 
Qu'il ne peut pener ou suer? 

— Voire : mais il est si songeart, 
Que à peine se peult remuer. 

Il est à cheval pour rimer 
Au refrain de quelque ballade ; 
n ne sert plus que d'estrivier, (2) 
Ou de dire qu'il est malade. 

— Baillez luy , dys-je , quelque aubade , 
Quelque secousse, il s'amendera. 

— Ha ! dist elle , sa couleur fade 
A grant peine se changera. 

Nous parlasmes tarin tara , 
Puis de Monsieur , puis de ma Dame. 
Et me mist'K)n en telle game , 
Que la Dame et la chamberiere 
Me jonchèrent ; l'une derrière , 
L'aultre devant me regardoit : 



195 

L'une farsoit , Faultre lardoyt. (1) 
J'estoye fort en grâce d'elle ; 
Parquoy je croy que on ne m'osoit 
Dire chose quil ne fust belle. (2) 

On parle de tel et de telle ; 
Mais pour ung galant amoureux 
Je suis devenu gratieulx , (3) 
( Se disoyent les gens ) houppegay ! (4) 
Et croy bien que l'on disoit vray ; 
De cela je n'en doubte jamais. (5) 

Et si vous dictz bien , pour tous meU , 
S' on eust esté beau pour mirer , (6) 
J'avoye les membres les mieulx faitz 
Qu'au monde l'en sçeust declairer. 
J'estoye ung homme adventurier , 
Gay, alegre, mignon, joyeulx; 
Sang bieu ! à tout considérer , 
Il sembloit que j'en fusse deux. 

Laissons ces soûlas et ces jeux. 
Ma Dame me print par la main : 
Et promis lors devant ses yeulx (7) 
De l'aller veoir le lendemain ; 
Et là devions nous plus à plain 
Deviser. — Or , à Dieu , ma Dame. 
— A Dieu, dist-elle. — Mais sur mon ame, 
Combien que puis j'en fus martyr. 
Il me faisoit mal d'en partir. 

Je m'en allay emmy la ville , 
Pour monstrer que j'estoye fricquct , 
Ferme , duyt et rusé du stille , 
Esveillé comme ung saupiquet , 
Pour dire : pic et pac , marquet ! 
Qui est-il? c'est ung tel — en somme 



196 

La belle bague, ou rafliquet 

Pour moDStrer le chemin à Romme. 

En ce temps-là j'estoye ung homme 
Franc pour dire : d'ont venez vous? 
Le beau mouchoir, voire ou la pomme (1) 
En la manche fsûcte en deux coups ; (2) 
Le hoquetton , pourpoint dessoubz ; 
Anneletz (voits m'entendez bien); 
I^es chausses percées aux genoulx , 
Pour bien dire , mais ce n'est rien. 
11 ne falloit que dire : vien ; 
J'estoye prest. — La robbe assez nette ; 
Je n'avoys rien qui ne fust mien , 
Excepté sans plus la cornette 
De velours , non pas trop honneste ; 
Car elle sentoit son bas percé : 
Mais vêla pour boucher ma teste , (3) 
J'en estoye desja tout bersé. (4) 

Or d'adventure, je passé 
Par ime rue , sur le tard ; 
Mais Dieu sçet si j'en fuz farce 
Au vif. 11 y eust ung Coquard 
Qui m'appeUoit : adieu gaignart ! 
Hay ! hay ! passion d'Antioche ! 

— Qu est-ce là? que le diable y ayt part ! 
Qui est-ce qui sur moy descoche? (5) 

Se pensoys à moy ; par sainct Josse ! 
Je suis perdu , ou je suis frit. 
Il cryoit et chascun me veit 
Vestu ainsy que TEsplagant ; (6) 
Mais sçavez vous que l'on en dit? 

— Par mon ame c'est ung fringant. . 
Je m'en allay tout en gigant, (7) 

Comme ung lévrier qui se resveille ; 



197 

Bonnet renversé et guignant , (1) 
La belle ymage sur T oreille. 
Je fondoye carreaulx à merveille , 
Gay , alesgre , bien esmouché ; (2) 
Et me mussay soubz une treille , 
Pour attendre qu'on feust couché. 
A coup, avant estre huche, 
Faire ce qu'on vouldroit ; et puis 
Trie , trac , sans estre effarouché : 

— C'est faict — c'est mon — [advise Thuys. 
Vêla de quoy servent les nuytz i 
Sommeille qui vouldra sommeiller. 

On n'a point peine à s'abiller, 
Le matin oster la brayère , (3) 
Après baiser et fatrouiller ; 
Dire adieu par l'huys de derrière , 
En effect vêla la manière. 

Or sça, ma Dame me parla (â) 
Du lendemain ; la chose est claire 
Que le gaudisseur y alla. 
Je m'en viens à l'huys — tac. — Qu'ella ? (5) 
Je regarday par la serrure ; 
La chamberiere je veiz là , 
Qui me vint faire l'ouverture 
Par une vis , en sa chambrette. 

Quant je fus leans, je prins cure 
De saluer la godinette : 
Sa chambre estoit fort sadinette. (6) 
Sans faire plus longue querelle , 
Bon jour. — Je m'assis auprès d'elle , 
Et puis : comment va ? — quel' nouvelle ? 

— Nous desvisasmes là de baves , (7) 
Et des besongnes dismes tant , 

Et de langaiges et de brigages , 



198 

Dequoy brief pas ne m'en souvient « 
Pour nous et à noz advantaiges : 
Et entre aultres pour tous potûges ; 

— Cestuy-cy va — cestuy-là vien. 

— Geste là ceste*cy vault bien. 

— L'une ayme l'autre : l'autre ayme l'une. 

— L'une blanche , et l'autre trop brune. 
Tel2 et telz , et telles et telles 

Ne sont ne trop beaulx ne trop belles. 

— On faict cecy — on faict cela. 

— On va par cy — on va par là. 

— Par tel pointz et par telles choses 
On brouille, on cliquette, on noise.! 

— L'ung est couard, l'autre est hardy. 

— L'ung veult lundy , l'autre mardy. 

— L'ung est rusé , l'autre gruppé. (1) 

— L'ung est fort et l'autre huppé. 
En effect , vêla , nous disons 

Tant de regretz , tant de blasons , 
Tant de propos , tant de minettes 
Et tant de façons sadinettes , 
Que par sa paroUe mignotte 
J'en cuydoye joûyr à ma poste. 
Tourner la main , ung aultre mot , 
Le sang bieu ! je devenoye sot. 
Je la trouvay si inconstante , 
En langaige si véhémente , 
Que aulcunesfoys , pour vous le dire , 
Mon couraige le vouloit dire : 
Mais quant je la veis ainsi rire. 
Lors , par le corps bieu ! je n'osay : 
J'escoutay , et si proposay. 

J'oûyz ung bruit qu'on demenoit , 
Dont incontinent je glosay 



199 

Que c'estoit Monsieur qui venoit. 

— Las ! dist elle , s'il vous voyoit. 

— Qu' est-il de faire ? — se musser : 
Mais , montez en hault tout droit , 
Et vous en aller au grenier 

Au foing. — Je montay sans compter 
Les degrez. Il vient , il caquette 
Puis de Gaultier , puis de Jacquette ; 
11 tance puis la chamberiere. 
Et moy qui oioye le mystère , 
N'estoye pas bien asseuré : 
Se j'eusse marché ou viré , 
Et qu'il s'eust peu appercevoir 
De moy , il y feust venu veoir. 
Le corps bien ! j'estoye résolu; 
J'avoye tout cuyt et moulu. 

Je ne feuz pas pourtant si fol., 
Que je n'entrasse jusques au col 
Dedans le foing ; et puis je prins 
La belle botte , et là tins 
Sur ma teste qu!on ne me vit. 
Et pour me bailler le desduit , 
Jç vous oûys^tantost le cry 
De petites souris (pipi) 
Fortfuisans à mon oreille (1) 
Parmy ce foing ; c'estoit merveille. 

D'autre part estoyent en bas 
Les grosses parolles et debas 
De Monseigneur et de ma Dame , 
Qui se combatoyent : c'estoit blasme. (2) 
Hz estoyent, se croy-je, tous deux 
En leur chambre enfermés tous seulx. 
L'ung parloit par une façon ; 



200 
L'autre chantoit autre chanson ; 
Cestoit ung plwsir que d'y estre : 
Car chascun vouloit estre maistre. 

Le soir vint ; il faut préparer 
Le souper et le vin tirer : 
Monsieur fut sçis et appoincté , (1) 
Et dist-on benedicite. 

Après souper voicy Chariot 

Le paige , à qui on dist ung mot ; 

Ce fut qu'il allast apprester 

La mule, sans plus arrester. 

Se feist-il , et se meist en point , 

Et s'en vint au grenier au foing , 

Une grande fourche, — en son poing. 

De fer ; et sans plus de riote , 

11 vous vient cheoir sur ceste botte 

Que je tenoye sur ma teste ; 

Or , le dyable ait part à la feste. 

Le paillard paige fist merveille ; 

Car il fist si profonde enqueste , 

Qu'il me va larder une oreille 

De la fourche. —Je me resveille 

Lourdement et n'osay mot dire ; 

Chariot se peine et travaille 

D'avoir la botte ; il sache , il tire : (2) 

Je vis tout et cuiday bien rire. 

n print à tirer : —je la tien ; 

— 11 recula trois fois de tirej , 

Et jura Dieu qu'il l'auroit bien : 

Et si là print. — Adonc ! — rien — rien. 

Il s'esbahit fort et recuUe ; 

— Qu'est-ce icy ? dist-il , quel maintien ? 

Dieu veult-il pugnir nostre muUe ? 



^ 



201 

Il prend son chappeau et Taffule, (1) 
Tout en barbetant ba , ba , ba , 
Et sans dire paroUe nulle 
Il tira si fort qu'il tomba. 
Chariot à Dieu se tempesta , (2) 
Dit qu'il n'y tireroit meshuyt. 
Il trousse ses panneaulx , et s'en va 
Compter aux aultres le déduit. 

Son maistre vint ; (j'oûyz le bruit) 
Dont viens tu ? — clic , clac , (sur ses joues 
Il frappe , il congne, et Chariot rit 
Des grosses dens. — Dea , tu te joue ! 
— Hon, hon, hon ! — Dea, tant de moue ! (3) 
Le plus beau ne fut dire mot. 
Vêla comment tourna sa roue 
Fortune , au pouvre Chariot. 

Encore fut^il bien si sot 
Qu'il alla dire à Guilelmin , 
A petit Jehan et Phelippot , 
Et y mist gaige avant la main. 
Il monte ; j'entendy le train , 
Je saulx et quis mon advantaige , 
L'ung lieve le botteau de foing ; 
Povre Chariot perdit son gaige. 
Vêla comment Chariot le paige 
Fut du foing doublement pugny ; 
Chascun luy gettoit de la neige 
Après, et se mocquoit de luy. 

Le soir vint ; il n'y eust celuy 
Ne celle qui n'allast coucher. 
Et Dieu sçet se j'euz de l'ennuy 
Ceste nuyt ! je n'osoye bouger ; 



202 

Et me fist-on mon foing ronger 
Tout à par moy : à caste enseigne 
Que je commençay à songer 
Que faisoys chasteaulx en Espaigne. 
Or, aflin que chascun appreignel 
Conunent on y fûct bonne chère , 
J'eusse voulu avoir la taigne 
Et j'eusse esté en la rivière. 

Je ne sçavoye tenir manière ; 
Plustost couché dessus ces bottes , 
Plustost dessus la cheneviere , 
Plustost je descrottoye mes crottes. (1) 
J'avoye les fantasies si sottes , 
Que ceste nuict , de pointz en pointz , 
Je devisay plus de cent cottes 
Et plus de cinquante pourpointz ; 
Et sans remuer piedz ne poingz , 
Et tout en faisant bonne mine , 
En songeant de près ou de loing 
Je me prins à dire matines : 
Et quant j'en euz bien dit deux lignes , 
Je me levay lors sur mes piedz , 
Et tout en ployant mes escbines 
Je voys regarder les clochiers : (2) 
Je marquois plus de cent montiers 
Où ilz n'avoyent esté jamais. 
Or est-il minuyt poiu* tous metz ; 
Et ne voit on rien que la drille , 
Parquoy je prenoye Beauvais 
Aucunesfoys pour ceste viDe. 

Le jour vint , vray comme Evangile 
Je meis ma teste par un^trou 
Sur la court ; la petite fille 
Tenoit ung souflet , hou , hou , hou , 



203 

Et soufloit, mais je ne sçay où , 
En la cuysine , ça et là. 

Le jour devint grant pou à pou ; 
Je croy que Monsieur se leva , 
Monte sur la mulle et s'en va 
Quelque part faire sa trainée. 

Je descens sans dire qui est là; 
Je trouvay ma Dame levée. 
Quant elle me vit , pour entrée 
Elle me bailla ung soubzris , 
Et , pour dire vray , sa risée 
M'estoyt ung petit Paradis. 
Et vecy dequoy je me ris , 
Et dont je me riray tousjourg ; 
Car de tous mes maulx et perilz 
Elle me bailla deux fins tours ; 
Et me dist , sans plus de séjours , 
Pour toute resolution , 
Que son mary dedans huyt jours 
S'en alloit en commission. 
Ainsy auray occasion 
D'aUer à Thotel à mon aise. 
Adieu , ma Dame — or , adieu don , 
Dist-elle. — Mais, ne vous desplaise , 
Elle est assez fine et maulvaise 
D'enquérir se je n'ay rien dict. 
Pourtant , je vous prie qu'il vous plaise 
D'en dissimuler ung petit. 

J'en ay assez dit pour meshuy , 
Et n'en diray plus pour meshouen. 

Tabourin ! à mon appétit ; 
Beau Sire , le petit Rouen. (1) 

Fin du Monologue de la Botte de Foing. 



Cy etuieiee le loMlogie di Piys 
biet par Coqiillirl. 



Gorriers mignons , hantans banquetz , 
Gentilz , fringans , dorelos , 
Portés vous plus les affiquetz , 
Ne les robes de camelos ? 

Mots argentés, petis œillades , (1) 
Entretenés vous plus voz tours 
De faire donner les aubades , 
Que soulliés faire tous les joiu's ? 

Où estes vous chantz de linottes , 
De chardonneretz, ou serins , (2) 
Qui chantés de si plaisans notes 
Soubz le§ treilles de ses jardins ? 

Où estes vous les tabourins , 
Les doulcines et le3 rebecz , 
Que nous avions tous les matins 
Entre nous aultres mignonnetz ? 

J'ay veu que j'avoye Henriet 
A faire mes charivaris , 
Avec son compaignon Jacquet , 
Pour ses Bourgeoises de Paris. (3) 

J'ay veu qu'estoye mignonnet , 
Chantant entre les Damoiselles ; 



205 

Ung corps fectis, sade, gronnet, (1) 
Pensés qu'avoye des plus belles. 

Vous semble-il point que pour argent 
Qu'on peust jouyr de ses amours , 
Estre tousjours mignon , fringant , 
Portant cornette de velours ? 

Aultrefoys ay esté en Cours 
Pour faire balades et rondeaulx ; 
Et ne dormoye ne nuytz , ne jours , 
A penser les termes nouveaulx. 

Ung jour m'en aloye pas à pas , 
Fort mignon , plaisant et habile , 
Tracassant , traignant le patin ; 
Car je sçavoye bien mon stille 
Et entendoys bien mon latin. 

Je vous estois miste , friquet , 
Habillé comme ung Gentilhomme , 
Esveillé comme ung saulpiquet : 
N'y avoit que pour moy en somme 
Les beaulx petit gandz , le bonnet 
Et la perrucque bien pignée. 
Pour dire : morbieu , pas ung pec ! 
J'estoys ung fringant à journée. 

D'aventure comme je passoye 
Et m'en alloye tout en paix , 
Sans que aucun mal y pensoye , 
Se me dit img : — adieu Joannes , 
N'oublie pas ton efecriptoire. 
— Et je vous escoute ; quoy voire ! 
Ha ! ventrebieu , quel broquart I 
Pensafge à moy : c'est ung coquart ; 



206 

r/est la façon , du temps qui court , 
De ses varletz dymencberës 
Qui sont vestus sur le gourt , 
De nous appeller tous Joannet. 

Hz portent les cappes couppées 
En la façon de maintenant ; 
C'est quant leurs robbçs sont percées , 
Pour estre plus mlgnonnement. 
Se vous les voyez tous les jours , 
Quant Uz ouvrent de leurs mestiers , 
I^urs robbes vestus à rebours , 
\ ous diriés : se sont savetiers. 
Et quant se vient aux jours des festes , 
llz semblent tous gros trésoriers ; 
llz ne demandent que les festes 
Pour aller aux nopces dancer, 
Faire les voustes et saulter, 
AfBn qu'on die : c* est-il — c'est mon. 

— Par la mortbieu ! il dance bien. 

— Brief , c'est ung gentil compaîgnon , 
Et si a ung très beau maintien : 

Par mon ame, c'est grand dommaige 
Qu'il n'est porteur de cotherès; 
Car il a ung très beau corsaige 
Pour porter assez de grans frais. 

llz vous portent , comme j'enten , 
De beaulz anneaulx (dedans leurs doitz) 
Qui sont dorés de beau safTran ; 
n semble que soient petitz Roys. 
Et mectent la main au bonnet , 
Affin qu'on voye les anneaulx. 
Pour dire : j'ay ung afficquet. 
Et n'ont pas vaillant deux naveaulx ! 

Au fort laissons ceste faerie , 



207 

Et retournons à noz moutons ; 
C'est une droicte resverie 
D'oiiir parler de leurs façons. 

Je m'en alloye delà les pons , 
Avecques mon page Jacquet , 
Monté sur une belle hacquenée. 
Et pensés que j'estoye de het , (1) 
La belle robbe fourrée , 
Les gentilz petitz brodequins ; 
Tracasser par mons et par vaulx , 
Aller, retourner par chemins , 
Faire feu dessus les carreaulx , (2) 
Monstrer partout mon beau corsaige. 
— Par le sangbieu I c'est grand dommaige , 
Se dient les gens de Paris , 
Il seroit ung beau personnaige 
Pour estre Abbé de sainct Denis» 

Je ne pensoye point à leurs ditz , 
N'a leurs parolles, n'a leurs devis. 
Je pensoye bien à aultres jeuz ; 
Car me monstroye pour la Dame 
De qui j'estoye amoureux. 

Et si vous dy bien , par mon ame ! 
Que c'est la plus mignonne femme. 
Par Dieu , qui soit point à Paris ; 
Car elle a le plus plaisant ris , 
Les yeulx vers , la petite bouche. 

— Quant elle marche sur espinettes . 
Elle faict ung tas de minettes ; 

On dil : celle femme n'y touche. 

— Se vous la voyez quant elle rit , 
Vous'diriés : vêla ung enfant ; 
Sans faire noise . hy, hy, hy, 



208 
Se faicl elle tout bellement. 

Je vous passe incontinent, 

Sans faire semblant ne manière ; 

J'ay ad visé la chamberiere 

Qui estoit assise à la porte ; 

Viens à elle de bonne sorte ; 

Et puis : — comment vous va, la belle ? 

— Et très bien , Monsieur, dist^elle ; 
Où avez vous demouré tant ? (1) 

— Par ma foy, j'ai esté dehors 

Où j'ay veu de bien mauvais temps : 
Ce luy dis-je par bons accors. 
Et puis , et puis où est ma Dame ? 
Que faict elle ? y a il ame^ 

— Ennement , elle est sur le lict ; 
Elle repose ung petit : 

Ce me dit lors la chamberiere. 

— Ouvrés moy dont Thuys de derrière , 
Aflin que j'entre en la maison. 

— Je n'oseroye pour le garçon 
Qui s'esbat emmy le jardin : 
Mais Monsieur s'en va demain , 
Se me dist-eUe incontinent , 

Et pourrés venir seurement 
Céans coucher avec ma Dame. 

Je m'en voys sans penser à ame , 
Rencontre mes deux compaignons ; 

— Bom dies soit aux mignons ; 
Où allés vous? d'où venés vous? 

— Nous en allons en ung banquet ; 
Voulés vous venir avec nous ? 

— Je vous renvoyé mon baquet , 
Par mon petit garçon Jacquet , 



209 

Et luy dis : apporte la torche , 
Et te tiens au plus près du porche , 
Affin que saiche où te trouver. 

Quant nous fusmes tous en la salle « 
Qu' est-il de faire ? — de dancer. 
Et Dieu sçet se on faict la galle 
A mener dancer ses bourgeoises. 
Ces dorelotz , ces gorgias 
Menoient les meilleures galoises. 
On ne sentoit que muglias . 
Marjolaines et romarins , 
Giroflées , armeries , bouquetz. 
Arrière ! arrière , rustarins ! 
Nous entretenons les banquetz. 

Quant nous eusmes dancé tous trois , 
Nous nous reposons ung petit 
Et regardons tous les fatras , 
Les danceurs et le bas deduyt ; 
Et de railler, et de dancer. 

— L'ung est trop grant — Taultre petit : 
— L'ung est trop lourd à desmarcher : 

— L'autre a failly bien de deux pas : 

— L'ung ny sçet rien ne hault ne bas 
Et l'autre, ce n'est qu'un lourdault ; 
Il la meine trop lourdement 

Et faict ses saulx ung peu trop hault. 

— L'une contrefaict la mignotte : 

— L'autre a la manière trop sotte : 
L'une parle trop grossemment : 

Et l'autre si est ung peu torte , 
Et se besse ung peu en avant. 

Quant nous eusmes bien coppié , 

14 



210 

Et bien lardé et devisé, 

Je m'en viens droit au tabourin : 

— Je vous prie , sonnés moy le train ; 
Je veulx mener ma Damoyselle. 

— Incontinent je vins à elle : 
Ma Dame, vous plaist^il dancer ? 

— Et grand mercy , se me dist-elle ^ 
Ennement je ne puis aller. 

Et de rire , et de railler ; 
Se me dist l'un : hau perrucq|uet 1 
Et je m'en voys sans grand caqpiet ; (1) 
Tant en somme je me ti^is 
Et m'en voys derrière ung tapis , 
Tant que le bruit se fust passé. 

Je fuz si lourdement farce , 
Par tel' façon et tel' manière , 
Qu'eusse voulu avoir esté 
Dedans ung sac en la rivière. 

Quoy I se disoient touB le» danceurs , 
11 sembloit qu'il n'y eusl que pour luy : 
C'estoit le plus fort copieux 
Qui fiist en ceste feste icy. 

Je m'en revina tout bellement , 
Tout qmj , par derrière le banc, 
n y avoit ung cordonnier 
Qui s'estoit trouvé à la feste ; 
Si s'en va ma Dame ^ier : 
Sans aultre prière ou reqpicste » 
S'en va avecques hxy dancer. (2) 

Je vis cela, et d'enrager 
De 4euil ; je ùz si très, honteux ; 
Et ne suis je pas bien malheureux , 
Qui cuydoye estre si rusé , 
D'avoir eate si refusé , 



211 

Moy y qui suis gorgias , mignon , 
Franc , fraiz , frasé comme uog ongnon 7 
Je ne sçay pourquoy c'a esté 
Que j'ay esté tant reculé. 
Ha I par ma^foy , je suis bien sot ; 
Je croy bien que c'est pour ung mot 
Que j'ay faiUy à la nommer ; 
Car , quant la priay pour dancer , 
Je vous l'ay appellée ma Dame» 
Et devoye dire : ma Demoiselle. 
Là où j'ay failly , par mon ame. 
Pourquoy el' la me bailla belle. 

Quant je veif cela , je m'en voys 
Sans dire adieu aux compaignons ; 
Ilz n'ayoyent garde de me reveoir , 
Ne que je leur disse : dansons. 

Mais m'en aky mon paige et moy , 
Sans vous dire ne si ne quoy , 
Vepir ma Dame par amomts. 

Je vous viens , sans plus de séjours ; 
Allant tastant encontre Tuys, 
Je regarde par ung pertuys ; 
Je veis venir la cfaamberiere 
Qui me vient ouvrir le guichet : 
J'entre dedans , moy et Jacquet , 
Et m'en viens droit à la chambrette 
Qui estoit bien fort migaonnette. 

Comme j'entre » voicy le diien 
Qui sans dire ne si ne rien , 
Et me vient saillir au beau col : 
Et qu'esse cy , bon gré sainct Pol 7 (1) 
Je croy que je suis malheureux ; 
Quant je suis levé au matin , 



212 

Je ne pensoye pas à tek jeux. 
Or ça, parlons d*autre latin : 

— Comment vous va , mon musequin ? 
Où est Monsieur vostre mary ? 

— Par ma foy , Monsieur mon amy 

Il s'en va en commission. / 

— Or, ça, ça, j'ay occasion 
De coucher ennuit avec vous. 

— Ha I Monsieur , que dictes vous ? 
Je seroye deshonnorée. 

— Ne faictes point tant la sucrée ; 
Sçavez pas bien que m*avés dit : 

— J*aymeroye mieulx estre noyée 
Que vous en fussiez esconduyt. 

Quant nous eusmes bien cacquetté , 
Et bien brouillé , et tempesté , 
Unze heures si s'en vont sonner. 

— Sus , sus , allez vous-en Jacquet , 
Et pensez le petit hacquet , 

Et luy faictes bien sa littiere. 
On allume belle bourrée : 
Je me despoûille mon pourpoint 
De beau satin , moult bien à point ; 
Nous nous chauffons entan nous deux , 
Devant et puis après derrière : 
N'avoye garde d'estre honteux , 
Car je faisoye bonne chiere. 
Vecy venir la chamberlere 
Qui va faire la couverture : 
Et ma Dame s'en va coucher , 
Et moy après à l'adventure , 
Sans plus cacqueter ne prescher. 

Quant nous fusmes tous deux couchez , 



213 

L'ung près de Taultre approchez. 
Monsieur s'en revint sans blason ; 
Qui avoit oublié des lettres 
> De ladicte commission , 
Et luy estoyent fort nécessaires. 
Si frappe à Thuys, à coup, à coup, 
Tout esperdu , tout morfondu. 
— Mon amy,.vous estes perdu! 
Qu' est-il de faire? — je suis mort I 
Je n'eusse osé dire ung seul mot. 

Or , y avoit-il une fenestre 
Qui respondoit dessus la court ; 
Je n'avoye garde d'estre sourt 
Et je vous prens tous mes habis , 
Mais je ne sçavoye où les mettre. 
Je vous sailly dedans le puys 
Qui estoit devant la fenestre : 
Je fiz ung grand flac dans Teau. 
Je cuiday estre là gellé ; 
Mais se n'eusse trouvé le seau , 
Par ma foy , j'estoye noyé. 

Tantost après on vint tirer 
De Feaue , pour gayer les chevaulx. 
Je ne sçavoye où me bouter , 
Car je souffroye plusieurs maulx. 
On prend la corde , et de tirer ; 
— Vecy eaue moult fort pesante , 
Se dit celluy qui la tiroit ; 
Se seau en pesé plus de trente. 
Et croyez qu'avoye grand froid ; 
Et se d'adventure il m'eust veu , 
Comme estoye ainsy tout nu , 
Il eust laissé la corde aller 
Pour me faire dedans noyer. 



21& 

Dieu m'ayda bien àjcelle foys : 
(Aussi estoye bon Chrestien I ) 
Je ne prisoye ma vie deux noix , 
Ne fjGusoye plus compte de rien. 

Quant je vous fus jucquez en hault , 
Et moy de sortir ung beau sault ; 
Et celuy qui m'avoit tiré' 
Fut si lourdement effroyé 
Que il cria : alarme I alarme I 
Vous eussiez oûy tel vacarme 
Courir parmy ceste msdson ; 
Car je vous jure sur mon ame , 
Sembloit que fusse ung larron. 

Et de saillir, pour abréger, 
Tout fin nu en belle chemise ; 
De mes abbis , sans plus parler. 
Ne faisoye compte ne mise. 

Encore , qui pis est , en allant 
Je vous rencontre bec à bec 
Deux ou troys ribaulx sergens 
Qui me mennent.en Castelet; 
Car on venoyt de rompre ung huys (1) 
Où il y avoit niarcbandise ; 
Et s'en estoyent trestous fouys 
Tout fin nuz , en belle chemise. 
Pour ce qu'on me trouva tout nud , 
Tout esperdu , tout morfondu , 
Je fus prins en lieu de ceulx-la. 

Je n'entendoye pas bien cda ; 
Je y allois, sauf mes bons droits. (2) 
— Et qu'est cecy , bon gré ma voys ? (3) 
La mort bien ! vous y viendrez. 

Vêla comment on nous chastie , 
Entre nous gallans amoureuk. 



215 

C'est une droite frainaisie 
D'en tant parler ; j'en suis honteux. 
C'est une merveilleuse peine ; 
Je n'y veulx plus mettre ma cure 
En ceste folle vie mondaine. 

Je vous ay dit mon adventure : 
Ung homme qui est endurci , 
Se luy semble toute plaisance. 
Au fort ne parlons plus meshuy : 
Donnés moy une basse dance. 

Fin du Monologue du Puys. 



CHiplaiite de leho, qii le penlt Jolir de 
MS UMwrs; Miuieice de Echo et de 
Ntreisis. 



Echo querant ses mondaines plaisances « 

Guidant venir de son fait au dessus , 

Non regardant les très dures vengences 

Qae les baux Dieux contre elle avoyent conceu^ 

Fut surprise de l'amour Narcisus ; 

Par quoy depuis endura maintz travaulx : 

Désir d'aymer passe tous autres maulx. 

Tant y ficha son cueur et son courage , 
Et tellement à l'aymer s'employa , 
Que sans garder d'aultres Dames l'usage 
D'estre priée , elle mesme pria. 
Vers Narcisus assez se humilia , 
liais rien ne fit pour son humilité : 
Grand' privaidté engendre vilité. 

Après plusieurs amoureux passemens , 
Regards , euillades , petis charivaris 
Qui tous servent aux grans embrasemens 
De cueurs humains et mondains espritz , 
Echo sans plus , après plusieurs soubzris , 
Ung seul baiser requist à Narcisus : 
Riens n'est si dur en amours que reffus. 



217 

Par son orgeûU fier et presumption , 
Dépit , outrage et felonnie nature , 
En se mirant par grant elacion , 
A sa beaulté et plaisante stature, 
Eust en desdaing la povre créature , 
Sans la laisser parvenir à son esme : 
C'est bien congneu , qui se congnoit soy-mesme. 

Et en effet , par T inhumanité 
De Narcisus qui le baiser desnie , 
La povre Echo , par grande austérité , 
Usa en pleurs le surplus de sa vie. 
En gémissant fut en voix convertie 
Et endura mutation subite : 
Ung cueur piteux en larmes se délite. 

Ce Narcisus , après considérant 
Que par ca Dame avoit esté prié , 
S'en orgueillit, et tout en se mirant , 
Après qu'il eust glorifié , 
Pour le vouloir des Dieux fut tost mué 
En une fleur qui es fontaines croist : 
Orgueilleux cueur soy-mesme se deçoypt. 

Notez , enfans ; car comme la beaulté 
De la fleur est incontinent passée , 
L'honneur du monde, qui n'est que vanité, 
En un moment est aussi abaissée. 
Si a esté ceste histoire brassée 
Pour ceulx qui fiers et trop orgueilleux sont ; 
Dieu et Nature sans cause riens ne font. 



\ 



Vers MapMés pv fiiilane CoipûHirt en 
I4l3t et placés à h li de sa Mielioa 
de la Gierre ies Jiifs. 



Grâce , louenge « honneur et jubilation 
Vous doy rendre en la fin de ma translation « 
Jbesus , vray rédempteur d'umaine nation , 
Largiteur de salut ef consolation. 

L'istoire de Josephe, des guerres de Judée > 
En langage françois du latin translatée , 
Rude en stile et façon, ^mplemmt aoumée, 
Mon povre sens a mis , comiae elle est cy couchée. 

Veuille la prendre en gré vostre grâce et clémence. 
Supportant les deffauls de mon insipience ; 
Car l'euvre requeroit homme de grant science , 
Orateur bien expert de sens et d'éloquence. 

Quila yeult doncques lire en lieu d*un passetemps. 
Viser doit à comprendre seulement le vray sens , 
Imaginant que j'ay selon mon petit sens 
Le texte translaté ainsi que je l'entens. 

Les lisant je requiers pour toute retributoire 
Avoir mon esprit en dévote mémoire , 
Requerans à Jhesus qu'il lui soit adjutoire. 
Tant qu'après ceste vie le transfère en sa gloire. 

Amen. 



TABLSi 



Pages. 

Biographie de Goquillart i 

Le Plaidoyer de la Simple et de la Rusée 5 

L^Enqueste 37 

Les Droits nouveaux 71 

— De Jure naturali 75 

— De Statu hominum 86 

— De Presumptionibus 96 

Deuiième partie : De Pactis 109 

— De Dolo 120 

— De Impensis 131 

— De injuriis 133 

Le Monologue du Crendarme cassé 147 

Ballade de la Paix 165 

Vers faits pour l'entrée de Charles Ylll à Beims. . 166 

Ballades des Etats-généraux 167 

Le Blason des Armes et des Dames 171 

(« Monologue de la Botte de foin ISO 

Le Monologue du Puys. . 204 

La Complainte de Echo 216 

Vers mis à la 6n de la traduction des guerres de 

Judée 218 



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